François Mitterrand
Mais tous les Socialistes, et c’est le deuxième point que je veux traiter pour nos auditeurs, tous les Socialistes sont des démocrates.
C’est-à-dire qu’ils acceptent un certain nombre de données qui ont été définies il y a bien longtemps, notamment, parce que c’est l’exemple le plus clair, par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 1789, et puis tout ce qui a suivi.
À savoir qu’il existe des droits individuels, une souveraineté populaire et que chaque citoyen est libre et égal en droit.
Alors, à partir de là, comme nous sommes une organisation socialiste et démocratique, je dis ça pour être clair, parce que quand on a dit Socialiste, on a dit démocratique, on ne peut pas être Socialiste sans être démocrate.
À partir de là, bien entendu, un socialiste, dans sa propre organisation, garde tous ses droits de citoyen.
Alors il y a des courants, il y a des tendances.
Claude Lefèvre
Il y a même des organisations, une organisation, Monsieur Mitterrand
François Mitterrand
C’est le point sur lequel nous allons en venir, c’est-à-dire que comme toujours, chaque, chaque type d’existence comporte en soi-même son contraire.
Et la démocratie, qui est un statut politique désirable, qui n’est jamais tout à fait atteint puisque ce sont des hommes très imparfaits qui la mettent en application ;
mais tout de même, on essaie, on s’y efforce, on est fidèle à soi-même, mais on y croit.
Quelquefois des groupes se constituent à l’intérieur, et souvent à l’intérieur, et c’est presque une seconde nature.
À l’intérieur de cette, de ce mouvement continu se créent des fractions.
Le droit et la capacité de dire tout ce que l’on pense à tout moment qui est la loi même de la démocratie, peut permettre des coalitions.
Après tout, pourquoi pas si on pense comme d’autres.
Et il est naturel qu’un parti ne se divise pas en 160 000 courants, autant qu’il y a d’individus.
Mais ils s’agglomèrent selon une grande idée, la capacité de certains leaders, une circonstance qui les unit particulièrement, qui les fait s’opposer entre eux.
Alors, il y a un moment où cela peut devenir dangereux pour l’organisation mère, c’est le moment où s’organisent des fractions à partir de ce libre jeu de la démocratie.
Claude Lefèvre
Est-ce que c’est le cas du CERES, Monsieur Mitterrand ?
François Mitterrand
On ne peut pas dire cela, on ne peut pas dire cela.
Le CERES, comme tout autre courant du Parti Socialiste, car il se crée naturellement une dialectique entre courants, qui fait que l'un, pour se défendre de ce qu’il estime être les empiétements de l’autre, finit par faire comme l’autre.
Et il y a donc absolument nécessité qu’existe une règle du jeu.
Quelle est l’association sportive qui n’a pas ses statuts ?
Et on discute beaucoup, vous savez, autour des comités directeurs, je suis sûr, de Saint-Étienne, de Nantes, ou d’une équipe de tennis ou d’une équipe de basket-ball.
Et ben, c’est pareil dans un parti politique.
Claude Lefèvre
Vous allez discuter de ces statuts à Nantes ?
François Mitterrand
On va discuter non pas des statuts, les statuts sont établis, de l’application des statuts.
On a un article 4 de nos statuts, vous voyez, il se trouve tout à fait au haut de la hiérarchie, tout au début.
Cet article 4 qui dit que toute expression est libre et que toute fraction organisée est interdite.
Mais cet article de nos statuts n’a jamais eu d’application, de règlement d’application.
Comment s’y prendre pour allier ces deux définitions apparemment contraires.
Voilà c’est tout et c’est ce que nous allons faire.
Claude Lefèvre
Si je comprends bien, vous souhaitez davantage une intégration du CERES, que sa disparition.
François Mitterrand
Ceux qui ont dit, ceux qui ont dit, ceux qui ont dit que cela avait un aspect disciplinaire se sont trompés, ou bien, ont voulu faire de ces mots un usage polémique.
Non, pour éviter que l’on en arrive à des mesures disciplinaires, il faut établir la règle du jeu.
Il ne peut y avoir indiscipline que lors que la règle du jeu est fixée.
