Le GAEC de la Cordée à Treffieux

09 juin 1967
13m 13s
Réf. 00261

Notice

Résumé :

A Treffieux, une exploitation agricole d'un nouveau genre a vu le jour. Il s'agit d'un GAEC, groupement agricole d'exploitation en commun. Il réunit 4 agriculteurs et leurs épouses qui se sont répartis le travail en différents secteurs d'activité.

Type de média :
Date de diffusion :
09 juin 1967
Source :

Éclairage

Ce document très riche dévoile les objectifs et le fonctionnement d'une des initiatives importantes des tenants de l'agriculture de groupe : les GAEC (Groupement agricole d'exploitation en commun) qui se multiplient dans les années 1965-70. Le GAEC, qui doit revêtir les caractéristiques d'une exploitation familiale, est une société civile de 2 à 10 agriculteurs qui vont réaliser un travail en commun. Lors de la création, les apports de chacun peuvent être du capital (en espèces ou en nature) ou des compétences.

Dans cet extrait, quatre agriculteurs - surnommés les "mousquetaires" - cherchent dans l'union à s'assurer de leur développement économique. Ils forment un "GAEC total" qui regroupe la totalité du travail et des moyens de production des associés. Les entretiens laissent percevoir les apports différenciés de chacun lors de la mise en place du GAEC.

Ces cultivateurs évoquent les problèmes induits par la modernisation : les difficultés à financer l'achat de terre, la nécessité de s'équiper, la volonté de diversifier les productions tout en intensifiant les productions. L'originalité provient des solutions trouvées qui vont nettement plus loin que le seul intérêt économique : mettre en commun des terres, favoriser le travail au dépens du capital, permettre l'expression de plusieurs générations, donner des initiatives aux femmes qui s'expriment largement dans le film, rechercher de meilleures conditions de vie. On retrouve chez ces fermiers les projets humanistes défendus par la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) et par les modernistes des années 60 : l'espoir d'une agriculture rentable qui fasse de l'homme sa priorité et qui laisse au producteur la maîtrise des choix et de la croissance.

En 2005, on comptait près de 43 000 GAEC en France dont 4 558 en Bretagne. Les autres exploitations peuvent avoir le statut d'exploitation familiale, d'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), statut qui permet de séparer les biens personnels de l'agriculteur des biens de l'exploitation.

