La maladie de François Mitterrand

08 janvier 1996
04m 54s
Réf. 00288

Notice

Résumé :
À l’occasion du décès de François Mitterrand, les médias reviennent sur les causes de son décès.
Date de diffusion :
08 janvier 1996
Personnalité(s) :

Éclairage

Sous la Ve République, la santé des Présidents a toujours fait l’objet d’une attention particulière ; attention justifiée dans les années 1980 du fait du décès de Georges Pompidou des suites d’une maladie cachée au public.

En 1992, François Mitterrand décide de rendre public son cancer de la prostate, une maladie contre laquelle il est soigné depuis la fin 1981 et qu’il a alors choisi de ne pas dévoiler. Il fait ce choix quelques mois seulement après l’arrivée de la gauche au pouvoir et alors que les médecins pronostiquaient une survie de quelques semaines. En réalité, il parvient à repousser la maladie jusqu’au début des années 1990, date à laquelle la maladie se réveille et où il décide d’en faire connaître l’existence.

Ce n’est qu’après sa mort que l’un de ses médecins révèlera la longévité de la maladie.
Georges Saunier

Transcription

Daniel Bilalian
Pour parler ensemble de ce livre, Marc-Georges Benamou, Jacques Attali, que vous étiez en train de co-écrire avec l’ancien Président de la République. On a parlé des relations de Monsieur François Mitterrand avec la maladie, il n’a jamais caché sa maladie, il en a même parlé longuement aux Français, il avait cette volonté d’être tout à fait clair sur ce point. Nous allons voir un document, justement, qui a trait à ce, à cette relation de Monsieur François Mitterrand avec la maladie. Nous allons l’écouter là, je crois que c’était dans une interview réalisée par Bernard Pivot, dans un document en tout cas que nous vous présentons.
Journaliste 1
Dès que François Mitterrand est élu, il s’engage à faire connaître aux Français par communiqués officiels et réguliers l’état de sa santé. En 74, les dernières semaines du septennat de Georges Pompidou ont frappé l’opinion. Georges Pompidou est malade, une maladie qui sera cachée jusqu’au bout. François Mitterrand, lui, choisit la transparence, une façon peut-être de lutter contre la rumeur. Certains, déjà en 81, disaient le Président malade, il prend le parti d’en rire et s’engage solennellement à tenir les Français au courant.
François Mitterrand
Il paraît qu’il y a beaucoup de Chefs d’État qui sont malades et j’ai l’impression que beaucoup voudraient m’ajouter à la liste. Mais je reconnais qu’il m’arrive d’éternuer, et que l’autre jour, après avoir fait des gestes inconsidérés d’une occupation tout à fait louable, à caractère sportif, je me suis un peu tordu une vertèbre. Au-delà, je ferai connaître tous les six mois par un bulletin officiel l’état de ma santé.
Journaliste 1
Bulletin de santé officiel pour contrer la rumeur. Second septennat, on le dit parfois fatigué. Là, il a 72 ans, en 88, mais son activité n’est jamais interrompue. Rien de concret ne vient étayer la rumeur. Et puis, quelques jours avant le référendum sur Maastricht, on l’opère à l’Hôpital Cochin. Cancer de la prostate, le mot fait encore peur mais François Mitterrand, lui, en parle volontiers. Une maladie qu’il veut banale, qu’il traite avec humour, comme s’il s’agissait de conjurer le sort.
(Bruit)
Journaliste 2
On se demande si vous pensez aujourd’hui continuer vos activités ou si vous songez à abandonner, à démissionner, en fonction de…
François Mitterrand
Je n’y ai pas encore songé, non. Il n’y a pas de raison, on n’a pas, je ne pense pas qu’on m’ait enlevé un lobe du cerveau, car ce n’est pas de ce côté-là que ça se passait.
Journaliste 3
Vous réagissez bien à la maladie, au fond ?
François Mitterrand
Comment voulez-vous que je fasse ? Je pense que c’est un combat honorable à mener contre soi-même.
Journaliste 1
Dès lors, on guette les moindres signes, symptômes. À chaque interview, les questions sur la santé du Président sont devenues rituelles. Il s’y soumet volontiers, l’air souvent détaché, le ton presque toujours ironique.
François Mitterrand
Mais vous avez demandé des nouvelles de ma santé et je vous remercie, on est toujours sensible à cela. D’ailleurs, la façon de se rencontrer des Français la plus commune, la plus habituelle, ça va, ça va ! Ça va ? Ça va !
Journaliste 1
Seconde opération, il semble très affecté, peut-être un peu trop d’hommes en blanc autour de lui. Son épouse vient de subir une grave opération cardiaque, il en plaisante encore, se dit abonné des hôpitaux, mais se bat encore et toujours.
François Mitterrand
Qu’est-ce que j’ai devant moi, j’ai à accomplir ma tâche, la tâche pour laquelle les Français m’ont élu. 10 mois, c’est à ma portée, et même davantage, je l’espère. Ensuite, j’aurais des préoccupations de caractère privé. L’essentiel, c’est que je puisse parvenir au terme de mon mandat et la question ne semble pas posée.
Journaliste 1
Et pourtant, la rumeur persiste, un traitement difficile à supporter, un agenda allégé, les moindres signes sont interprétés. Le monde politique bruisse, s’agite. François Mitterrand, encore une fois, contre-attaque, communique, fait face à la maladie, cette mauvaise compagne, dit-il, qui ne fait pas de quartier.
François Mitterrand
Est-ce que vous savez combien de temps il vous reste à vivre ? Alors moi, naturellement, comme je suis malade, ce qui heureusement n’est pas votre cas, cela peut connaître des accélérations. Mais je n’en sais rien moi-même. Si la souffrance crée une situation qui fait qu’on se retourne uniquement vers soi-même, que le reste des soucis humains paraissent comme très lointains, notamment les soucis de l’État, alors, il ne faut pas rester. Mais je n’ai pas connu de période qui m’ait amené à ce point de réflexion.
Journaliste 1
En 1974, dans La Paille et le grain, il rendait hommage à Georges Pompidou, François Mitterrand écrivait : On a beaucoup et partout discuté de son acharnement à exercer ses fonctions jusqu’au bout. Le courage était-il de partir, était-il de rester, je crois, écrivait François Mitterrand, qu’il y avait de la fierté dans cette façon d’afficher sa décrépitude, fin de citation.