Le Congrès de Nantes a, en particulier pour objet, car il y a bien d’autres choses à faire, notamment à faire de la politique et à définir les grands choix politiques actuels.
Le Congrès de Nantes a particulièrement pour objet de définir ces règles du jeu.
Claude Lefèvre
Si ces règles du jeu étaient enfreintes, vous prendriez des mesures disciplinaires ?
François Mitterrand
Mais ça c’est le cas de toute formation politique, Monsieur, vous, peut-être perdons-nous un peu trop de temps sur ce sujet parce que ça va de soi.
Quelle est la société humaine, quelle est l’organisation démocratique qui ne doit pas en même temps attendre de ses membres qu’ils respectent la loi commune ?
Mais nous n’en sommes pas là.
Et vous avez dit un mot tout à l’heure que j’ai retenu, comment se fait-il que se pose le problème dans un Parti Socialiste unifié, de tendances, quand on parle d’unité.
Mais l’unité n’est en rien menacée.
L’un de mes camarades a dit ce matin dans un journal une formule excellente, il a dit, le problème de l’unité n’est absolument pas posé, c’est le problème de la cohésion.
Personne ne songe à quitter le Parti Socialiste et personne ne songe à en chasser qui que ce soit.
Mais il faut pourvoir vivre ensemble de telle sorte que ce parti, qui a déjà si bien réussi qu’il est devenu le premier parti de France en 6 ans, puisse répondre à l’attente des Français, aborder lucidement les grands problèmes, les traiter calmement et surtout s’apprêter à gouverner.
Claude Lefèvre
J’entendais Claude Estier hier soir, dans le cadre de la Tribune Libre de FR3, parler à nouveau du premier parti de France.
Vous venez de me confirmer qu’il y avait actuellement un peu plus de 160000 cartes d’adhérents au Parti Socialiste.
François Mitterrand
Il y a beaucoup plus de cartes.
Claude Lefèvre
Il y a beaucoup plus de cartes.
François Mitterrand
Elles sont prêtes à être distribuées mais il y a 160000 adhérents.
Claude Lefèvre
On connaît des partis, Monsieur Mitterrand, qui ont plus de 160000, alors à partir de quel critère êtes-vous le premier parti en France ?
François Mitterrand
Le critère que, le critère que nous employons, qui mérite en effet d’être précisé, parce qu’il doit nous inciter à la fois à beaucoup de satisfaction et en même temps à quelque humilité, c’est, euh… Nous sommes le premier parti de France par le nombre de nos électeurs, et par, de plus en plus, par le nombre de nos élus.
Par le nombre de nos électeurs, c’est démontré, c’est démontré par les élections cantonales de l’année dernière, les élections municipales de cette année.
Et autant qu’on puisse parler de démonstration scientifique, bien que cela ne soit pas indifférent, par tous les sondages.
D’ailleurs, tous les Français le savent, le premier, le Parti Socialiste est vraiment le parti qui se situe loin devant tous les autres partis politiques par l’adhésion, l’adhésion des Français.
Bon, cela ne veut pas dire pour autant qu’il soit dans tous les domaines le plus fort et le premier.
Il a besoin d’approfondir sa réflexion, il a besoin d’accroître le nombre de ses militants, il a besoin d’améliorer son organisation, c’est ce qui incite à l’humilité.
Mais quand je compare ce qui est en 1977 à ce qui était en 1971, j’ai tout lieu d’être optimiste.
Claude Lefèvre
Certains de vos concurrents, Monsieur François Mitterrand, vous rapprochent de vouloir faire du Parti Socialiste un peu un parti attrape-tout en ce moment.
François Mitterrand
Oui, c’est un terme qui est dans toutes les bouches et ceux qui l’emploient ne savent même pas ce que ça veut dire, même quand ils sont académiciens.
D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi j’ajoute même quand ils sont académiciens parce que cela ne veut pas dire non plus grand-chose.
À vrai dire, le Parti Socialiste cherche à attraper tous les socialistes, tous ceux qui peuvent se reconnaître dans le socialisme.
Claude Lefèvre
Vous ne craignez pas un certain opportunisme à l’approche des élections,
François Mitterrand
Et puis, mais comment ?
