La presse issue de la Résistance
05 septembre 1944
02m 27s
Réf. 00042
Notice
Résumé :
André Diligent nous raconte comment, quelques jours après la Libération, la presse issue de la Résistance a commencé à paraître au grand jour. Les anciens titres avaient été interdits car ils avaient servi de véhicule à la propagande allemande.
Type de média :
Date de diffusion :
07 octobre 1974
Date d'événement :
05 septembre 1944
Source :
ORTF
(Collection:
Magazine de la vie régionale
)
Personnalité(s) :
Thèmes :
Lieux :
Éclairage
Contrairement à la première guerre mondiale où la presse de la zone occupée s’était tue, en 1940, des titres préfèrent, même sous étroite surveillance, reprendre la parole. Le Grand Écho est sans illusion et prévient ses lecteurs : "il fera paraître autant d’informations de toutes natures qu’il lui sera possible". Les gens ne sont pas dupes sur la confiance à accorder à leur presse.
Dans son n° 32 du 20 mai 1942, le journal clandestin La Voix du Nord s’en prend au vieux quotidien lillois L'Echo : "Au moment de l’occupation ennemie, la presse régionale s’est trouvée devant un grand problème. Nous connaissons les tractations qui eurent lieu, pour continuer à paraître et à occuper le personnel, L’Écho avait accepté de publier les informations allemandes, en les présentant comme des communiqués des autorités d’occupation. Il n’a pas tardé à sortir de ce cadre bien limité, et glissant petit à petit sur la pente de la lâcheté, il a tout permis à l’ennemi et L’Écho est devenu un journal allemand". La direction politique des quotidiens lillois est confiée à des journalistes débarqués de Paris : Charles Tardieu au Grand Écho, Leclercq au Réveil du Nord et Tulliez au Journal de Roubaix. Les articles de Tardieu sont la cible régulière de La Voix du Nord.
Avec la Résistance apparaît la presse clandestine. Les communistes sortent L'Enchaîné en juillet 1940, mais si certains journaux furent les premiers à entretenir la flamme de l’espoir alors que le sentiment qui prévalait était encore l’abattement, aucun ne peut se prévaloir de la notoriété, de la durée atteintes par La Voix du Nord, né de la rencontre de deux hommes, Natalis Dumez, du parti chrétien Le Sillon et Jules Noutour syndicaliste policier. Tous deux participent à des filières d’évasion et de renseignements depuis juillet 1940. Le premier numéro paraît le 1er avril 1941. Le journal affiche immédiatement son soutien au général de Gaulle et dénonce l’attitude du maréchal Pétain. Le 7 septembre 1942, Natalis Dumez est arrêté à Lezennes, chez les Duriez où était imprimé le journal, et condamné à quatre ans de forteresse. Jules Noutour prend alors le relais à la direction du journal. Il est arrêté à son tour le 8 septembre 1943, déporté en Allemagne, il meurt au camp de Gross-Rosen en février 1945.
Les espoirs d’un débarquement allié se faisant plus forts, d’autres feuilles clandestines se créent notamment à partir de 1943 : le Comité du Nord et du Front national ( communistes) lance en août Le Nord libre, tandis que le Mouvement de Libération Nationale (MLN) sort Libération du Nord et du Pas-de-Calais en juillet 1944.
L’occupation n’empêche pas de penser à la presse d’après-guerre. Peu après son installation dans le département du Nord par Francis-Louis Closon, le 6 novembre 1943, le comité départemental de Libération (CDL) évoque le problème de la presse. Il charge Jean Catrice, futur commissaire régional à l’information, d’étudier le problème.
En avril 1944, il est décidé que les anciens titres de presse ne peuvent plus paraître et doivent être remplacés par d’autres titres, sous prétexte qu’ils ont servi de véhicule à la propagande allemande.
Le 5 septembre, de nouveaux titres, autorisés par délégation par un jeune commissaire adjoint à l’information, André Diligent, paraissent à Lille, Nord Matin, La Voix du Nord, et L’Enchaîné qui devient Liberté (et qui se partagent les anciens locaux du Grand Echo Grand Place) et à Roubaix Nord-Éclair. Seule survivante de la presse d’avant-guerre, La Croix du Nord est proposée avec un jour de retard sur ses concurrents.
Journaux et journalistes ont payé cher leurs compromissions avec l’occupant. Dans la région, c’est le cas du Grand Écho, Le Réveil du Nord, Le Journal de Roubaix ou L’Écho du Nord. En France, au total 653 titres sur 1 289 disparaissent à la Libération. Ce sont tous les quotidiens qui ont continué à paraître sous l’Occupation et se sont retrouvés sous le contrôle allemand . Ils laissent la place à une presse totalement nouvelle dont certains titres sont issus de la clandestinité qui se veut respectueuse des équilibres politiques apparus dans la Résistance : communistes, socialistes, démocrates chrétiens, gaullistes… Seule La Croix du Nord, qui n’avait pas obtenu de l’occupant l’autorisation de reparaître, échappe à la déchéance.
