La production porcine en Bretagne

05 mars 1988
06m 15s
Réf. 00270

Notice

Résumé :

Dans un élevage porcin des Côtes du Nord, des acteurs de la profession, Guillaume Roué (Secrétaire Générale Fédération Nationale Porcine), Jean-Claude Commault (Directeur Cooperl) et Yves Ollivier (Confédération Paysanne) analysent la crise porcine.

Type de média :
Date de diffusion :
05 mars 1988
Source :
FR3 (Collection: Bretagne hebdo )

Éclairage

Jusqu'aux début des années 80, bien que le marché européen du porc soit saturé, les entreprises porcines françaises se sentaient à l'abri d'un marché national pas encore complètement couvert. L'Europe va changer la donne en imposant, en 1983, les MCM (montants compensatoires monétaires) qui permettent de protéger les exportations agricoles des pays à monnaie forte. Cette mesure avait été demandée par la France en 1969 mais elle se révélera en fait défavorable aux éleveurs français des années 80 car le franc est devenu faible. Les MCM concernent l'ensemble des productions agricoles européennes. Mais en France c'est le secteur porcin, fortement exportateur, qui en subit les plus fortes conséquences.

Les paysans du Finistère se mobilisent dès 1983 contre les MCM et le combat prend rapidement des formes violentes (dévastation de la préfecture de Carhaix en novembre 1983, barrages sur les voies ferrées). Ce sont les premières images du document.

En 1987-88, la filière porcine connaît une autre crise liée à une baisse des prix du porc de plus de 20 %. Cette crise met en évidence les faiblesses des marchés au cadran imposés par les groupes des gros producteurs libéraux à la fin des années 70 (Alexis Gourvennec, pourtant à l'initiative de la création de ces marchés, appelle à tenir les barricades). Les marchés au cadran sont basés sur la confrontation directe entre l'offre et la demande et ne tiennent pas forcément compte de la valeur du travail.

En fait, la crise des MCM et celle des prix sont les conséquences des transformations des structures agricoles en Europe. Ce sont ces questions qu'évoquent les deux représentants syndicaux, qui, s'ils participent ensemble aux manifestations, n'analysent pas la crise de façon unanime.

L'un est responsable de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles) et représente également la COOPERL (cette coopérative des éleveurs de la région de Lamballe née en 1973 est devenue un véritable complexe agroalimentaire intégrant l'élevage, la vente et la transformation). Selon lui, la crise est liée à la politique européenne et l'organisation de la filière porcine bretonne, qui intègre de plus en plus les conditions d'une économie libérale, n'est pas à remettre en cause. Le représentant de la Confédération paysanne, créée en 1987, développe une autre thèse : il oppose "l'agriculture paysanne" respectueuse des petits exploitants à l'agriculture productiviste. Ce syndicaliste lutte pour une autre politique des marchés qui soutiendrait les moyennes exploitations afin de limiter la désertification des campagnes en cours. Il proteste donc contre le soutien apporté au marché au cadran par les organisations professionnelles, lui reprochant de bénéficier aux gros producteurs. Il demande la mise en place d'aides directes aux petits et moyens producteurs.

