René Vautier

03 mai 1989
29m 17s
Réf. 00856

Notice

Résumé :

Le cinéaste René Vautier s'entretient avec Robert Grelier à propos de son travail : l'utilisation de la vidéo ; la main mise de la télévision sur la production en France ; son expérience d'un réseau d'échanges de vidéocassettes sur la vie des enfants de douze pays du monde dont seule la télévision française a refusé de les diffuser ; sa volonté de rester Français et Breton en dépit de son application à s'intégrer à des sociétés différentes ; Le rejet, par les habitants de l'île de Sein, de l'équipe de tournage de "Dieu a besoin des hommes", de Jean Delannoy, et de Maurice Clavel venu écrire un scenario ; son souci de rester toujours proche des événements qu'il raconte afin que ceux qui les ont vécus s'y retrouvent, de mettre l'image et le son à la disposition des gens à qui on refusait l'expression ; le film tourné dans l'île de Sein par ses camarades A. Dumaitre et Alain Kaminker...

Type de média :
Date de diffusion :
03 mai 1989

Éclairage

René Vautier est l'un des cinéastes bretons les mieux connus de la Bretagne. C'est aussi le réalisateur le plus censuré de France. Ses films sont bien connus dans les milieux militants, en raison de son engagement lorsqu'il aborde le nucléaire ou les marées noires. Un film comme Avoir vingt ans dans les Aurès (1972), fruit d'un témoignage de plus de 600 heures d'enregistrement où René Vautier aborde la question de la torture en Algérie, est écarté de la grande distribution malgré son succès au Festival de Cannes (il a été glissé par erreur dans la programmation !). Ce film ne rencontre pas de succès en dehors des circuits parallèles par la suite.

Le caractère libre et rebelle de René Vautier transparait à chaque instant dans cette interview de 1989 où le natif de Camaret exprime sa vision du cinéma. Il défend un cinéma libre et indépendant, aidé par les réseaux des cinés clubs et des maisons d'échanges. Au cours de l'émission, René Vautier aborde la question de la fidélité à la réalité lorsqu'un réalisateur décide de s'approprier l'histoire d'un groupe donné. Il prend pour exemple l'œuvre de Maurice Clavel avec les gens de l'île de Sein qui ne se reconnaissent pas dans ce qui est filmé puisqu'ils ils ont renvoyé l'auteur de La Vouivre. Il en va de même pour Dieu a besoin des hommes. En revanche ils se retrouvent dans La mer et les jours d'Alain Kaminker. René Vautier s'est toujours efforcé de mettre « l'image et le son à disposition de ceux à qui les pouvoirs établis les refusent » pour montrer «ce que sont les gens et ce qu'ils souhaitent».

Raphaël Chotard – CERHIO – UHB Rennes 2

Bibliographie

VAUTIER, René, Caméra citoyenne. Mémoires, Rennes, PUR, Apogée, 1998.

MALEK, Sabrina et SOULIER, Arnaud, René Vautier, cinéaste franc-tireur, documentaire, France, 2002, 60 minutes.

ROYER, Jacques, René Vautier l'indomptable, documentaire, France, 1996, 26 minutes.

