Les barthes de l'Adour
Notice
Découverte, en compagnie de l'architecte et paysagiste Maïté Fourcade, des barthes de l'Adour, paysage emblématique du pays d'Orthe résultant de l'adaptation des pratiques agricoles à ce milieu régulièrement soumis aux crues de l'Adour et assaini dès la fin du XVIIe siècle par un système de drainage.
Éclairage
Bélus, Orthevielle, Peyrehorade, Port-de-Lanne, Saint-Étienne-d'Orthe, voilà les toponymes baignés par l'Adour et ses affluents, qui évoquent le pays d'Orthe, aux confins du Béarn, des Landes et du Pays basque, en terre gasconne. Au carrefour de deux cultures, ce "pays" situé jadis dans la cité romaine des Tarbelli porte un nom étroitement lié à Orthevielle (Avorte Vile au Cartulaire de Dax, XIe-XIIe s.) qui pourrait émaner d'un nom d'homme dérivé du cognomen aquitain Bortossus, bien attesté [1].
Aux marges de ce pays, sur la rive gauche de l'Adour, l'installation, au XIIe siècle, d'une abbaye de Prémontrés, à Arthous, sur la commune d'Hastingues [2], s'explique par l'exploitation de terres enrichies par les limons du fleuve. Délaissé depuis la Révolution, le magnifique ensemble architectural entouré de terres agricoles devient, en 1964 propriété du Conseil général qui l'aménage en centre culturel, comblant les visiteurs intéressés par l'Histoire.
Une bonne porte d'entrée, l'abbaye d'Arthous, qui conduit naturellement à découvrir les berges inondables de l'Adour et des Gaves réunis, appelées localement barthes [3]. Ici, encore plus précisément qu'ailleurs, la toponymie rend compte des paysages naturels et raconte leur aménagement ; de la barthe sauvage à la description d'espaces à vocation agro-pastorale, tout est mentionné dans les seuls noms de lieux de la petite bastide d'Hastingues.
La nature du sol tout d'abord, où sont clairement mentionnés terres inondables et lieux secs : Ribèrebielle (Ribèra vièlha), "ancien lit du cours d'eau", Bagnerec (Banherec), "lieu de baignade", Laubardera (Laur Barderar), "terre vague marécageuse", Haudric (Haudrec), "terre détrempée", qui s'opposent au terme générique sèca, "terre sèche", qui se retrouve dans Sèque dou Pattou (Sèca deu Paton), et Au Sèque a Lahire (Sèca a Lahire) déterminés par des noms de personnes. Lié à ce milieu, Laubadère (l'Aubadèra), signale des "aubiers" et saussaies appelées aussi saligas, tandis que Au Daverat (Au d'Averat), rappelle l'existence de "noiseraies".
La mise en valeur des terres se lit par ailleurs dans tous les endroits qui ont été drainés : Au Gran Barrat (Au Gran Barrat), Au Barrat de la Borde (Au Barrat de la Bòrda), "fossé de la ferme", Au Barat de bac, altération du gascon barrat devath, "fossé du nord", et sa forme diminutive Barradot (Barradòt), "fossés" accompagnant les travaux de défrichements qui se devinent dans Charticot, Las Bousigues, A Boudigue et Treytin, bien présents dans le lexique gascon sous les formes eisharticòt, bosiga ou bodiga et treitin [4].
Vouées aux pâtures et à une agriculture vivrière, pièces de terre labourable et prairies se déclinent dans les microtoponymes Bois du Bedat (Bòsc deu Vedat), "bois du défens", Auprat (Au Prat), Candeprat (Cant de Prat), "bout du champ", Gran Cam (Gran Camp), "grand champ" et Au Verger tandis que Au Mouliac (Au Moliat), garde le souvenir d'un moulin.
Occupées depuis la Préhistoire, comme en témoignent les vestiges de l'abri Duruty, les barthes, terres meubles et fragiles, soumises aux aléas des crues, constituent un paysage bien maîtrisé, façonné par les hommes qui ont su le valoriser en en respectant le fonctionnement naturel. Ainsi, depuis les opérations de drainage opérées au XVIIIe siècle, l'espace imparti aux cultures et à l'habitat s'insère harmonieusement dans ce contexte particulier caractérisé par l'omniprésence de l'eau : fermes à grand porche conçues pour faire face aux inondations, prairies de pacage en partie basse et cultures plus en hauteur.
Un bel exemple d'adaptation de l'homme au milieu : au bord de l'eau, dans les barthes drainées mais arborées, des chevaux qui nettoient et des chasseurs qui veillent à l'équilibre de la faune ; plus haut, des cultures intensives de maïs et de kiwis, le tout régi par des agriculteurs fiers d'un habitat traditionnel original qu'ils ont su préserver.
[1] BOYRIE-FENIE, Bénédicte, Dictionnaire toponymique des communes des Landes et du Bas-Adour, Pau : éditions Cairn / In'Oc, 2005, 285 pages.
[2] Bastide fondée en 1281 à la suite d'un paréage entre l'abbé d'Arthous et le sénéchal de Hastings, représentant le roi Édouard Ier d'Angleterre.
[3] Mot prélatin passé au gascon sous la forme barta désignant des terres inondables en bord de rivière, domaine des saussaies, oseraies et autres strates arbustives adaptées à ce milieu.
[4] BOYRIE-FENIE, Bénédicte et FENIE, Jean-Jacques, Toponymie des pays occitans, Bordeaux : éd. Sud-Ouest, 2007, 479 pages.