Départ d'Eric Tabarly pour les Etats Unis
Notice
A bord de son bateau, le Pen Duick II, Eric Tabarly a quitté hier La Trinité sur Mer en direction des États Unis. Cette traversée de 45 jours en solitaire a réclamé de nombreux préparatifs.
Éclairage
Eric Tabarly, né à Nantes en 1931, rêvait d'étoiles aux manches. En effet, apprenant la passion de la mer sur le bateau de son père - un représentant de commerce issu d'une famille de merciers angevins - il veut être amiral. Mais très vite, le jeune Tabarly admet ne pas avoir le goût des études, la faute à cette liaison sentimentale avec un vieux voilier familial nommé Pen Duick, qu'il veut à tout prix restaurer. Pour financer sa passion coûteuse, il décide de s'engager dans la Royale en 1953, comme simple matelot.
Affecté à Saint-Mandrier puis au Maroc, il est breveté pilote le 15 décembre 1954. Il part ensuite en Indochine, où il demeure jusqu'en avril 1956. Après un millier d'heures de vol, il entre à l'Ecole navale, est nommé aspirant en 1958 et affecté de 1961 à 1963 sur le dragueur Castor à Cherbourg. Puis il rejoint la direction du port de Lorient. En 1965, il obtient le brevet de spécialité d'officier fusilier.
Mais sa vraie passion demeure la course au large. Avec ses amis, les frères Constantini, du chantier naval de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), il crayonne les esquisses de Pen Duick II. Tabarly pose sur le pont une bulle en plexiglas pour observer la mer par mauvais temps. A l'intérieur, une selle de Harley-Davidson est fixée pour lui permettre de cuisiner à son aise. Le voilier, peu toilé, peut être mené par un seul homme. Avec ce bateau, il gagne la traversée de l'Atlantique en solitaire en 1964. Ce qui lui vaudra d'être nommé Chevalier de la Légion d'honneur.
Ce voilier ultra léger pour l'époque, taillé dans du contre-plaqué, est révolutionnaire et fait de Eric Tabarly une fierté nationale, une légende. Quinze voiliers se présentaient à Plymouth au départ de cette "transat" et malgré une panne de pilote automatique dès le huitième jour de mer, Tabarly ralliait Newport (Rhode Island) après vingt-sept jours et trois heures de navigation. D'ailleurs assez étonné de sa réussite, le Nantais, en voyant les avions le survoler à l'approche de Newport, déclare : "Si j'étais dernier, il n'y aurait certainement pas autant d'essence brûlée pour moi". Tabarly était une tête froide, toujours en ébullition, qui accouchera d'une série de Pen Duick, à chaque fois en avance d'une marée sur le progrès. En 1969, il s'illustre lors de la course transpacifique en solitaire, à bord du Pen Duick V. Bien que promu lieutenant de vaisseau, sa passion l'éloigne de la Marine, qu'il réintègre cependant en 1971, affecté à l'inspection technique de l'Education physique et des sports. Il la quittera définitivement le 24 juillet 1985, au cours d'une cérémonie à l'Ecole navale.
En 1976, il signe sa deuxième plus grande victoire en remportant l'Ostar, seul, à bord d'un énorme Pen Duick VI, conçu pour un équipage au grand complet. Même une escale forcée à Brest pour réparer ne lui fait pas renoncer à rattraper Alain Colas, alors en tête de la course, et à se lancer dans une poursuite, qui s'avère victorieuse.
Ainsi est né le mythe du héros taciturne. En réalité, son élocution dépendait surtout de ses interlocuteurs et du sujet. Le vieux loup de mer, surnommé "Pépé", pouvait se montrer prolixe et chaleureux. Pour mieux le saisir, il faut peut-être l'écouter parler de son bateau : "Le bateau n'est pas la liberté. Mais naviguer, c'est accepter des contraintes que l'on a choisies. Il est évident que sentir ce pont en bois sous mes pieds me rend heureux et que d'écouter ses bruits familiers, sa manière à lui de me parler, me procure du plaisir". Fondateur de la voile moderne et des défis en solitaire, Eric Tabarly a transmis sa passion de la mer à toute une génération de jeunes navigateurs et a suscité de nombreuses vocations. Il a aussi aidé la France à être fier de son littoral et s'est battu pour le mettre en valeur : la preuve en est avec son dernier combat, gagné, pour maintenir le musée de la Marine à Paris. Aux marins comme aux terriens, "pépé" a montré comment apprivoisé le large.