Raphaël Chotard

Transcription

(Musique)
Inconnue
A voix nue. Entretien d’hier et d’aujourd’hui. Aujourd’hui, René Vautier s’entretient avec Robert Grelier. Septième entretien.
(Musique)
Robert Grelier
Depuis cinq, six ans, tu enchaînes sur des vidéos soit en Algérie soit en France pour avoir une autre diffusion.
René Vautier
Oui, il y a différentes raisons à cela. Il y a une raison économique d’abord. C’est qu’effectivement pour être libre, il faut pouvoir s’exprimer avec les moyens dont on dispose, c’est-à-dire, s’exprimer malheureusement pauvrement. Pour atteindre cette liberté, pour garder cette liberté, effectivement aujourd’hui, la vidéo est un moyen qu’on est bien obligé d’utiliser. Que ce soit une volonté d’abandonner le cinéma, non, ce n’est pas vrai parce que le contact avec de la pellicule film, le contact charnel du bout des doigts avec de la pellicule qu’on monte. La possibilité aussi de regarder simplement en levant la pellicule vers la lumière, on voit l’image qu’il y a dessus. Bon en vidéo, évidemment c’est pas le cas. Le montage vidéo est pour moi un calvaire ; alors que le montage film, pellicule film, c’était toujours un moment de plaisir. Bon, mais ça, on se refait pas. Par contre, l’utilisation de la vidéo ouvre les portes à l’expression plus libre que l’on peut encore préserver aujourd’hui. Sur ce plan, je crois qu’il faudrait préciser que tout ce qui était secteur d’expression libre, on a l’impression que tous les efforts ont été faits en France pour que ce soit sabordé. Je pense d’une manière très précise aux réseaux qui existaient de cinéma de diffusion dite militante, et qui était pas toujours de la diffusion militante. La diffusion dans les ciné-clubs, la diffusion dans les maisons de jeunes et de la culture, ça permettait à certains films de toucher quand même un certain nombre de spectateurs. Et quelquefois même, ça a été notre cas pour tout ce que l’on faisait sur le plan expression de la Bretagne et expression, disons, des opprimés ; que ce soit les travailleurs immigrés ou les indiens d’Amazonie ou tous les gens avec qui on avait l’occasion de tourner, c’est-à-dire de mettre notre caméra à la disposition de leur expression. On réussissait à amortir ces films par un réseau basé sur les projections 16 mm dans un certain nombre de structures. A partir de 1981, il y a eu cet espèce de soupir dans certains milieux. On s’est dit, ouf, on n’a plus besoin de se battre sur les marges, maintenant, on va pouvoir passer à la télévision. Là, il y a eu le réflexe, pas uniquement corporatiste, mais le réflexe de défense d’état aussi, de défense de classe, de dire : oh lala, la télévision, c’est quand même pas pour tout le monde. On va pas passer n’importe quoi à la télévision. Et il n’y a pas eu du tout cette libération qu’on attendait. Alors, on avait quand même laissé couler tout ce réseau qui servait un petit peu à faire circuler une sève de liberté en images. On s’est retrouvé dans les années 84, 85 à se dire, mais comment on peut encore parler aux gens en images, alors qu’on sait très bien que ce que l’on fera ne passera pas à la télévision ? Si on veut rester proche des gens, si on veut refléter, et que les gens de télévision ne viennent pas me dire que je leur fais un procès d’attention. On peut faire la preuve effectivement, que dès qu’on mettait le micro, la caméra à la disposition de gens pour s’exprimer, ces choses étaient interdites sur les chaînes de télévision françaises. Elles ne pouvaient pas trouver d’accès. Alors, on s’est dit, basons-nous sur cette constatation qui est faite aussi par beaucoup de téléspectateurs. Ce qui passe sur nos petits écrans ne nous convient pas, donc nous achetons des magnétoscopes. Ca c’était la réaction du spectateur. Et le fait, je crois que les marchands de magnétoscopes en France peuvent effectivement remercier les programmeurs de la télévision française ; parce que si on a acheté tellement