André Cayatte, cinéaste

05 mars 1964
03m 27s
Réf. 00341

Notice

Résumé :

Le réalisateur André Cayatte évoque son film Françoise ou la vie conjugale. Originaire de Dinan, il regrette que le cinéma français n'exploite pas ses ressources régionales. Il envisage cependant de réaliser des films en Bretagne.

Date de diffusion :
05 mars 1964
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

André Cayatte est né à Carcassonne le 3 février 1909. Après des études de lettres et de droit, il se destine à une carrière d'avocat à Toulouse d'abord, puis à Paris. Il quitte rapidement cette voie pour se consacrer au journalisme et à l'écriture. Il commence ainsi sa carrière dans le cinéma comme scénariste, puisqu'il collabore à l'écriture de plusieurs films, notamment Entrée des artistes de Marc Allégret en 1938 et Remorques de Jean Grémillon en 1939 qu'il coadapte du roman de Roger Vercel avec Jacques Prévert. Ce film, dont le tournage en Bretagne est interrompu par la Deuxième Guerre mondiale, compte parmi ses acteurs deux grandes vedettes, Jean Gabin et Michèle Morgan. Fort de ces expériences, André Cayatte passe derrière la caméra et réalise les adaptations de plusieurs romans français qui sortent en salle dans les années 1940 : La fausse maîtresse d'Honoré de Balzac, Au bonheur des dames d'Emile Zola, Pierre et Jean de Guy de Maupassant. Il retrouve ensuite Jacques Prévert pour l'écriture d'un scénario original qui lui permet de développer un cinéma plus personnel. Les Amants de Vérone sort en 1948. S'ensuit une série de films traitant de la justice, sujet qu'il connaît bien. Avec une trilogie (Justice est faite 1950, Nous sommes tous des assassins 1952 et Le Dossier noir 1954), il plaide pour une justice plus humaine et utilise les images comme un révélateur de vérité. La position de juriste qu'il prend dans ses films et la façon dont il veut amener le spectateur à prendre conscience du monde lui sont reprochées par la critique qui ne l'aime guère. Cela ne l'empêche pas de tourner, bien au contraire. Il ne réalise pas moins de trente films tout au long de sa carrière, sans compter ses multiples participations à d'autres films en tant que scénariste et ses réalisations pour la télévision.

Dans le document proposé, le journaliste s'obstine à demander à André Cayatte pourquoi il ne tourne pas en Bretagne alors que son père est breton. Au-delà de l'anecdote, s'il préfère faire ses films à Paris c'est sans doute parce que Cayatte tourne beaucoup en studio et très peu en extérieur.

Cette obstination du journaliste s'explique certainement par la date du document. Celui-ci date de mars 1964. La station de la Radio Télévision Française (RTF) à Rennes est inaugurée le 3 février 1964. Cette déconcentration des moyens techniques de la RTF fait partie du plan d'aménagement du territoire du gouvernement gaulliste. Il s'agit alors pour cette télévision de valoriser la Bretagne et tout ce qui se rapporte à elle. Plutôt que de parler de cinéma et de l'œuvre d'André Cayatte, le journaliste préfère lui faire parler de la Bretagne. Déjà, la station est en quête d'identité, question qui traverse son histoire.

Soline Levaux

Transcription

Interviewer
André Cayatte, lorsque vous avez décidé de tourner La Vie conjugale, est-ce que vous avez eu l'impression d'aborder un problème essentiel, un problème important ? Je pense que votre oeuvre précédente témoigne d'un intérêt pour des problèmes plus généraux, ce retour à la psychologie paraît assez inattendu de votre part ?
André Cayatte
Non, parce que j'ai fait jusqu'à maintenant des films qui avaient presque tous pour thème principal la notion de solidarité. A savoir que j'ai essayé de montrer que, dans une société, chacun de nous était solidaire qu'il le veuille ou qu'il ne veuille pas des autres. Que le crime en particulier était un fait social et que si la société se sentait solidaire de la victime, elle devait également l'être du coupable. Et j'ai fait aussi un film qui s'appelait Nous sommes tous des assassins dans lequel on assistait à la responsabilité collective de tout un groupe d'individus. J'ai fait un film même qui paraissait très éloigné de cette notion et qui, pourtant, traduisait cette notion qui était "oeil pour oeil", qui était en quelque sorte la solidarité d'un coupable et d'une mauvaise conscience, les deux étant conduits ensemble vers une fin commune. Et il m'est apparu qu'une des bases essentielles de cette notion de solidarité c'était le couple, et au fond c'est la solidarité du couple que j'ai voulu étudier et il m'a semblé que la meilleure façon d'exprimer cette solidarité, c'était de le consacrer aux problèmes du couple, deux films, de donner à l'homme et à la femme séparément la possibilité de s'exprimer et c'est pourquoi j'ai fait deux films consacrés à la vie conjugale.
Interviewer
André Cayatte, on peut vous considérer comme un homme de l'Ouest, pourquoi d'abord vous sentez-vous un peu breton ?
André Cayatte
Parce que je le suis.
Interviewer
Vous l'êtes.
André Cayatte
Je le suis par mon père qui était originaire de Dinan.
Interviewer
Dans le cinéma français on tourne beaucoup à Paris, on tourne sur la Côte d'Azur, pourquoi à votre avis ?
André Cayatte
Je crois pour des raisons d'ordre pratique simplement ,parce qu'il y a des installations qui le permettent, parce que tout est fait pour faciliter la prise de vue, c'est la seule raison. Mais il est parfaitement regrettable que, justement, le cinéma français n'exploite pas les ressources de la France, et en particulier celles de la Bretagne, qui sont grandes.
Interviewer
Vous croyez à l'interaction du paysage et de la psychologie ?
André Cayatte
C'est l'évidence même.
Interviewer
Est-ce que vous auriez, comme cela - impromptu - une histoire que vous aimeriez raconter en images chez nous en Bretagne ?
André Cayatte
Il y en a de nombreuses, mais il m'est même arrivé comme scénariste de travailler sur une histoire, sur un scénario dont l'action se passait en Bretagne, puisque c'était inspiré d'un livre de Vercel. C'était un film qui a été tourné avant la guerre par Grémillon, Remorques.
Interviewer
Eh bien, si demain vous deviez recommencer, est-ce que vous avez, comme cela en tête - je vous ai déjà posé la question mais j'insiste - est-ce que vous auriez une histoire que vous aimeriez raconter de nouveau chez nous ?
André Cayatte
Oui, plusieurs même. Et il m'est même arrivé de tourner des histoires dont j'aurais volontiers situé l'action, enfin une partie de l'action, en Bretagne, ce qui aurait donné beaucoup plus d'authenticité à la fois aux décors et aux personnages, et si je ne l'ai pas fait, c'est justement parce que les facilités de tournage nous étaient offertes, à Paris parce qu'il y avait les studios, et sur la Côte d'Azur parce qu'il y avait un équipement technique qui le permettait. Mais le même équipement technique, demain, pourrait parfaitement se trouver ici et auquel cas, c'est très volontiers que je tournerai des films en Bretagne.
Interviewer
Eh bien, je prends acte de votre regret et j'espère qu'il n'est pas trop tard.