Martine Cocaud

Transcription

Georges Fabre
A Treffieux, petite commune de la Loire Atlantique, sise à une cinquantaine de kilomètres de Nantes, une expérience passionnante d'exploitation en commun vient d'être tentée.
François Mitterrand
Refus d’une session extraordinaire après la constitution d’un gouvernement, refus d’engager la responsabilité ministérielle.
Georges Fabre
La Cordée comprend quatre mousquetaires - c'est ainsi qu'ils se sont appelés - qui se répartissent les tâches. Le premier, qui est aussi le plus jeune, s'occupe du secteur arboricole, le troupeau laitier est l'apanage du second. Le troisième s'occupe de l'élevage des jeunes bovins et aussi de l'entretien et de la conduite du matériel. Le quatrième poursuit un travail de sélection de porcs, commencé il y a dix ans.
(Musique)
Georges Fabre
Ce tableau rapidement dressé, nous allons faire plus ample connaissance avec chacun des hommes répartis dans La Cordée. Monsieur Philippot par conséquent est un des quatre mousquetaires de La Cordée. Monsieur Philippot, vous êtes plus spécialement chargé d'un secteur, qui est celui de la porcherie. Quel est votre cheptel à l'heure actuelle ?
Monsieur Philippot
Alors actuellement, le cheptel comprend trois verrats, vingt-cinq truies et environ cent quatre vingt jeunes, soit reproducteurs, soit en engraissement.
Georges Fabre
Est-ce que vous avez des projets de développement ?
Monsieur Philippot
Oui on a des projets de développement, on espère arriver à cinquante truies, et cinquante truies évidemment sélectionnées puisque tout l'élevage est [incompris], Et puis alors faire sept cent cinquante porcs dans l'année.
Georges Fabre
Sept cent cinquante porcs dans l'année ?
Monsieur Philippot
Sept cent cinquante porcs dans l'année, oui.
Georges Fabre
Et ça vous ne le feriez pas tout seuls, vous le feriez en liaison avec une coopérative comme celle d'Ancenis, par exemple ?
Monsieur Philippot
Oui, évidemment déjà avec Ancenis, on commercialise tous les porcs charcutiers et également [incompris] du bétail vient de la coopérative.
François Mitterrand
à savoir que nous avons à faire à des praticiens du pouvoir qui ont leurs qualités, leurs compétences, nous n’en doutons pas, mais qui n’obéissent en réalité à aucune ligne directrice pour ce qui concerne la connaissance et le souci qu’ils ont de leur relation avec le Parlement.
Georges Fabre
Vos animaux sont des animaux très sélectionnés, vous êtes inscrit au herd-book je crois ?
Monsieur Philippot
Oui, j'étais déjà inscrit au herd-book avant d'entrer au GAEC, puisque depuis dix ans, l'élevage est inscrit au herd-book. Alors si bien que nous envoyons des produits au testage à Jouy-en-Josas, neuf porcelets de chaque verrat, pour pouvoir détecter les meilleures origines et sélectionner de plus en plus.
Georges Fabre
Vous avez une maternité, je crois, on n'a pas beaucoup parlé de la maternité que vous avez là?
Monsieur Philippot
Ah ! oui. Une maternité avec des cases pour truies pour mise bas. Ceci évite les écrasements et permet aux petits porcelets d'être toujours sous la lumière, sous la chaleur surtout, Et qui leur est très nécessaire dans le bas âge quoi.
[Bruits ambiants]
Georges Fabre
Monsieur Maisonneuve, quel est votre rôle au sein de La Cordée, vous vous occupez apparemment des veaux ?
Monsieur Maisonneuve
Oui, exactement, des vaches et des veaux. Alors ici se trouve la nurserie pour les génisses d'élevage. Dès leur naissance, les veaux arrivent dans ce bâtiment, bâtiment qui existait et qui a été transformé pour cet usage d'élevage de veaux. Il restent ici jusqu'à l'âge de cinq à six mois pour s'en aller après vers les [silos]. Et au fur et à mesure des naissances ça recommence quoi.
Georges Fabre
Les veaux que vous avez ici ne sont pas tous, produits en quelque sorte, ne sont pas tous nés au sein du groupe de la Cordée. Vous achetez des veaux ?
Monsieur Maisonneuve
Oui, très exactement, nous achetons des veaux de croisement, des veaux de croisement que nous démarrons jusqu'à l'âge de trois mois, Et qui ensuite s'en vont vers d'autres élevages qui les mettent à l'engraissement.
Georges Fabre
En dehors des veaux dont vous vous occupez plus spécialement par conséquent, il y a également une autre tâche qui est la vôtre, qui est celle du matériel. Je crois que vous vous occupez de l'entretien et de la conduite du matériel, ça consiste en quoi ?
Monsieur Maisonneuve
La conduite du matériel plus l'entretien, vidange, surveiller quoi.
Georges Fabre
Vous êtes mécanicien de formation ? Pas du tout, vous y êtes venu de vous-même. Vous avez combien de veaux à l'heure actuelle ici ?
Monsieur Maisonneuve
