La place des saisonniers dans les stations

19 octobre 1976
03m 59s
Réf. 00064

Notice

Résumé :

Reportage sur le manque de logements sociaux pour les saisonniers dans les stations de sports d'hiver. De nombreuses contraintes empêchent ces immeubles de s'implanter : la question de l'architecture, car les HLM doivent s'insérer dans un paysage de montagne, ou encore le problème de financement des constructions. La plupart des saisonniers vivent dans la vallée et travaillent en station durant la saison, notamment à cause du montant du loyer souvent trop élevé.

Date de diffusion :
19 octobre 1976
Source :

Éclairage

Quelques années après la création des stations de sports d'hiver, la question des saisonniers vient peu à peu mobiliser les débats. Ce reportage de France 3 Rhône-Alpes, traitant de la thématique particulière du logement des saisonniers, est ainsi l'une des premières fois où ce sujet est porté à l'écran. Interrogeant différents professionnels de l'immobilier (Edmond Zulberti, président de l'office départemental d'HLM de la Savoie, Jean Iahns, directeur de l'office départemental d'HLM de la Savoie ou encore Joël Barbe, directeur de la promotion immobilière de la station des Arcs), le journaliste tend à mettre l'accent sur les difficultés récurrentes des saisonniers pour venir travailler en montagne et les solutions en passe d'être mises en œuvre.

Sorties de terre à compter des années 1960, les stations intégrées construites en site vierge sont vues au cours des premières années de fonctionnement comme des modèles à suivre. Cependant, ces stations, véritables industries de la neige, ne permettent pas à tout un chacun de profiter du cadre enchanteur et idyllique des « plus beaux domaines skiables ».

Les saisonniers, véritables travailleurs de l'ombre, voient ainsi leur place questionnée dans un univers où tout a été pensé et réalisé pour les skieurs. Victimes de la spéculation immobilière et du prix souvent prohibitif des loyers, ils sont, dans le meilleur des cas, contraints de se loger dans la vallée, à une trentaine de kilomètres de leur lieu de travail. En effet, rien dans le modèle de financement de ces stations n'a été pensé pour ces travailleurs par ailleurs indispensables, et la réalisation de logements sociaux n'a pas mobilisé les débats durant la période de construction. Ces stations intégrées dites de « 3ème génération » ont ainsi été financées autour d'un modèle économique particulier, où la vente d'immobilier de loisir, particulièrement rentable, a permis de financer les investissements de remontées mécaniques, elles-mêmes produit d'appel des stations pour motiver le séjour des clientèles.

Peu à peu, des opérations de création de logements dédiés sont programmées : c'est le cas aux Arcs 1800, où la réalisation de 900 logements pour les saisonniers, est en 1976, sur le point de débuter. Cependant, pour l'heure, aucune mise en œuvre n'est lancée, ce qui semble compliquer d'autant la mission du cameraman, contraint d'alterner dans un cercle répétitif vues d'ensemble de la station, gros plans sur un immeuble en construction ou encore végétation alentour.

L'articulation des rôles des acteurs publics et privés demeure toutefois une question épineuse : ces logements sociaux, malgré un coût de construction majoré par le respect de contraintes environnementales et paysagères inhérentes à l'implantation en montagne doivent-ils, comme cela est le cas en vallée, être l'action des seules autorités publiques ? Au contraire, cette réalisation doit-elle incomber aux promoteurs, ces derniers se voyant reprocher la multiplication d'opérations immobilières particulièrement lucratives, ceci alors même que la présence de travailleurs saisonniers est fondamentale ? Quoi qu'il en soit, et comme conclut le journaliste, le salarié ne doit pas être pénalisé parce qu'il travaille à la neige.

Aujourd'hui, cette question du logement des travailleurs saisonniers des stations de ski demeure un sujet d'actualité. En 2006, l'État s'est ainsi engagé à la création de 1000 places par an pour les saisonniers, et désormais tout projet d'équipement touristique se devra d'intégrer des logements pour ces travailleurs, la participation de ceux-ci dans le fonctionnement économique de la station ayant (enfin) été actée.

Pour aller plus loin :

- Clivaz Christophe. Se loger dans les grandes stations alpines lorsque l'on est employé saisonnier : la face cachée de l'or blanc? L'exemple du canton du Valais (Suisse). Urbia.

