Jean Stablinski, l'ancien mineur devenu cycliste

22 septembre 1962
02m 46s
Réf. 00051

Notice

Résumé :

Rencontre dans le Nord avec le champion du monde cycliste Jean Stablinski dans son domicile. Après avoir joué un air d'accordéon, il se confie à Robert Chapatte. Il évoque sa vie de mineur, qui a précédé celle de coureur cycliste.

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Date de diffusion :
22 septembre 1962
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Éclairage

Né le 21 mai 1932 à Thun-Saint-Amand dans le Nord, Jean Stablewski (1) est issu d'une famille polonaise modeste. Arrivé en France en 1924, son père Martin Stablewski, décède en 1940. Au lendemain de la guerre, Jean est obligé d'interrompre ses études pour s'engager dans la zinguerie locale à l'âge de 14 ans. Joueur d'accordéon, c'est à l'Harmonie de Lecelles qu'il rencontre un cycliste qui lui fait découvrir le cyclisme. Contre l'avis de sa mère, il achète un vélo et commence la compétition. Membre du club de la Pédale Thunoise, puis des Écureuils de Saint-Amand-les-Eaux, il enregistre en 1947 une première victoire lors d'une course locale à Gaurain-Ramecroix. Naturalisé français en 1948, il remporte trois victoires, puis six en 1949 et quatorze en 1950 dont l'édition du Grand Prix des Flandres. Quittant la zinguerie pour les mines de Bellaing en 1950, sa carrière de mineur est courte puisqu'il rejoint au bout de trois mois l'école du bâtiment d'Hérin pour y apprendre le métier de cimentier. C'est dans cette période que, dans un article qui lui est consacré dans La Voix des Sports, on orthographie son nom "Stablinski", nom qui restera pendant toute sa carrière de cycliste.

Recruté par les établissements Fortier de Valenciennes, il est contacté en 1952 par le Consul de Pologne pour disputer la "Course de la paix" (Varsovie/Berlin/Prague) et intégrer l'équipe des cyclistes du Nord de la France d'origine polonaise. Rentré vainqueur de deux étapes, il est alors repéré par un dirigeant de l'équipe Gitane-Hutchinson qui lui fait signer un contrat d'aspirant en septembre 1952. Tout en accomplissant ses obligations militaires à Verdun, il multiplie les courses et critériums et s'affirme comme l'un des meilleurs coureurs de sa génération.

Son impressionnant palmarès (participation à 12 Tours de France, 4 Tours d'Italie, 3 Tours d'Espagne, un titre de Champion du Monde en 1962, 4 titres de Champion de France sur route, etc.) en fait l'un des rivaux, puis coéquipier de Jacques Anquetil, lorsqu'il rejoint l'équipe Saint-Raphaël-Helyett-Hutchinson en 1962, dirigée par Raphaël Geminiani. Après un passage dans d'autres équipes professionnelles (Ford et Bic), il terminera sa carrière comme directeur sportif de Mercier (en remplacement d'Antonin Magne), puis de Solonor dans laquelle il fait débuter Lucien Van Impe et Bernard Hinault.

Il s'installe alors comme vendeur de vélos à Valenciennes ; il décède le 22 juillet 2007.

Féru d'accordéon (l'animation de bals et de mariages lui permettait de compléter ses revenus dans sa jeunesse), il incarne l'une des figures du cyclisme de compétition de cette France des Sixties, qui se passionne alors pour les exploits des " forçats de la route", en suivant devant le petit écran les étapes du Tour de France.

Le Conseil régional du Nord - Pas-de-Calais et ses partenaires publics à la demande de la ville de Roubaix décident en 2006, en hommage à Jean Stablinski l'un des champions cyclistes les plus populaires de la Région, la construction d'un nouveau vélodrome à Roubaix qui porte son nom. La construction du "Vélodrome couvert régional Jean Stablinski" a commencé en décembre 2010. Il a ouvert ses portes en septembre 2012 pour accueillir le grand public ainsi que les athlètes de haut niveau dans les domaines du paracyclisme et cyclisme sur piste, du BMX et du badminton.