Le 5 septembre, 48 heures après la libération de la ville et l’entrée des chars de la 11e division britannique à Lille, La Voix du Nord publie un numéro 66, le premier de la liberté, avec un grand titre attendu sur six colonnes : "La région du Nord est libre" et un éditorial signé Jules Houcke. Nord Éclair titre quant à lui "Nous retrouvons la liberté" sur fond de croix de Lorraine.
La liberté et l’indépendance de la presse furent payées au prix fort : la prison, la torture, les camps de la mort pour plus de 530 personnes qui ont écrit, imprimé et diffusé ces journaux.
Cependant, les lendemains de la Libération connurent des moments sombres et douloureux. Quand Natalis Dumez est libéré des camps allemands en 1945, il trouve à son retour au poste de rédacteur en chef, non pas un un membre du mouvement Voix du Nord, mais un ancien journaliste de l’agence -collaborationniste- Havas, Léon Chadé, recruté par J Houcke. Le journal occupe les locaux et l’imprimerie du Grand Echo du Nord dont les effectifs ont également été repris. Une société en commandite par actions "La Voix du Nord - Houcke et Cie" a été créée, composée d’actionnaires issus des milieux financiers et industriels. Pour Dumez, La Voix du Nord s’est éloignée de l’esprit de la Résistance. Plus grave, les anciens résistants et déportés ne peuvent accéder au capital du journal. Se sentant floués, Dumez et d’autres membres du réseau, créent l’association des Résistants Voix du Nord ; ils vont mener, avec l’aide de leur avocat André Diligent, une des batailles juridiques les plus longues de l'histoire de la presse. Après 30 ans de procédure, ils finiront par obtenir le versement de dommages.
Source :
Visse Jean-Paul, La Presse du Nord et du Pas-de-Calais au temps de l’Écho du Nord (1819-1944), Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, 279 p.
Dans son n° 32 du 20 mai 1942, le journal clandestin La Voix du Nord s’en prend au vieux quotidien lillois L'Echo : "Au moment de l’occupation ennemie, la presse régionale s’est trouvée devant un grand problème. Nous connaissons les tractations qui eurent lieu, pour continuer à paraître et à occuper le personnel, L’Écho avait accepté de publier les informations allemandes, en les présentant comme des communiqués des autorités d’occupation. Il n’a pas tardé à sortir de ce cadre bien limité, et glissant petit à petit sur la pente de la lâcheté, il a tout permis à l’ennemi et L’Écho est devenu un journal allemand". La direction politique des quotidiens lillois est confiée à des journalistes débarqués de Paris : Charles Tardieu au Grand Écho, Leclercq au Réveil du Nord et Tulliez au Journal de Roubaix. Les articles de Tardieu sont la cible régulière de La Voix du Nord.
Avec la Résistance apparaît la presse clandestine. Les communistes sortent L'Enchaîné en juillet 1940, mais si certains journaux furent les premiers à entretenir la flamme de l’espoir alors que le sentiment qui prévalait était encore l’abattement, aucun ne peut se prévaloir de la notoriété, de la durée atteintes par La Voix du Nord, né de la rencontre de deux hommes, Natalis Dumez, du parti chrétien Le Sillon et Jules Noutour syndicaliste policier. Tous deux participent à des filières d’évasion et de renseignements depuis juillet 1940. Le premier numéro paraît le 1er avril 1941. Le journal affiche immédiatement son soutien au général de Gaulle et dénonce l’attitude du maréchal Pétain. Le 7 septembre 1942, Natalis Dumez est arrêté à Lezennes, chez les Duriez où était imprimé le journal, et condamné à quatre ans de forteresse. Jules Noutour prend alors le relais à la direction du journal. Il est arrêté à son tour le 8 septembre 1943, déporté en Allemagne, il meurt au camp de Gross-Rosen en février 1945.
Les espoirs d’un débarquement allié se faisant plus forts, d’autres feuilles clandestines se créent notamment à partir de 1943 : le Comité du Nord et du Front national ( communistes) lance en août Le Nord libre, tandis que le Mouvement de Libération Nationale (MLN) sort Libération du Nord et du Pas-de-Calais en juillet 1944.
L’occupation n’empêche pas de penser à la presse d’après-guerre. Peu après son installation dans le département du Nord par Francis-Louis Closon, le 6 novembre 1943, le comité départemental de Libération (CDL) évoque le problème de la presse. Il charge Jean Catrice, futur commissaire régional à l’information, d’étudier le problème.
En avril 1944, il est décidé que les anciens titres de presse ne peuvent plus paraître et doivent être remplacés par d’autres titres, sous prétexte qu’ils ont servi de véhicule à la propagande allemande.