- Gerbaux Françoise, & Marcelpoil Emmanuelle (2006) Gouvernance des stations de montagne en France : les spécificités du partenariat public-privé. In : revue de géographie alpine, 94 N°1, p.9-19.

Coralie Achin

Transcription

Claude Francillon
Les stations de ski sont vides six mois par an, c’est une évidence. Pourtant, ceux qui y travaillent ont de grosses difficultés pour se loger, c’est anormal. Peut-on accepter de louer un studio 800 à 1000 francs par mois quand on gagne à peine le double. Est-il acceptable, en plein hiver et en pleine saison, de travailler en station et de résider dans la vallée, 30 kilomètres plus bas. Les stations de ski rassemblent un grand nombre de salariés, 150 emplois sont nécessaires pour recevoir 1000 skieurs. La plupart du temps on y a tout prévu, sauf les logements sociaux.
Edmond Zulberti
Tous les travailleurs, à quelques industries qu’ils appartiennent, que ce soit l’industrie métallurgique ou une autre, ou à l’industrie de la neige, comme ici en montagne, doivent bénéficier de la législation HLM. Or, dans les stations de montagne, vous avez une foule de travailleurs qui travaillent pour satisfaire le loisir des autres. Ces travailleurs, vous les trouvez dans l’équipement, pour l’entretien de la voirie, le déneigement, l’entretien des remontées mécaniques, mécaniciens jusqu’aux poinçonneurs de tickets. Vous avez les fonctionnaires qui viennent en surplus lors des périodes d’affluence, en surplus du personnel traditionnel. Vous avez les employés des banques, vous avez tous les employés du commerce. Il est donc essentiel qu’il y ait des logements sociaux en montagne pour loger les gens qui assurent le fonctionnement de la station.
Claude Francillon
Alors, qui est responsable de l’absence de logements sociaux dans les stations de ski ? Les promoteurs, affirment certains, les communes, répondent d’autres. Une constatation, les 900 logements sociaux construits en montagne ont été réalisés par les organismes de HLM. Ils ont reçu une très faible aide des promoteurs, 2 à 3% du prix de la construction.
Jean Iahns
Pour les premières années d’investissement, la priorité a été donnée sur l’aménagement du domaine skiable. Néanmoins, nous avons trois opérations qui sont sur le point de naître ; une opération à 1800 qui concerne la réalisation d’un immeuble HLM avec le concours de l’Office Public Départemental, qui serait une réalisation de 45-48 logements.
Claude Francillon
Les organismes d’HLM doivent faire de très lourds sacrifices pour construire en montagne. L’Etat leur impose des normes et des prix plafonds, le paysage les oblige à réaliser autre chose que de simples blocs de béton. Si en montagne, le mètre carré construit coûte cher aux acheteurs, 5000 à 7000 francs le mètre carré, il est moins coûteux pour ceux qui le construisent.
Joël Barbe
On peut se demander effectivement, quel est le, qu’est-ce qui rentre dans le prix de ces 7000 francs du mètre carré par rapport à nos 1500 francs, que nous réalisons pour la construction. Alors je crois que c’est une question qu’il faut poser plutôt aux promoteurs. Mais il faut bien quand même dire qu'il est possible que dans ce prix rentrent en compte certaines dépenses générales d’équipements de la station, pour lesquelles nous n’allons pas participer nous-mêmes.
Claude Francillon
Et est-ce que vous ne pensez pas que les promoteurs ne s’occupent pas beaucoup des problèmes de logements sociaux parce que ça ne rapporte pas grand-chose, en fait !
Jean Iahns
Non, je ne pense pas du tout. En la matière, c’est un métier, le logement social comme la construction privée. Ici, nous sommes une station, un petit embryon d’un village ou d’une ville, et en construction, dans le domaine des villes principales, les logements sociaux également, type HLM ou crédits fonciers, sont toujours faits par les autorités publiques.
Claude Francillon
On peut se demander si au démarrage d’une station, il ne serait pas normal qu’on exige du promoteur de prévoir une aide plus efficace en faveur du logement social, mais n’est-il pas déjà trop tard ? Enfin, le salarié de la neige doit-il subir la loi d’un marché immobilier adapté aux exigences du tourisme hivernal ? En définitive, doit-il être pénalisé parce qu’il travaille à la neige ?