de magnétoscopes, c’est surtout parce que les gens ne trouvaient pas à la télévision ce qu’ils souhaitaient voir ; et que par moment, ils avaient envie de passer quelque chose qui n’existait qu’en cassette. Là, on s’est dit, mais pourquoi ne pas transposer notre activité marginale, qui hier passait dans les MJC, dans les ciné-clubs. Pourquoi ne pas faire des cassettes sur des sujets brûlants, mais qui sont abordés d’une manière que nous nous estimons partiale à la télévision. Pourquoi ne pas bâtir une expression libre basée sur les gens qui ont des magnétoscopes ? On a bâti à partir de ce moment là un certain nombre de films d’expression libre sur le nucléaire, sur les immigrés, plus exactement avec les immigrés et pas sur eux. Là-dessus, on a des exemples précis d’une richesse extraordinaire d’expressions, d’histoires que les gens ont envie de raconter pour les autres, pour mieux se faire comprendre ; qui nous permettent de dire que les gens qui disent, il y a une crise de scénario en France, eh ben, c’est qu’ils ne savent pas regarder autour d’eux. Ou plus exactement, quand ils regardent autour d’eux, ils font le tri entre ce que l’on a le droit de dire dans un certain milieu, ce qui passera à la télé et ce qui ne passera pas. Parce que maintenant, même les films, on sait dès le départ qu’ils ne peuvent pas être faits si on n’a pas la possibilité d’une diffusion télévision pour compléter les rentrées financières de projection sur grand écran. C’est tellement évident cette mainmise de la télévision en France sur toute l’expression par l’image qu’on arrive quelquefois à des points culminants dans la bêtise. Un jour, dans l’axe des productions qu’on entreprenait en film et en vidéo contre le racisme, on s’est dit, on va reprendre les méthodes Freinet d’expression directe des enfants ; les journaux d’enfants qui permettaient aux gosses d’une école de Fréjus de communiquer avec des gosses d’une école de Trégunc en Bretagne ; en leur racontant les histoires qui se passaient dans leur village. C’était les journaux d’école lancés par Freinet qui ont beaucoup contribué à une certaine forme de libération de l’expression des enfants. Là, on s’est dit, ben, on est à l’ère de l’audiovisuelle, essayons de faire une adaptation de cela aussi à l’échelle planétaire. On a pris des contacts avec des gens qui se trouvaient au Burkina Faso ou en Algérie ou au Congo ou au Sénégal ou au Québec ou en Louisiane. On leur a dit, voilà, on a un élément qui nous permet de communiquer entre nous, c’est la langue française. Est-ce que vous êtes prêts à participer à une action qui consisterait à mettre à la disposition d’enfants d’un village de chez vous une équipe de chez vous qui tournerait sous la direction des enfants ? Un petit film pour les enfants du monde pour dire. Dans tel endroit, Achille [Miougou] au Burkina Faso, on vit de telle façon. Nous enfant voilà notre vie. Et ça contribuerait à faire vivre les enfants dans une initiation au droit à la différence, qui est la base même à mon sens de l’antiracisme. Alors, le plus extraordinaire, c’est que tout le monde a marché. On n’a pas eu un seul refus. On a trouvé douze pays sur douze contactés qui ont accepté de participer à l’expérience. Donc, chaque pays mettait une équipe à la disposition de gosses de ce pays là. On fournissait, nous, la pellicule, ce qu’il fallait pour tournage et le développement, le montage. Et chaque pays recevait en échange les douze films tournés dans douze pays différents et les droits d’utilisation de ces films sur son territoire au service de l’éducation. Bon, quand je dis, tout le monde a marché, oui, tout le monde a marché même en France. Les ministères, c’est-à-dire le ministère de la Coopération, le ministère des Affaires étrangères, le secrétariat d’Etat à la francophonie. Tout le monde a dit, mais c’est une idée formidable, c’est très bien, on va vous appuyer. Seulement, pour qu’on puisse