Ici une soixantaine de veaux.
Georges Fabre
Et est-ce que vous avez des projets pour l'avenir ?
Monsieur Maisonneuve
Oui, nous comptons augmenter le cheptel, étant donné que le cheptel vaches, l'objectif doit passer à cent, alors automatiquement ça grossira le cheptel et l'élevage.
Georges Fabre
Est-ce que l'évolution de votre secteur veaux, élevage de veaux, est fonction de l'évolution des autres secteurs de la Cordée ?
Monsieur Maisonneuve
Dans une certaine mesure oui. Mais étant donné que nous avons par ailleurs une nurserie de veaux d'achat, nous pourrons toujours maintenir un effectif en tenant compte des bâtiments que nous avons.
Georges Fabre
Monsieur Doucet, lorsque vous êtes entré dans ce groupe de la Cordée, vous étiez agriculteur ici ?
Monsieur Doucet
Oui, sur l'eploitation même où je suis, j'avais une exploiotation de polyculture, trente hectares, on faisait de l'élevage, des céréales et de tout, et il y a un an, on est entré en groupe et on a apporté tout notre troupeau et on s'est sélectionné vers la production laitière. Il y a quarante trois vaches en lait maintenant, et l'objectif est d'atteindre une centaine dans un an.
Georges Fabre
Alors là vous avez fait des investissements absolument considérables ?
Monsieur Doucet
On a fait des investissements assez importants, vous le voyez d'abord par les silos, et les investissements de bâtiments qui vont continuer.
Georges Fabre
Alors au point de vue traite, vous êtes équipé de quelle façon ?
Monsieur Doucet
On est équipé en une salle traite herringbone deux fois quatre, qui peut être aménagée en deux fois six.
Georges Fabre
Alors, il y a une question absurde que je vais vous poser. Si vous étiez resté tout seul, vous n'aviez évidemment aucun moyen d'en arriver là ?
Monsieur Doucet
Ah ben certainement pas.Les investissements sont beaucoup trop importants pour arriver à des ... et la surface n'aurait pas correspondu.
Georges Fabre
Est-ce que c'est vous qui avez mangé la plus grosse part d'investissement dans la Cordée avec vos silos, avec Monsieur Maisonneuve, non ?
Monsieur Doucet
La plus grosse part d'investissement, non. Les investissements sont partagés.
Georges Fabre
Noël Camus, vous êtes le seul des quatre mousquetaires de la Cordée qui soyiez venu sans exploitation au départ et sans capital, parce que vous êtes jeune ?
Noël Camus
Oui, c'est ça quoi. J'ai vingt-quatre ans et étais moniteur agricole en maison familiale avant. Alors je ne suis venu que depuis l'année dernière. Comme à vingt-quatre ans on ne peut pas avoir mis de côté ni exploitation ni capital quoi.
Georges Fabre
Vous êtes venu avec vos bras ?
Noël Camus
Avec nos bras.
Georges Fabre
Alors, qu'est-ce que vous avez fait avec vos bras, vous avez planté des pommiers ?
Noël Camus
Oui, je m'occupe du secteur arboricole et on a planté l'année dernière deux hectares et demi de pommiers.
Georges Fabre
Pommiers golden ?
Noël Camus
Pommiers golden, c'est ça quoi.
Georges Fabre
Et alors, quels sont vos projets ?
Noël Camus
Alors on compte arriver à six hectares, de quoi occuper un homme pour ce secteur quoi. Six hectares de pommiers ou poiriers, ça dépend un peu des débouchés qui nous seront offerts par la suite quoi.
Georges Fabre
Votre femme participe également au travail de la Cordée ?
Noël Camus
Oui c'est ça, ma femme participe, elle m'aidera sans doute un peu dans le secteur pommier et elle s'occupe également de la comptabilité, comptabilité du GAEC.
Georges Fabre
Est-ce que vous vous réunissez quelques fois tous ensemble ?
Noël Camus
Oui, ça arrive assez fréquemment même, on compte une fois la semaine et quelques fois un peu moins, quelques fois un peu plus, suivant les sujets qui sont abordés, les problèmes qui nous préoccupent.
Georges Fabre
Ce sont des tables rondes ?
Noël Camus
C'est ça.
Georges Fabre
Madame Camus, vous assurez le secrétariat et la comptabilité au sein de la Cordée ?
Madame Camus
Oui.
Georges Fabre
C'est un travail qui vous prend beaucoup ?
Madame Camus
Assez, enfin il faut au moins, en moyenne, j'y passe une heure tous les jours, enfin c'est comptabilisé comme ça. Mais les jours où vraiment je veux m'y tenir, il faut que j'y sois l'après-midi ou une journée même quelques fois.
Georges Fabre
Vous êtes rémunérée pour ça, évidemment ? Alors vous êtes rémunérée en tant que secrétaire comptable ?
Madame Camus
Oui.
Georges Fabre
Et alors que les femmes des autres membres de la Cordée sont rémunérées de quelle façon ?
Madame Camus
Alors chaque femme est responsable du secteur avec son mari, elle travaille avec lui sur le secteur bien sûr, Je vois pour Marie, elle assure la traite avec Pierre, puisqu'ils sont responsables des vaches, et puis pour Andrée, ce sont les veaux avec Robert, et pour Antoinette, les porcs avec René.