Tous ceux, tous les électeurs sont conviés, tous les citoyens, sont conviés à devenir socialistes.
Si nous arrivions à les convaincre de l’être, quelle joie ce serait pour nous.
Et nous n’excluons personne, sauf ceux, bien entendu, dont les engagements seraient contradictoires, ou ceux dont le comportement social, économique ou social fait d’eux des exploiteurs.
Ceux-là n’ont évidemment rien à faire chez nous, d’ailleurs ils n’y songent pas, ils ne font que nous combattre.
Mais je voudrais répondre d’une façon encore plus précise.
Nous sommes, alors rejetons les mots attrape-tout qui ont un côté péjoratif, disons que nous sommes un parti qui entend conquérir l’adhésion intellectuelle et le, et engageant toute sa personne dans sa vie civique naturellement, du maximum de Français.
Mais même ceux qui ne sont pas socialistes, les indifférents ;
on va dire certains de nos adversaires d’aujourd’hui dont les conditions de vie sont semblables à celles d’autres millions d’exploités ;
qui ne savent pas simplement, qui ont besoin eux d’avoir le choc ou la révélation que nous avons eue nous, qui ont besoin d’apprendre ce que nous avons déjà appris, ceux-là aussi sont les bienvenus.
Est-ce que ce serait une faute que de vouloir les attraper ?
Mais en fait, qu’est ce que c’est la démocratie ?
On dirait que tous ceux qui parlent comme ça ne savent plus ce que c’est, et j’emploierais d’ailleurs une expression que j’emprunterais à Krasucki, vous savez, le Secrétaire adjoint de la CGT, qui est une personnalité communiste et qui disait il y a quelques temps, parlant de l’armée, "Où recrute-t-on les militaires sinon parmi les civils ?"
Et où voulez-vous que nous recrutions les socialistes sinon parmi ceux qui ne le sont pas ?
Claude Lefèvre
Il semble que le Congrès de Nantes va vous permettre de passer, en tout les cas, je vous, les observateurs ont cette impression, d’un parti d’opposition à un parti qui se prépare à gouverner la France en mars 1978 si...
François Mitterrand
Et il le faut bien, hein.
Claude Lefèvre
Si vous gagnez les élections en 78.
François Mitterrand
Il le faut bien puisque les probabilités sont nombreuses et grandes, fortes, il le faut bien.
Claude Lefèvre
Alors, vous allez…
François Mitterrand
Vous savez bien que tout le monde le pense.
Claude Lefèvre
Vous allez créer de nouvelles structures.
François Mitterrand
Je ne vous demande pas votre avis, bien entendu.
Claude Lefèvre
Vous allez créer de nouvelles structures, Monsieur Mitterrand, dans le parti et de nouvelles règles, en particulier une règle sur les cumuls de fonctions.
François Mitterrand
Oui, ce sont quand même des détails.
Claude Lefèvre
Ce sont des détails mais…
François Mitterrand
Ce sont des détails oui.
Enfin, ils peuvent avoir en effet leur importance le jour où….
Le Parti Socialiste continuera d’être ce qu’il est, quelque situation qui se produise en mars 1978.
Nous sommes encore dans l’opposition, nous lutterons comme aujourd’hui, simplement avec beaucoup plus de députés, puisque de toute façon nous serons, nous, Socialistes, très nombreux dans le prochain Parlement, c’est évident.
Nous serons au gouvernement, il y aura bien d’un côté le Parti Socialiste qui lui, a une autre vocation, qui a la vocation de durer à travers le temps tandis qu’un gouvernement, même s’il a l’ambition de rester là autant qu’il le faut pour achever sa tâche, l’achève-t-on jamais d’ailleurs, une législature, ça dure 5 ans, n’exagérons pas nos ambitions.
Donc le Parti Socialiste, lui, a une vocation permanente, il faut donc distinguer les choses.
Mais le passé, en particulier l’expérience du Front Populaire, puis plus encore je pense, les quelques gouvernements à direction socialiste ;
il n’y a pas eu de gouvernement socialiste sous la Quatrième République mais il y a eu quelques Présidents du Conseil socialistes qui dirigeaient les coalitions ;
nous a montré cette expérience que il était dommageable, non seulement au Parti Socialiste mais au développement du socialisme, que de confondre trop étroitement la fonction gouvernementale, la confondre dans les personnes, la fonction gouvernementale et la fonction de dirigeant de parti.
