Une gardienne de phare
Notice
En 1925, Melle Le Bail succède à sa soeur et devient la gardienne du phare du Créac'h dans le Morbihan. Depuis 38 ans, elle consacre sa vie à son phare. Outre son activité de gardienne, elle est conseillère municipale à Saint Philibert et ostréicultrice.
Éclairage
Anna Lebail est gardienne du phare de Crac'h, appelé aussi Feux de Crac'h, construit en 1855 sur la rive de Saint-Philibert, commune du Morbihan voisine de la ville de Crac'h, elle-même située près d'Auray et de la Trinité-sur-Mer. Ce phare a été construit pour guider les bateaux entrant au port de la Trinité, il fait donc partie des phares de "second ordre", qui indiquent les routes à suivre dans les passes et les chenaux (les phares de premier ordre signalent la côte, ceux de troisième ordre signalent les dangers). Construit sur le continent, il appartient également à la catégorie des "paradis" (les "enfers" sont les phares de pleine mer, et les "purgatoires" sont ceux des îles). Équipé dans un premier temps d'un feu fixe, le phare du Crac'h a ensuite été doté d'un faisceau tournant.
Les premiers phares ont été construit à la fin du XVIIe siècle par Vauban, afin de compléter les nouvelles installations portuaires et maritimes dont la construction avait été décidée par Colbert. Ce sont des tours à feu, qui servent autant à la signalisation maritime qu'au guet. À la fin du XVIIIe siècle, le réverbère est inventé, et les phares sont équipés du même procédé, complexifié par la suite afin d'inventer un "langage des phares", avec des faisceaux tournants et irréguliers, qui constituent en quelques sortes la "carte d'identité" du phare, rendu ainsi reconnaissable pour le navigateur.
Avec la Révolution française, le service des phares devient un service public, et une politique de signalisation maritime à l'échelle nationale est mise en place, placée d'abord sous l'autorité de la Marine, puis de celle des Ponts et Chaussées, dont les ingénieurs multiplient les innovations au début du XIXe siècle. En 1811, une Commission des phares est créée, et elle adopte en 1825 un programme très ambitieux qui doit limiter les naufrages et les déroutes au large des côtes françaises. Le littoral français est donc équipé progressivement de phares reconnaissables, et il est établi comme principe qu'un marin naviguant à 40 miles des côtes doit pouvoir voir au moins deux feux. Par conséquent, les constructions de phares se multiplient dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il y avait 20 phares en 1800, il y en a 210 en 1856 et 361 en 1876. Ces constructions sont équipées d'appareils lenticulaires, puis sont électrifiées à partir de 1869 : le premier feu électrique est celui du phare de Gris-Nez, dans le Pas-de-Calais.
À partir du moment où le service des phares devient un service public, les gardiens de phares, qui étaient des salariés privés jusque-là, sont nommés officiellement, et sont en général choisis par les ingénieurs qui construisent les phares. En 1839, ils deviennent salariés de l'administration, et un règlement du service des phares est établi en 1848, qui doit être suivi à la lettre. A partir de 1853, les gardiens de phare sont nommés par le préfet, sur proposition de l'ingénieur, et ils sont classés en six catégories différentes, qui donnent lieu à des salaires différents. Pour être gardien de phare, il faut savoir lire, écrire et compter. Depuis 1920, une formation leur est dispensée par l'Etat.
Dès le XIXe siècle, le métier se féminise. Il est établi que la surveillance et l'entretien des phares secondaires peut être attribuée à des auxiliaires, qui ne peuvent pas être classés comme gardiens de phare. Les femmes font donc progressivement partie de ces auxiliaires, réputées comme étant plus consciencieuses, régulières et dociles que les hommes. Il est avantageux pour l'Etat d'employer des femmes, car, en plus d'accomplir correctement leur tâche, elles coûtent beaucoup moins cher que les hommes. Au moment où les différences de salaires sont maximales, les femmes gardiens de phares gagnent cinq à six fois moins que les hommes ! Ainsi, entre 1914 et 1939, le tiers des gardiens nommés dans le Morbihan sont des femmes, et Anna Lebail en fait partie.
Aujourd'hui, les gardiens de phare, dont le métier fait de solitude et d'abnégation en fait de véritables héros (plus ou moins à juste titre), sont en voie de disparition. En effet, les phares sont progressivement automatisés depuis les années 1980. L'Etat a cessé de former des gardiens en 1991, et il reste aujourd'hui moins d'une quarantaine de gardiens de phare auxiliaires : vingt phares comptent donc encore une présence humaine, mais seuls sept sont encore habités. Les deux derniers phares de mer encore gardiennés sont le phare de Cordouan dans l'estuaire de la Gironde et le phare de l'île Vierge, dans le Finistère Nord, et leurs gardiens quitteront leur poste en 2010. L'entretien des phares français est désormais confié à deux cents contrôleurs des travaux publics, qui sont des techniciens qualifiés, spécialisés dans les phares et balises, qui surveillent et installent les appareils, par rotations de quinze à vingt jours.
Bibliographie :
Jean-Christophe Fichou, Gardiens de phares (1798-1939), Rennes, PUR, 2002.