Proposition de loi "génocide vendéen"

14 janvier 2008
06m 13s
Réf. 00411

Notice

Résumé :
Neuf députés français, dont Hervé de Charette, viennent de déposer une proposition de loi à l'Assemblée nationale pour faire reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794. Interview de l'historien Reynald Secher qui soutient la thèse de l'implication de l'Etat dans ce génocide. Et l'historien Alain Gérard revient, en plateau, sur la période de la Terreur et précise le sens du terme génocide.
Date de diffusion :
14 janvier 2008
Source :

Éclairage

En 1985, Reynald Sécher, dans sa thèse d’Etat, soutient que la Vendée a été victime d’un génocide ordonné par l’Etat révolutionnaire. Dans le climat de commémoration dans lequel la France est entrée en préparant le bicentenaire de la Révolution, l’idée trouve un grand écho et provoque un débat qui n’a pas perdu toute actualité trente ans plus tard, comme le montre cet extrait de journal télévisé de 2008. A cette date, un groupe d’élus nationaux dépose en effet un projet de loi demandant à ce que la France reconnaisse ce génocide.
A Reynald Sécher, justifiant sa position en s’appuyant sur des dénonciations de l’époque, est opposé ici Alain Gérard, directeur à ce moment du Centre vendéen de Recherches historique. Archives à l’appui, celui-ci estime qu’il y a pu avoir des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité en 1794, dans la poursuite de la guerre de Vendée, mais que la qualification de génocide est inappropriée, faute de pouvoir employer cette notion forgée aux lendemains de la deuxième guerre mondiale.
La question posée depuis les années 1980 est de savoir si le gouvernement de la France révolutionnaire a décidé l’extermination d’un groupe d’opposants identifiés comme Vendéens, ou si les massacres qui ont été commis, et qui sont incontestablement les plus importants que le pays ait connu alors, sont dus à des armées laissées libres de commettre des exactions, avec l’accord de généraux, comme Turreau, et de certains représentants en mission comme Carrier. La complexité de la situation est renforcée par le fait que la loi du 1er aout 1793 demande expressément que les femmes, les enfants et les vieillards soient protégés, comme par l’attribution de secours à plusieurs dizaines de Vendéens réfugiés hors de la Vendée pendant plusieurs années. En outre, d’autres « brigands » ont été eux aussi promis à la destruction, dans tout l’Ouest, mais aussi à Lyon, Toulon, Marseille, sans parler des Basques dont plusieurs milliers ont été déportés comme suspects en 1793-1794.
Jean-Clément Martin