Voilà pourquoi nous avons proposé, j’ai proposé, que si nous l’emportons aux élections et si nous avons une représentation au sein du gouvernement, comme s'en sera la conséquence naturelle, on ne puisse être à la fois membre du gouvernement et membre du secrétariat national du Parti Socialiste.
C’est-à-dire, membre du tout petit groupe d’hommes, nous sommes, et de femmes, nous sommes 15, qui sont chargés de l’exécution des décisions de nos organismes dirigeants afin d’éviter toute altération de part et d’autre.
Mais nous permettons que, et nous continuons de permettre que les membres du gouvernement puissent appartenir au bureau exécutif, qui est un organisme supérieur de délibération et de décision.
Claude Lefèvre
Ça, c’est pour les structures, une partie des structures, voyons le fond.
Vous allez rencontrer la base du parti à Nantes, en fait un congrès...
François Mitterrand
Je la rencontre en fait toutes les semaines, presque tous les jours.
Claude Lefèvre
Oui, mais là, vous allez en rencontrer beaucoup d’un seul coup, Monsieur François Mitterrand.
François Mitterrand
D’un seul coup, oui.
Claude Lefèvre
Et vous allez écouter cette base, je pense qu’il y aura des commissions comme dans tous les congrès de parti, et qu’il y aura des propositions faites par la base.
François Mitterrand
Les propositions, elles sont déjà faites, n’est ce pas.
Je ne veux pas, surtout devant ceux qui nous écoutent et qui pourraient se perdre un peu dans des procédures, qui sont intéressantes mais qui sont quelquefois un peu hermétiques, je tiens simplement à préciser cela.
Un congrès, c’est l’aboutissement d’un long travail démocratique, euh, trois mois.
Il y a déjà trois mois que nous avons lancé la préparation du congrès.
Et ce qui veut dire que tous nos adhérents ont reçu toute une série de textes.
Ceux qui voulaient faire des textes, proposer ceci sur cela, on avait le droit.
Peu à peu, cela s’est resserré et simplifié et on en est arrivé à deux textes.
Claude Lefèvre
Deux textes.
François Mitterrand
Deux textes qu’on appelle les motions, la motion 1, la motion 2.
Et la motion 1, c’est celle de la majorité dont je suis le premier signataire, la majorité du parti et qui représente environ 75% du parti.
Et la motion numéro 2, celle de l’actuelle minorité qui représente environ 25%, 24%, peu importe, du parti.
Donc ce sont ces deux textes déjà élaborés à la base, qui seront remis à la discussion des délégués de la base qui forment le congrès.
Alors le problème n’est plus tellement de savoir qui l’emportera d’une motion ou de l’autre, puisqu’elles sont déjà, elles ont déjà été sanctionnées par la base.
On sait déjà que la motion numéro 1 est majoritaire à plus de 75%, on le sait.
Claude Lefèvre
Vous en êtes satisfait, de ce résultat.
François Mitterrand
Bien entendu, mais on le sait déjà, c’est acquis.
Le problème maintenant est de savoir, comment pendant trois jours, les délégués de la base réunis à Nantes vont, soit confondre ces deux textes, les rendre plus complémentaires ou constatant que les choix politiques de ces deux textes ne, sont dissemblables, et le cas échéant, même contradictoires, constater qu’il n’est pas possible de les réunir.
Dans l’une et l’autre hypothèse, l’unité n’est pas en cause.
Mais la direction du parti, au niveau du secrétariat national, s’en ressentirait.
C’est-à-dire que en l’absence de synthèse, c’est la majorité qui, toute entière, et elle seule assurerait cette responsabilité-là.
Étant bien entendu que comme nous avons la règle proportionnelle, à tous les échelons de tous les organismes dirigeants du parti, sauf le secrétariat national, la minorité est toujours représentée.
Cherchez une organisation politique en France qui soit aussi démocratique, vous n’en trouverez pas.