vous appuyer, il faut qu’il y ait un engagement de diffusion d’une des chaînes de télévision française. Sans cela, on ne peut pas vous appuyer, on ne peut pas mettre la moindre subvention à votre disposition. On s’est donc adressé aux chaînes de télévision françaises pour avoir cette garantie. Les chaînes de télévision, il y en avait trois à l’époque. Toutes les chaînes de télévision nous ont répondu : à une condition, c’est que ce soient des équipes françaises de notre chaîne qui aillent tourner dans tous ces pays, parce que sans ça, on aurait des ennuis avec les syndicats. On a eu beau prendre contact avec les syndicats, dont la plupart nous ont répondu, mais non, on connaît quand même le système d’échanges, on connaît... Les directions des chaînes ne sont pas revenues là-dessus, et nous n’avons eu aucun engagement. Ca ne veut pas dire, et c’est là le côté breton, bien que ce soit des films d’expression française, disons qu’il y avait une conception bretonne qui était la nôtre au départ ; c’est-à-dire une conception basée sur l’entêtement. On s’est dit : on va le tourner quand même. On se trouve maintenant effectivement. On arrivera à douze films produits dans des pays francophones. Le seul pays qui ne sera pas représenté là-dedans, ce sera la France, mais c’est pas de notre faute. Ce n’est pas du tout mon aspect revendicatif breton qui fait que la France ne sera pas représentée là-dedans. C’est simplement la connerie de certaines structures françaises et la peur du neuf. Voilà alors effectivement, je me suis trouvé tournant avec des équipes de tous ces pays à travers toute l’Afrique. Et pendant toute cette période-là, j’ai été effectivement peut-être plus africain que français.
Robert Grelier
C’est une question justement. Est-ce que René Vautier se trouve plus Africain en Afrique que plus Algérien en Algérie ou plus ouvrier chez les ouvriers ? C’est-à-dire, comment se fait-il qu’il arrive ? C’est quand même un René Vautier, un cinéaste intellectuel, dira-t-on. Comment se fait-il qu’il arrive à communiquer si facilement avec les gens qu’il filme ?
René Vautier
Oui, je ne vais pas te parler de la solitude du coureur de fond. Mais en fait, si j’ai des amis partout, je crois que ces amis-là aussi respectent ma différence. A un moment donné, quand je tournais effectivement au maquis en Algérie, les Algériens ont voulu que je devienne Algérien. Je leur expliquais qu’il était hors de question que Vautier, né en Bretagne, de cultures bretonne et française s’amalgame avec un peuple qui luttait pour son indépendance. J'étais, moi aussi, j’avais le droit d’être ce que j’étais et de ne pas changer d’étiquette comme cela. Le problème, c’est effectivement d’entraîner chez l’autre le respect aussi de ton droit à la différence. En fait, c’est là aussi quelque chose qui me met en position marginale par rapport à tous les gens aux côtés desquels j’ai pu combattre sur le plan de la liberté d’expression. Par exemple, les réalisateurs de films en France au sein de la société des réalisateurs de films ; pour lesquels pendant longtemps, la notion à défendre était la notion de cinéma d’auteur au singulier, sans "s" au bout. Moi je tenais à ce que les films que je faisais avec des gens différents de moi ; bon, à la limite, qu'on voit que c’était des films de Vautier, que le gars qui posait la question derrière la caméra, c’était Vautier qui posait ses questions à lui. Même quand elles n’apparaissent pas dans le film, y'a toujours quand tu filmes quelque chose, c’est que tu essaies de trouver ce qu’il y a derrière l’image. Et là, tu as donc une question permanente, et c’est à mon sens le rôle du réalisateur. C’est une question permanente que tu poses aux gens en disant, j’aimerais bien vous comprendre. Ca ne veut pas dire que tu disparais en tant que réalisateur. Mais ça veut dire que le principal du film, ce n’est pas ton jugement à toi, c’est ce que les gens d’en face veulent