Le 5 septembre, de nouveaux titres, autorisés par délégation par un jeune commissaire adjoint à l’information, André Diligent, paraissent à Lille, Nord Matin, La Voix du Nord, et L’Enchaîné qui devient Liberté (et qui se partagent les anciens locaux du Grand Echo Grand Place) et à Roubaix Nord-Éclair. Seule survivante de la presse d’avant-guerre, La Croix du Nord est proposée avec un jour de retard sur ses concurrents.
Journaux et journalistes ont payé cher leurs compromissions avec l’occupant. Dans la région, c’est le cas du Grand Écho, Le Réveil du Nord, Le Journal de Roubaix ou L’Écho du Nord. En France, au total 653 titres sur 1 289 disparaissent à la Libération. Ce sont tous les quotidiens qui ont continué à paraître sous l’Occupation et se sont retrouvés sous le contrôle allemand . Ils laissent la place à une presse totalement nouvelle dont certains titres sont issus de la clandestinité qui se veut respectueuse des équilibres politiques apparus dans la Résistance : communistes, socialistes, démocrates chrétiens, gaullistes… Seule La Croix du Nord, qui n’avait pas obtenu de l’occupant l’autorisation de reparaître, échappe à la déchéance.
Le 5 septembre, 48 heures après la libération de la ville et l’entrée des chars de la 11e division britannique à Lille, La Voix du Nord publie un numéro 66, le premier de la liberté, avec un grand titre attendu sur six colonnes : "La région du Nord est libre" et un éditorial signé Jules Houcke. Nord Éclair titre quant à lui "Nous retrouvons la liberté" sur fond de croix de Lorraine.
La liberté et l’indépendance de la presse furent payées au prix fort : la prison, la torture, les camps de la mort pour plus de 530 personnes qui ont écrit, imprimé et diffusé ces journaux.
Cependant, les lendemains de la Libération connurent des moments sombres et douloureux. Quand Natalis Dumez est libéré des camps allemands en 1945, il trouve à son retour au poste de rédacteur en chef, non pas un un membre du mouvement Voix du Nord, mais un ancien journaliste de l’agence -collaborationniste- Havas, Léon Chadé, recruté par J Houcke. Le journal occupe les locaux et l’imprimerie du Grand Echo du Nord dont les effectifs ont également été repris. Une société en commandite par actions "La Voix du Nord - Houcke et Cie" a été créée, composée d’actionnaires issus des milieux financiers et industriels. Pour Dumez, La Voix du Nord s’est éloignée de l’esprit de la Résistance. Plus grave, les anciens résistants et déportés ne peuvent accéder au capital du journal. Se sentant floués, Dumez et d’autres membres du réseau, créent l’association des Résistants Voix du Nord ; ils vont mener, avec l’aide de leur avocat André Diligent, une des batailles juridiques les plus longues de l'histoire de la presse. Après 30 ans de procédure, ils finiront par obtenir le versement de dommages.
Source :
Visse Jean-Paul, La Presse du Nord et du Pas-de-Calais au temps de l’Écho du Nord (1819-1944), Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, 279 p.
Martine Aubry
Transcription
(bruit)
Claude Laplaud
Le 5 septembre, la presse issue de la Résistance apparaît au grand jour, c’est le triomphe de la liberté. Une longue bataille clandestine au cours de laquelle sont tombés des centaines d’hommes et de femmes, journalistes, imprimeurs, diffuseurs, qui avaient combattu avec leurs faibles moyens la presse de la collaboration. À l’asservissement, à la notion du vivre à genoux, ils ont répondu par des messages d’espoir, ils ont mobilisé les énergies. Ces messages, ces appels, ils les ont écrits bien souvent avec leur sang.André Diligent
Il avait été décidé par les ordonnances du, de l’Assemblée Consultative d’Alger et du gouvernement provisoire en avril, je crois, 44, que les anciens titres, sauf exception légitime, ne pourraient plus paraître. Selon une phrase qui était, je crois, de Malraux, ils étaient enfouis dans la fosse commune des déshonneurs nationaux. Ça, c’était un point de vue, il fallait de nouveaux journaux puisque les anciens journaux avaient servi de véhicule à la propagande allemande ; je ne porte pas de jugement de valeur, je constate. Il fallait donc que cette ancienne presse soit remplacée par une nouvelle. Mais qui pouvait se targuer du droit de faire paraître un nouveau journal étant donné la pénurie de papier, étant donné tous les problèmes élémentaires que reposait la parution d’un nouveau journal. C’est là qu’il a été décidé de créer quelques autorisations de paraître. Et c’est ainsi que Nord Matin, La Voix du Nord, Nord Éclair, Liberté, Nord Libre ont eu l’autorisation de reparaître dès le 3 ou 4 septembre, je crois qu’ils sont parus le 5 septembre 1944.Claude Laplaud
Et c’est vous qui avez signé cet acte ?André Diligent
C’est moi qui ai signé, par procuration du préfet de l’époque, du commissaire de la République de l’époque, l’autorisation de paraître pour ces nouveaux journaux dont certains ont survécu et dont d’autres ont disparu.(musique)