Georges Fabre
Comment sont prises les décisions d'extension, Monsieur Philippot, pour l'achat de nouveaux matériels etc., vous vous réunissez, vous votez, ça se passe de quelle façon?
Monsieur Philippot
Pour l'achat de nouveaux matériels, pour l'extension, pour l'orientation de l'association et de l'exploitation, on se réunit, d'ailleurs il y a une réunion chaque semaine, Et pour les décisions importantes, elles sont prises à la majorité des membres.
Georges Fabre
Est-ce que vous avez eu des problèmes graves déjà, non ?
Monsieur Philippot
Non, on a eu des problèmes importants pour l'orientation de l'exploitation, qu'on voulait donner. On avait d'ailleurs été aidés par un technicien du centre de gestion et d'économie rurale, qui nous a fait une étude pour essayer de choisir les solutions et de voir vers quelles productions on devait s'orienter compte tenu du terrain, compte tenu de la main d'oeuvre dont on disposait, compte tenu également des goûts et des aptitudes de chacun.
Georges Fabre
Alors chacun d'entre-vous, en ce qui concerne la rémunération, reçoit donc une rémunération mensuelle qui est basée sur le nombre de journées de travail fournies.
Monsieur Philippot
C'est suivant les journées de travail passées que les hommes sont rémunérés, les femmes sont rémunérées comme on le disait tout à l'heure, à l'heure, Et dans chaque secteur, il y a un acompte qui est versé, un acompte fixe chaque mois qui est pour la part que responsabilité de chaque associé a sur son secteur.
Georges Fabre
On dit que vous attachez un intérêt fixe au capital, c'est vrai ça ?
Monsieur Philippot
Un intérêt fixe au capital ? Oui, on a passé en priorité le travail au capital. C'est-à-dire qu'on rémunère d'abord le travail, et le capital en fin d'exercice, si on peut le rémunérer, suivant un intérêt fixe. Et s'il y a excédent, comme on l'espère quelques fois, ce sera réparti de façon égalitaire.
Monsieur Maisonneuve
Tout le monde a participé un peu la même façon. Oui, normal.
Georges Fabre
Monsieur Doucet, il est certain qu'une organisation comme la Cordée pose un problème foncier. Certains de vous sont propriétaires, je crois et d'autres ne le sont pas ?
Monsieur Doucet
Oui, Robert et moi on est propriétaires. On a acheté nos exploitations il y a deux ans. René, c'est son père qui est propriétaire. Mais ça ne pose pas tellement de problèmes au point de vue organisation. Ce qui pose un problème, c'est l'achat du foncier, qui est une lourde charge, qui nous empêche d'investir dans l'exploitation. On pense à la création d'un groupement foncier, et on pourrait faire appel aux capitaux extérieurs pour nous libérer des capitaux pour pouvoir les investir dans l'exploitation.
Georges Fabre
On en vient à Monsieur Camus à propos d'une question plus faciles, ce sont les loisirs. Monsieur Camus, grâce quand même au fait que vous soyez quatre à travailler, de temps en temps vous avez un dimanche, ce qui est rare pour un agriculteur ?
Noël Camus
Oui, tout à fait. Vis-à-vis des professions individuels, depuis qu'on est en GAEC, on réussit quand même à avoir les dimanches entièrement libres dans le mois, plus un demi dimanche où on n'est de garde que le matin.
Georges Fabre
Alors pour les congés annuels, ça se passera de quelle façon ?
Noël Camus
Les congés annuels, on n'a encore pas pris, on est quand même dans une période d'adaptation et d'installation, on a pas tellement le temps d'en prendre. En fin de compte quand même dans les années futures et assez prochaines, en prendre, soit par huitaine, on verra d'après les travaux qui sont à exécuter à ce moment-là quoi.
Georges Fabre
Madame Philippot, je voudrais bien vous entendre un petit peu. Est-ce que vous avez le sentiment d'être mieux payée de votre travail depuis la constitution de la Cordée ? Je sais bien que ça pose des problèmes, mais enfin est-ce que de façon générale, c'est une réussite ? Est-ce que vous en êtes heureuse vous, personnellement ?
Madame Philippot
Je pense que c'est difficile de répondre catégoriquement. Mais je crois que d'une part, ça nous a permis de faire la différence entre la famille et l'exploitation. Ce qui dans le monde agricole est souvent très lié, très mélangé. Alors je pense que la formule qu'on a pris, c'est-à-dire rémunération du travail nous permet d'y voir plus clair puis d'avancer dans une forme d'organisation qui se rapproche beaucoup plus du monde ouvrier ou industriel.
Georges Fabre
Et ça vous pose des problèmes considérables ?
Monsieur Philippot
Je pense bien oui.