faire connaître par l’image. Et je pense sur ce plan, que partout où j’ai été présenter des films que j’avais tournés, ces films ont été accueillis comme des films acceptés. C’est-à-dire que des gens ne disaient pas, c’est le film de René Vautier, ils disaient, c’est notre film. Pour préciser la chose par une anecdote, il y a un endroit en France où les gens passent pour anti-cinéastes. Parce qu’il y a eu des expériences un petit peu difficiles pour certains cinéastes, c’est l’île de Sein. L’île de Sein, c’est tout à fait là-bas au bout de la Bretagne, en face de la pointe du Raz. Quand on va jusqu’à la pointe du Raz, on distingue sur l’horizon au bout, une petite barre, pas très longue, c’est l’île de Sein. Il y a des gens qui ont essayé de se servir des paysages de l’île de Sein, du tempérament prêté aux gens de l’île de Sein pour écrire des scénarios dont l’action se passait à l’île de Sein. Il y a par exemple un film qui a été tourné là-bas qui s’appelle Dieu a besoin des hommes. Bon, ce film effectivement, le tournage a débuté dans l’île de Sein. Mais au bout de deux semaines de tournage, toute l’équipe a dû plier bagage devant l’hostilité des gens de l’île, qui estimaient que ce n’étaient pas eux qu’on allait voir dans les images. On arrivait avec un truc, on leur faisait dire des choses, il n’y avait rien de commun avec leur vie réelle. Ils ont dit au cinéaste, bon ben, maintenant il est temps que vous partiez. Et on a reconstitué à Joinville l’île de Sein pour que le réalisateur puisse terminer son film. Ca a fait un film qui était intéressant pour les spectateurs. Pour les gens de l’île de Sein, c’était pas du tout un film sur l’île de Sein. Il y a un autre gars qui s’est rendu célèbre en quittant une émission, en disant, au revoir messieurs les censeurs. Bon, ce Clavel a été à l’île de Sein pour écrire un scénario sur l’appel du 18 juin de De Gaulle ; parce qu’effectivement, tous les gens de l’île de Sein de 15 à 50 ans, sauf le curé qui était resté pour défendre ses ouailles dans l’île ; mais tous les autres au mois de juin 40 étaient partis continuer le combat en Angleterre, tous les hommes donc de l’île. Clavel s’est dit, mais quel beau sujet, je vais aller l’écrire là-bas. Et puis, il a écrit, il a écrit. Et un jour, les gens de l’île tout à fait par hasard sont tombés sur des extraits de son scénario, de ce qu’il cogitait, qui traînaient sur une table de bistrot. Et ils lui ont dit, le soir ils se sont lu les portions de scénarios entre eux. Ca ne correspondait pas du tout à l’image de ce qu’ils avaient vécu. Et ils ont dit à Clavel, monsieur, demain matin, il vaut mieux que vous repreniez le bateau, parce que sans cela, vous allez avoir des bricoles. L’eau du port est froide, vous avez intérêt à partir avant qu’on vous jette dans le port. Et Clavel est parti, et le film ne s’est jamais tourné. Par contre là, le Maurice Clavel, il voulait écrire du Clavel et du De Gaulle sur le dos des îliens. Et là, il y a aussi cette responsabilité des gens vis-à-vis de ce que l’on met en scène.
Robert Grelier
Ca veut dire que tu refuses l’imaginaire, ça veut dire que tu refuses la fiction. Ca veut dire que tu refuses en quelque sorte qu’à partir d’une réalité, un auteur puisse la transformer. Attends, je finis, ça veut dire que René Vautier est toujours très près du réel, dedans à l’intérieur et qu’il ne veut pas en sortir.
René Vautier
Non, je veux simplement que les gens dont on prétend raconter la vie se retrouvent lorsqu’ils se voient à l’écran, se retrouvent comme ils sont. Et même s’il y a une histoire qui est inventée, qui est amenée par un réalisateur, que cette histoire-là soit acceptable et conforme au vécu des gens. Au vécu plus profond, on peut résumer toute une vie dans une histoire, qui n’est pas obligatoirement une histoire réelle. Le principal pour moi, ce n’est pas que le réalisateur puisse dire devant son œuvre : ah, c’est exactement ce qui se passait dans ma tête. Mais s’il se sert d’un matériau humain, que ce matériau humain se dise : oui, c’est moi, je retrouve.
