La précarité des travailleurs saisonniers : exemple à Savines-le-Lac
Notice
Dans les Hautes Alpes, à Savines-le-Lac, 13 000 personnes vivent du tourisme. Mais les travailleurs saisonniers ont parfois du mal à s'en sortir car ils doivent cumuler plusieurs emplois et ils ont du mal à se loger, l'immobilier étant très cher. La commune met en place des aides comme la maison du tourisme, pour aider les jeunes et tous les saisonniers à trouver un emploi.
Éclairage
Le 21 juillet 2012, lors de l'édition nationale du JT du soir, FR3 évoque les travailleurs saisonniers, à partir de l'exemple de la commune de Savines dans les Hautes Alpes. Un exemple bien choisi dans un département faiblement peuplé (environ 150 000 habitants permanents) dont l'économie et les emplois reposent largement sur le tourisme (environ 16 % des emplois). Le thème est classique puisqu'il renvoie aux personnes qui ont fait le choix de combiner et d'enchaîner des métiers différents au cours de l'année, en s'adaptant au fonctionnement de l'économie touristique. L'ensemble du reportage (images et commentaires) est construit sur l'opposition entre cadre idyllique et difficultés, choix assumé des incertitudes et précarisations nouvelles inhérentes au contexte : une manière d'accentuer la situation de fragilité qui concerne un nombre important d'actifs du secteur. D'ailleurs le lancement en plateau par le journaliste présentateur, comme la conclusion du reportage, choisissent de faire rimer saisonnier avec précarité.
Un chiffre est avancé – 13 000 emplois - pour montrer l'ampleur du sujet mais on ne sait pas s'il correspond à la seule catégorie des saisonniers, ou s'il recouvre l'ensemble des emplois du secteur. Il faut préciser que la mesure des seuls saisonniers est difficile à obtenir en raison même de l'aspect complexe des contours d'une catégorie apparemment simple. Dans son acception récente, un saisonnier est un actif qui occupe de manière régulière et renouvelée une activité, mais qui exerce cet emploi selon une durée infra annuelle (1). Or cette définition évidente recouvre une véritable diversité de conditions, que la personne soit salariée ou non, partiellement à son compte et salariée pour le reste de son activité, qu'elle soit employée par plusieurs personnes pour la même activité ou pour des activités différentes. La grande variété d'activités, de métiers et de niveaux, ne facilite pas non plus la clarté. D'autres motifs expliquent cette minoration : oubli, méconnaissance, travail au noir, fortes variations dans le recours à ces catégories et dans les contrats de travail, difficulté de classer certaines professions dans les catégories officielles,... Ajoutons la mobilité spatiale et la brièveté des séjours qui rendent la mesure et le suivi des populations encore plus aléatoires.
Le reportage cible Savines, village associé au lac de Serre-Ponçon. Ce lac artificiel est issu du barrage-poids éponyme destiné à l'origine à la production d'électricité mais surtout à l'irrigation et l'alimentation en eau de la basse Provence. Sa mise en eau (de novembre 1959 au 18 mai 1961 pour une construction qui s'est étalée entre 1957 et 1959) a ennoyé 2 villages (déplacement de 1500 personnes). Si comme dans les autres cas (par exemple Tignes), le recouvrement de l'ancien village a créé des traumatismes (2), les retombées du barrage ont transformé non seulement Savines village neuf, avec son église en forme de nef de bateau que l'on aperçoit fugitivement, entièrement orienté vers le tourisme, mais également l'ensemble du territoire riverain du lac. La manne touristique de cette retenue d'eau artificielle, une des plus importantes des Alpes occidentales (2820 ha pour un volume de 1, 273 Km3) a profité largement à la ville d'Embrun. A proximité également des stations de ski, modestes comme Crévoux ou plus importantes comme les Orres, ont pu s'installer ou se développer. Cette double saisonnalité permet aux saisonniers d'allier activités d'hiver et d'été dans un même territoire ou dans un périmètre restreint.
Alors que les images accompagnent la présentation d'un endroit « paradisiaque », connaissant « trois cents jours de soleil par an », montrant des berges aménagées sans être encore très urbanisées, les deux personnes interviewées sont emblématiques du tourisme haut-alpin et du sujet évoqué, dans sa réalité des années 2010. La première, une jeune femme originaire de la région parisienne s'est installée pour, dit-elle, goûter un autre mode de vie. Elle correspond à l'image classique des saisonniers : jeune, exogène au territoire, acceptant des métiers peu qualifiés en échange d'un mode et d'une qualité de vie : travaux dans la restauration l'hiver en station et monitrice de centre de vacances l'été. Sauf à évoquer ses motivations, le reportage ne permet de saisir ni les problèmes ni la vie de cette jeune femme. L'autre saisonnier moins attendu est plus âgé, combinant monitorat de voile et perchman. S'il semble vivre confortablement et être « installé », il évoque les deux difficultés majeures de sa catégorie : la non reconnaissance du statut (notamment pour des emprunts bancaires) et le coût de la terre à bâtir. Une des difficultés majeures des zones touristiques est la question du logement des jeunes saisonniers, particulièrement ardue, surtout lorsqu'ils viennent de l'extérieur et pour quelques semaines. Le reportage indique alors les initiatives prises depuis les années 2000 à l'instigation de l'ANEM (Association des élus de la montagne) pour améliorer la condition de ces acteurs de l'économie. Conscients de leur place essentielle dans les zones touristiques de montagne, les pouvoirs publics mettent en place des aides et des structures d'accueil, comme la maison des saisonniers évoquée brièvement. Une évolution qui tend à faire entrer ces pluriactifs dans la norme des emplois, avec la reconnaissance de modalités de fonctionnement spécifiques essentielles pour un secteur économique prioritaire non seulement en montagne mais dans l'ensemble des zones touristiques.
(1) Cette activité est comprise entre 1 et 9 mois qu'il s'agisse d'un établissement qui fonctionne de manière temporaire ou d'un établissement qui fonctionne de manière permanente et qui prend du personnel supplémentaire en raison d'une augmentation temporaire de son activité.
(2) Cet événement a inspiré un scénario à J. Giono qui a été mis en image par François Villiers en 1958 sous le titre L'eau vive.
Pour aller plus loin :
- Granet-Abisset Anne Marie (2014) Tourisme et pluriactivité : les « nouveaux » saisonniers des stations alpines depuis les années 1960. In : le tourisme comme facteur de transformations économiques, techniques et sociales : une approche comparative (19e-20e siècle). Lausanne : éditions APHIL, p.257-274.