Martine Cocaud

Transcription

Fernand Raynaud
Ça eut payé...
(Rires)
Yvon Emmanuel
S'il était encore de ce monde, Fernand Raynaud n'aurait pas été loin de la réalité pour résumer le malaise de la production porcine en Bretagne. Janvier 84, les Bretons découvrent brutalement les nouvelles vérités du Marché Européen. Danois, Hollandais et Allemands deviennent de redoutables concurrents pour les producteurs de porc français. Les Bretons qui assurent la moitié de la production nationale manifestent violemment contre un ensemble de réglementations. Autant de freins, disent-ils, pour être compétitif. Et c'est la bataille contre les montants compensatoires monétaires qui favorisent les importations allemandes et hollandaises.
Eleveur
Nous serons sur les barricades le temps qu'il faudra
(Applaudissements)
Yvon Emmanuel
Quatre ans plus tard, la crise est revenue. Comme en 1984, elle se cristallise autour d'un indicateur, la chute des cours au marché au cadran porcin. Voici 4 ans, le prix du porc était passé en dessous des 9,50 francs, avant de remonter en quelques semaines à 10,50 francs, mais cela avait suffi à allumer les feux de la révolte. Depuis 16 mois maintenant, les cours sont redescendus en dessous de cette barre des 9,50 francs et stagnent depuis décembre autour des 8,80 francs. Une chute des prix d'environ 15%, quelque peu compensée, il est vrai, par la baisse des aliments, estimée à 9%. Conséquence, certains éleveurs jettent aujourd'hui l'éponge et mettent la clé sous la porte, faute d'une trésorerie suffisante pour amortir ce manque à gagner. Les plus touchés sont les moins compétitifs, et la faute n'en revient plus fatalement, contrairement à 1984, aux seules réglementations de la technocratie européenne. Cette crise est bien une conséquence directe de la loi du marché. La Bretagne n'a cessé de développer sa production, encore 10% de plus l'an passé, et se trouve aujourd'hui confrontée à un marché saturé. La taille et le nombre des élevages porcins sont en constante augmentation, c'est une conséquence en partie des transferts d'activité dus au quota laitier, mais parallèlement la consommation n'a pas bougé, et la production européenne est excédentaire. Le mécanisme du marché est alors sans appel. Le secteur porcin est déjà à l'heure de 1992, dans un marché européen unique, où ce sont les plus compétitifs qui fixent les cours. Et comme dans toute bataille, il n'y aura pas que des vainqueurs. Il n'y aura pas que des vainqueurs Guillaume Roué, c'est tout, tout l'objet de, de cette crise, où il y a une concurrence assez vive entre Bretons et Hollandais. Alors je vous présente tout d'abord. Vous êtes de la FDSEA du Finistère, président de la FDSEA du Finistère, et surtout secrétaire général de la Fédération nationale porcine, c'est plus à ce titre qu'on vous a demandé de venir, merci d'être là. Donc est-ce que ce n'est pas un peu limitatif de parler de cette crise uniquement au niveau régional, au niveau breton voire au niveau national ? Est-ce que ce n'est quand même pas une analyse européenne qu'il faut avoir ?
Guillaume Roué
Je crois qu'effectivement nous gravitons dans un contexte européen et ceci déjà depuis une vingtaine d'années. Il est vrai qu'également la production porcine se concentre dans un certain nombre de régions, et notamment dans notre région, la Bretagne. Je crois que c'est un de nos atouts économiques, que nous devons valoriser au mieux, et cet atout économique génère beaucoup d'emplois dans la région, qui a su bâtir une Bretagne économique qui gagne, c'est important pour nous.
Yvon Emmanuel
Eric Piollé.
Eric Piollé
Oui nous avons demandé aussi à monsieur Jean-Claude Commault de venir, qui est le directeur de la Cooperl, la Cooperl qui est très connue ici en Bretagne. C'est un groupement coopératif qui rassemble à peu près 1.300 éleveurs, des producteurs, mais c'est aussi un groupement qui s'est investi dans l'abattage puisqu'il possède 2 abattoirs à Lamballe et à Montfort. Alors, euh bon on parle de surproduction, monsieur Commault, mais est-ce qu'il ne faut pas ajouter aussi à cela, peut-être une faiblesse commerciale des Bretons ? Car actuellement on voit les Hollandais qui passent en France, mais on se demande pourquoi les, les Bretons n'arrivent pas passer eux aussi ?
Jean-Claude Commault
Les Bretons vendent également à l'étranger. Beaucoup d'abatteurs bretons notamment la Cooperl, mais je suis persuadé que d'autres aussi, vendent toutes les semaines sur l'Italie euh l'Allemagne, beaucoup la semaine passée d'ailleurs, la Belgique en ce qui le concerne, les abattoirs bretons à mon avis sont sur beaucoup de marchés étrangers. On vend même en ce qui nous concerne sur Singapour.
Eric Piollé
Mais sur le marché français vous, pourquoi vous n'arrivez pas à concurrencer les Hollandais ?
Jean-Claude Commault
On arrive à les concurrencer. La production bretonne, monsieur Roué le disait, a beaucoup augmenté. Si elle a augmenté, c'est qu'il y a eu des débouchés en face. Je vois sur le site de Lamballe, on tuait il y a quelques années euh 5, on a commencé à 5 000 porcs/semaine, puis 10 000, on est à 30 000 porcs actuellement, ça veut dire que il y a des, des débouchés derrière, qu'on a su conquérir, à la même façon que le font les Hollandais et les Danois.
Yvon Emmanuel
Alors nous avons également demandé à monsieur Yves Ollivier de, de venir dans cette émission. Vous êtes éleveur dans les Côtes du Nord, et vous représentez ici la, la confédération paysanne de l'ouest. On sait qu'elle regroupe les syndicats minoritaires qui ne sont pas reconnus par les pouvoirs publics, alors bon je préfère vous prévenir, monsieur Roué et vous que l'on ne vous a pas demandé ici pour vous opposer, mais simplement pour que vous puissiez présenter l'un et l'autre vos thèses qui ne sont peut-être pas tout à fait les mêmes. Quelle est par exemple, votre analyse de la situation sur cette crise porcine, monsieur Ollivier ?
Yves Ollivier
La cause essentielle de cette crise, c'est évidemment la, la surpoduction. On a produit plus que ce qu'on est capable de consommer en Europe, et de ce qu'on est capable également de, de vendre à l'extérieur. Et peut-être aussi que, on n'a pas tenu compte des prévisions qui étaient faites. Cette crise était prévisible, il fallait euh aménager euh et s'organiser pour y faire face ; or c'est le contraire qui s'est passé. On a développé les élevages, on a multiplié les élevages déjà importants et en pensant que si il y a une crise et qu'elle est suffisamment dure, des éleveurs abandonneraient la production. Or aujourd'hui, un éleveur, un petit éleveur, c'est quelqu'un qui est spécialisé et qui n' abandonne pas du jour au lendemain sa production. Donc on a dans cette crise la conjonction de ceux qui ont augmenté fortement la production, et de ceux qui ne peuvent pas abandonner tout de suite. Mais l'ensemble des, des éleveurs subissent durement ces, cette crise par un taux d'endettement et un, un revenu réduit pour beaucoup à zéro et une situation de faillite pour un certain nombre d'entre eux.