Robert Grelier
Mais Victor Hugo n’était pas à la bataille de Waterloo et pourtant il a réussi à raconter Waterloo.
René Vautier
Et Goethe...
Robert Grelier
Goethe n’était pas…
René Vautier
Goethe était, mais il y a déjà un cheminement entre Goethe et un cinéaste d’aujourd’hui. C’est que Goethe est resté dans sa calèche pour voir la bataille de Valmy. Et il a pu dire, voilà un grand tournant dans l’histoire du monde. Mais aujourd’hui, il ne serait plus possible pour un gars de rester dans sa calèche et de filmer. Donc, il y a une nécessité aujourd’hui d’être beaucoup plus proche des événements pour les raconter. Il y a un critique qui a dit à propos du roman américain et du roman français. Les romanciers américains vivent d’abord, et puis ils écrivent après ce qu’ils ont vécu ou sur ce qu’ils ont vécu. Et le romancier français, il écrit d’abord, et puis après avec l’argent des rentrées…. Là, je brode, ce n’est pas exactement ce qui s’est dit, mais c’est ce que je pense moi. Avec l’argent des droits d’auteur, il en profite pour aller faire des voyages, en particulier sur la Thaïlande en général. C’est un lieu où vont beaucoup maintenant de ces gens qui commencent par faire passer des messages dans leurs romans ; et ensuite, vont se faire faire des massages avec le produit des messages. Non, je crois sur ce plan qu’il y a une nécessité de rester, quand on veut être honnête avec soi-même. Mais c’est peut-être pas une recherche très courante aujourd’hui de connaître les événements. Et même si on apporte son opinion sur ces événements, que les gens qui ont vécu ces événements puissent se retrouver dans l’œuvre finale. Ce qui veut dire aussi que je suis absolument contre le fait qu’il y ait une monopolisation par les gens d’images de la possibilité d’expression. Aujourd’hui, on dit, on se bat pour la liberté d’expression, les cinéastes se battent pour la liberté d’expression. Pour la liberté d’expression de qui ? Et pour la liberté d’expression pour exprimer quoi ? Il y a donc des gens qui saisissent l’expression et qui la gardent; et qui la gardent pour eux. Ce que j’ai essayé de faire effectivement en 40 ans de vie de cinéaste, c’était de mettre l’image et le son à la disposition des gens à qui on refusait l’expression ; pour qu’ils puissent s’exprimer à travers moi.
Robert Grelier
Ce que l’on répond à cela, c’est qu’on dit, les ouvriers ne veulent pas retrouver à l’écran, petit ou grand, leurs problèmes. Ce qu’ils veulent, c’est un divertissement.
René Vautier
Alors là, je reviens, je reviens à l’île de Sein. On a dit aussi, les gens de l’île de Sein qui ont viré les gens du Dieu a besoin des hommes, qui ont viré Clavel Maurice, c’est qu’ils veulent pas qu’on les filme. Or, moi je savais que les gens avaient beaucoup de choses à dire à l’île de Sein, qu’ils avaient beaucoup de choses à montrer comme ça. Et pendant que j’étais mort, enfin pendant qu’on avait dit en France que j’étais mort pendant la guerre d’Algérie, pendant ma période donc de détention au grand secret en 58 ; des copains, avec qui j’avais tourné en Bretagne, à qui j’avais présenté la Bretagne, ont été tourner un film à l’île de Sein. Un film qui était un petit peu pour eux, au moins pour deux d’entre eux ; pour André Dumaître et pour Alain Kaminker, une sorte d’hommage à ce que René concevait sur le plan des rapports avec les gens de Bretagne sur le plan de l'expression. Et ces gens, au bout de quelques jours, ont été très très bien accueillis dans l’île de Sein. Et ils ont tourné un film dans l’île de Sein qui s’appelle…
Robert Grelier
La Mer et les jours.
René Vautier