Transcription

Présentateur
Peut-on parler de génocide en ce qui concerne les massacres perpétrés au cours des guerres de Vendée, c’était à la fin du XVIIIème siècle.
Présentatrice
La question divise beaucoup les historiens, nous en parlerons dans un instant avec l’un d’entre eux, Alain Gérard, mais le débat pourrait bientôt prendre une autre dimension. Neuf députés dont quatre de notre région, ont en effet déposé une proposition de loi pour faire reconnaître ce qu’ils appellent, eux, le génocide vendéen, une thèse soutenue notamment par un historien, Reynald Secher, qu’ont rencontré Thierry Bercault et Luc Prisset.
Journaliste
Tout débute avec ce pavé dans la mare écrit en 1985. Dans ce livre controversé, Reynald Secher soutient la thèse que le peuple vendéen a été victime d’un véritable génocide. Selon cet historien, plus de 100000 vendéens auraient été massacrés au nom de la terreur, un crime d’Etat organisé par le Général Turreau.
Reynald Secher
Il s’agit bien d’exterminer tous les habitants résidant en Vendée militaire, et d’ailleurs pas seulement en Vendée militaire. Parce que les habitants qui vont se réfugier dans les départements circonvoisins, comme par exemple dans l’Eure, sont condamnés à mort en tant que vendéens. Et il s’agit d’exterminer de préférence les femmes et les enfants au sein des communes. 70 à 90% des gens exterminés sont des femmes et des enfants.
Journaliste
Gracchus Babeuf, communiste avant l’heure, va même parler d’un populicide. Pour éliminer ces vendéens, qui aiment Dieu et le Roi, on va utiliser des gaz et du poison, puis la guillotine et les noyades avant d’en venir à la guerre civile. Toutes les preuves existent, registres des paroissiens exécutés, liste des maisons détruites, décret ordonnant le massacre.
Reynald Secher
La Vendée est un laboratoire, elle a été conçue comme telle par Robespierre, et d’ailleurs, si Robespierre était resté au pouvoir, les méthodes utilisées en Vendée auraient été utilisées dans d’autres régions. La deuxième région qui était planifiée, c’était la Bretagne.
Journaliste
Deux siècles après, les faits sont toujours gravés dans la mémoire des vendéens, aujourd’hui des députés veulent faire reconnaître le génocide. Ils ont déposé une nouvelle proposition de loi.
Hervé (de) Charette
Jamais n’est venu de Paris le geste de la réconciliation. Ce serait un acte positif qui serait accompli et qui permettrait de tourner définitivement la page.
Journaliste
C’est au procès de Nuremberg que la notion de génocide a été inventée, et elle serait applicable rétroactivement pour les vendéens.
Présentatrice
Hervé de Charette qu’on a vu dans ce reportage et qui, rappelons-le, est un descendant du Général Charette. Pour poursuivre sur cette question, nous recevons Alain Gérard en plateau, bonsoir.
Alain Gérard
Bonsoir.
Présentatrice
Vous êtes historien et chercheur à l’Université Paris 4 Sorbonne et responsable directeur du centre vendéen de recherches historiques. On a vu que la question divise beaucoup, alors, est-ce que pour vous, il y a vraiment eu génocide en Vendée en 1793-94 ?
Alain Gérard
Il faudrait s’entendre, d’abord sur les faits. Que s’est-il passé en Vendée, d’abord une guerre en 1793. Ces gens qui voulaient conserver leur bon prêtre comme ils disaient, résistaient à la dérive terroriste de la révolution, ils n’étaient pas pour autant des partisans de l’ancien régime. Ils ne se sont pas soulevés en 89 et il y a eu une guerre contre eux, dont on peut parler, des horreurs, crime de guerre, peut-être crime contre l’humanité. Par contre, il faut faire bien la différence à la fin de 93 et au début de 94, il y a eu, alors que la Vendée est battue, vaincue, prostrée…
Présentatrice
L’armée royale, et catholique, est complètement laminée, juste après Savenay.
Alain Gérard
5000 rescapés sur 80000 personnes qui ont passé la Loire, donc, il n’y a plus de guerre. Et c’est sur cette Vendée qui a prouvé l’infidélité de la révolution par rapport à ses propres principes, puisqu’elle se réclame du peuple et qu’ici, le peuple est contre, justement. C’est sur cette Vendée qu’on va lâcher les Colonnes Infernales du Général Turreau.
Présentatrice
Et qu’on parle alors d’extermination.
Alain Gérard
Alors, c’est une extermination délibérée et gratuite de la population civile. Alors, on dit, le pouvoir ne savait pas. Carrier au Comité de salut public le 11 décembre 93, Carrier est représentant en mission, c’est-à-dire député. Aussitôt que la nouvelle de la prise de Noirmoutier me sera parvenue, j’enverrai un ordre impératif aux généraux Dutruy et Haxo de mettre à mort dans tous les pays insurgés, tous les individus de tous sexes qui s’y trouveront indistinctement et d’achever de tout incendier.
Présentatrice
Alors, l’idée qui nous vient lorsqu’on entend ces termes, puisque le mot extermination, il revient très souvent dans les textes de la convention, dans les textes qui sont cités par plusieurs révolutionnaires, c’est le génocide. Seulement, le génocide, il a une définition très précise qui peut, pas forcément s’appliquer, à ces massacres.
Alain Gérard
Alors, effectivement, il y a deux définitions possibles, soit la définition de Nuremberg mais qui ne s’applique pas aux vendéens, soit...
Présentatrice
Oui, puisqu’on parle à ce moment-là de crimes de génocide, c’est l’extermination d’un groupe humain de type ethnique, racial, ou religieux, ce qui n’est pas le cas en Vendée.
Alain Gérard
Voilà, mais le problème c’est que justement, cette définition de Nuremberg, de 48, a été, au départ, le premier texte vise tout groupe politique ou autre, or,
Présentatrice
Et ce sont les soviétiques qui pourraient être concernés par le goulag qui font, et vous levez le texte dans un sens qui ne peut pas leur être négatif.
Alain Gérard
Voilà.
Présentatrice
Donc le terme génocide, vous nous dites, il est difficile à appréhender aussi.
Alain Gérard
Ben il est biaisé au départ, par Nuremberg. En fait, si on...
Présentatrice
Mais juste avant de revenir sur Nuremberg, est-ce qu’on peut très rapidement dire, au-delà des termes qui ont leur importance, on peut quand même dire qu’il y a eu des massacres de très grandes ampleurs, des horreurs en Vendée.
Alain Gérard
Plusieurs dizaines de milliers de personnes, le cas des Lucs est bien connu, 564 personnes qui ne demandaient rien, qui étaient paisiblement chez elles, dont 110 enfants de moins de 8 ans, des horreurs...
Présentatrice
Qui ne devaient pas, qui ne faisaient donc pas partie de l’armée royale et catholique, ce sont des civils, hein !
Alain Gérard
Ah ben oui, surtout les enfants, donc des horreurs inracontables. Ceci dit, la définition de l’Etat français actuel correspond effectivement à ce qui s’est passé en Vendée.
Présentatrice
Avec une définition très différente dans le code pénal, effectivement. On voit que le sujet est très vaste, et nous essayerons d’y revenir un petit peu plus longuement dans un autre journal ou dans une autre émission. Merci infiniment Alain Gérard d’avoir répondu à notre invitation sur ce thème.