(1) Biographie issue de l'ouvrage de Cathy Stablinski, Pascal Sergent, Jean Stablinski, Une vie extraordinaire, éd. Alan Sutton, 2010.

Olivier Chovaux

Transcription

(Musique)
Robert Chapatte
Jean Stablinski vous n’envisagez pas de reprendre l’accordéon dans les bals de la région de Valenciennes, non ?
Jean Stablinski
Non, non, mais quand même, j’aime quand même l’hiver de jouer devant tous les amis surtout les soirées.
Robert Chapatte
Vous étiez jeune à l’époque, quand vous faisiez ça dans les bals ?
Jean Stablinski
Oh oui, j’avais 14, 15 ans mais c’est surtout dans les mariages que je faisais ça.
Robert Chapatte
Et c’était pour gagner un peu plus d’argent ?
Jean Stablinski
Oui, ça me, à cette époque-là je gagnais 2000 Francs par soirée, donc ça !
Robert Chapatte
Et combien à la mine ?
Jean Stablinski
Ah, à la mine, c’était difficile, je ne me souviens plus bien du salaire mais enfin, c’était quand même plus dur.
Robert Chapatte
Avant de revenir à la mine, parce que vous avez bien voulu aller y faire une visite pour nous, j’aimerais un peu connaître le Jean Stablinski nouveau champion du monde. Vous savez que Jacques Anquetil, sans méchanceté d’ailleurs, dit, Jean a bien du mal à se faire à son nouveau rôle de champion du monde, il est un peu perdu pour l’instant, c’est vrai ?
Jean Stablinski
Non, non, perdu non, je commence à m’y faire parce que malgré tout, j’ai quand même été deux fois champion de France sur le plan national, mais enfin, on s’y fait quand même.
Robert Chapatte
Jean, quand vous allez à la mine, est-ce que vous en êtes ému, est-ce que vous ressentez quelque chose d’assez particulier ?
Jean Stablinski
Oui, parce que j’y étais au fond de la mine et il faut vraiment y aller pour connaître qu’est-ce que c’est le fond de la mine. C’est vraiment, c’est difficile d’ailleurs, on ne voit pas le jour bien sûr. Et moi, j’y ai été, alors je me rends compte. Quand je vois tous ces mineurs qui, ils ont eu une journée au fond de la mine, eh bien moi, quand je suis sur un vélo, que je souffre à ce moment-là je me dis : Mais si tu serais à la mine, dans le fond, tu souffrirais peut-être encore plus, alors c’est ce qui me donne le moral.
Robert Chapatte
Quel âge aviez-vous lorsque vous descendiez au fond ?
Jean Stablinski
J’avais 18 ans, 19 ans. Enfin, je n’y ai pas resté longtemps, trois mois seulement.
Robert Chapatte
Votre frère y est toujours ?
Jean Stablinski
Oui, oui, mon frère y est toujours.
Robert Chapatte
Vous allez les visiter des fois ceux qui étaient autrefois vos copains et que retrouvez avec plaisir, il y a des changements notables dans l’organisation des mines maintenant, dans le travail ?
Jean Stablinski
Oui, c’est très modernisé depuis quatre ans maintenant, d’ailleurs j’ai été voir à Sabatier, j’y ai été revoir mes amis là-bas, des copains qui y travaillent encore.
Robert Chapatte
Dès que vous avez songé à faire du sport, vous avez eu envie de devenir coureur cycliste, c’était pour vous le seul moyen de quitter la mine ?
Jean Stablinski
Eh bien non, parce que j’ai quand même été six mois à l’école pour apprendre le cimentier, mais enfin, c’est quand même le vélo qui m’a sorti de l’ordinaire quoi.
Robert Chapatte
Et dès le début, vous avez eu l’envie de devenir un champion, pas autre chose ?
Jean Stablinski
Non, c’est-à-dire que devenir un champion tout débutant, je veux dire, mais enfin, j’ai vu que j’avais des possibilités quand j’ai été courir la Course de la Paix classique par épreuves en 1952 où j’ai gagné deux étapes et j’ai terminé troisième. Et au Tour de Belgique d’ailleurs, cette année-là, j’ai gagné deux étapes aussi.