La Mer et les jours. Ils étaient tellement décidés à partager la vie des gens de l’île de Sein, que l’un en est mort. Alain Kaminker a voulu tourner à partir du bateau de sauvetage des vues de tempête. Il a été enlevé par une lame, et il est enterré à l’île de Sein. Et lorsque... déjà ce film, avec un commentaire de Chris Marker, je précise avec le commentaire de Chris Marker, parce que ça permet d’arriver à la fin de l’histoire. Ce film donc est projeté mais pour les touristes, parce qu’il sert quand même à montrer – d’après les gens de l’île de Sein – il montre la réalité de la vie de l’île de Sein. Et puis, quand je formais des jeunes bretons à l’utilisation de la caméra, je les emmenais…
Robert Grelier
En quelle année ?
René Vautier
Dans les années... au moment de la création du PCB à partir de 70. Je les emmenais à l’île de Sein pour essayer de voir avec eux quels étaient les rapports qui s’étaient établis là dans l’île entre André Dumaître, Alain Kaminker et les gens de l’île de Sein. Et on a tourné là-bas avec donc les stagiaires. A chaque voyage à l’île de Sein, on tournait l’histoire d’Alain Kaminker telle qu’elle avait été vécue par les gens de l’île de Sein ; c’est-à-dire des gens de l’île qui, à leur tour, parlaient d’un cinéaste. Puis, on faisait le duplex avec André Dumaître, qui lui racontait ce qu’il avait appris de la vie des îliens en essayant de les filmer ; et aussi qui racontait sa vision à lui, ami d’Alain Kaminker, de la mort d’Alain Kaminker qui avait été enlevé du bateau sur lequel il se trouvait, mais sur lequel se trouvaient aussi des îliens. Si bien qu’on avait le problème permanent de dialogues créés à 600 filomètres de distance, puisqu’on interviewait André Dumaître à Paris, et les îliens sur leur île. Il y avait une vieille dame qui avait été l’espèce de mère adoptive pendant le tournage. André Dumaître et Alain vivaient chez cette dame là, Marcelline. On a donc interviewé Marcelline, et Marcelline nous disait, c’était comme mes enfants. D’ailleurs, quand je serai morte, je veux être enterrée dans la même tombe qu’Alain. Parce qu’Alain Kaminker, dont on avait retrouvé le corps, avait été enterré dans l’île de Sein, et son corps est resté là-bas. C’était une hérésie, parce que dans l’île de Sein, les gens doivent…, il y a des petits coins de famille pour les enterrements. Là, l’idée qu’une vieille dame voulait être enterrée dans la même tombe qu’un jeune gars avec lequel elle n’avait aucun lien de parenté réel ; c'était, ça nous semblait à nous complètement aberrant et inacceptable pour les îliens. Et puis, on s’est trouvé tout à fait par hasard dans l’île, le jour de l’enterrement de Marcelline. Et j’avais pas de caméra, j’avais qu’un appareil photo. J’ai filmé l’enterrement de Marcelline.
Robert Grelier
Photographié…
René Vautier
J’ai photographié l’enterrement de Marcelline. Et on s’est aperçu que les gens de l’île – conformément aux derniers vœux de Marcelline – ouvraient la tombe d’Alain, et mettaient Marcelline dedans. Et Marcelline était, comme tous les gens de l’île, une vieille catholique. Alain Kaminker était un athée d’origine juive.
Robert Grelier
Il faut dire que c’était le frère de Simone Signoret.
René Vautier
Là aussi, pourquoi il faut le dire ?
Robert Grelier
Non, il faut le dire dans la mesure où Simone Signoret le raconte dans sa mémoire.
René Vautier
Elle raconte la mort de son frère. Mais non, excusez-moi quand je dis pourquoi il faut le dire, parce que je ne tiens pas à ce que le prestige de Simone Signoret vienne rajouter quelque chose à l’histoire d’Alain Kaminker. C'est pas... ça me semble pas une nécessité absolue. Oui, c’était effectivement le frère de Simone Signoret. Et à part ça, c’était un gars qui avait sa vie propre et qui existait en tant qu’Alain Kaminker. Le fait que ce gars d’origine juive et la vieille catholique se retrouvent dans la même tombe, ça n’a absolument pas gêné aucun des catholiques de l’île.
(Musique)
Inconnue
A voix nue. Entretien d’hier et d’aujourd’hui. René Vautier s’entretenait avec Robert Grelier. Réalisation, [Marie-Andréa Minaud]. Demain, huitième entretien.