Les terres welches d’Alsace au risque de la reconstruction historique
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En présentant la singularité linguistique des terres romanes d’Alsace - celle du parler welche -, on peut s’interroger sur la notion de « frontière », notamment en zone de montagne, comme sur l’affirmation d’une identité revendiquée dans un contexte minoritaire.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
07 avr. 2001
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le welche est un dialecte roman parlé en Alsace, essentiellement mais non exclusivement, dans les vallées de la Bruche (du col de Saales jusqu’au-delà de Schirmeck), de Villé, du val de Lièvre et enfin de la Weiss (autour d’Orbey et de Lapoutroie). Historiquement, les autorités locales de langue germanique – alémanique et francique – ont qualifié de welche toute personne parlant une langue romane. Cette définition par la négative, terminologie de la majorité pour désigner une minorité, induit des constructions mentales fortement enracinées, en particulier durant le Siècle d’Or (1477-1618) qui fit de la langue un critère discriminant en attribuant à ses locuteurs des comportements spécifiques : les Welches auraient alors été arrogants, indisciplinés et séducteurs !
En réalité, l’origine des parlers welches échappe largement à l’historien en l’absence de documentation écrite sur plusieurs siècles. Pour le linguiste Alain Litaize, si les connaissances manquent « d’épaisseur linguistique », les enquêtes de terrain permettent de poser quelques jalons. On remarque ainsi que les dialectes du val d’Orbey et de la vallée de la Bruche présentent assez de différences, entre autres phonétiques, pour ne pas les enfermer dans une catégorie unique. Par contre, on repère un continuum entre Provenchères et Schirmeck, ce qui induit une parenté linguistique entre patois welches et patois vosgiens de part et d’autre de la ligne de crête qui ne fonctionne pas comme une frontière. D’autre part, comme pour toutes les langues, il existe une porosité qui fonctionne dans les deux sens, en particulier dans le champ lexical, entre parlers welches et parlers germaniques.
Reste à comprendre l’origine de ces parlers welches à l’est du massif vosgien. Plusieurs hypothèses sont avancées, l’une n’excluant pas l’autre, chaque vallée ayant une histoire spécifique. Sans en faire une théorie, évoquant seulement une « impression », Alain Litaize note que « la frontière linguistique passe au moment où la vallée se rétrécit et qu’on peut la défendre ». À l’appui, il cite le no man’s land particulièrement étroit qui sépare Fréland, dernier village romanophone du val d’Orbey, et Kaysersberg, première commune germanophone située en aval. Une observation qui renvoie à la fonction refuge de la montagne dans un contexte d’insécurité. Autrement dit, on pourrait suggérer que, lors des grandes migrations germaniques des IIIe-Ve siècles, les populations gallo-romaines de la plaine d’Alsace se soient repliées dans les hautes vallées du massif. La difficulté de cette hypothèse est qu’elle n’est guère appuyée par l’archéologie et que la toponymie n’est pas d’un réel secours.
Autre explication, celle d’une implantation plus tardive des dialectes romans, en lien avec la politique d’expansion du pouvoir franc. L’historien Christian Wilsdorf esquisse un scénario qui part également de l’effondrement de l'empire romain, mais il y voit des conséquences différentes, à savoir la désertification des hautes vallées vosgiennes. Par contre, il insiste sur les donations que le pouvoir carolingien réalise au profit de monastères de régions romanophones, en aliénant une partie des territoires du fisc royal, sur le flanc oriental des Vosges, en vue d’une pénétration sur ses marches germaniques. Au VIIIe siècle, Charlemagne et ses successeurs font de l’abbaye de Saint-Denis le support de leur politique d'expansion en direction de l'est du royaume : son abbé Fulrad reçoit ainsi l'abbaye de Saint-Dié, puis la majeure partie du val de Lièpvre où il développe un prieuré important et, très en aval, un second établissement à Saint-Hippolyte. Par le col de Sainte-Marie, il constitue ainsi un ensemble cohérent reliant la haute vallée de la Meurthe à la plaine alsacienne.
Si l’origine du dialecte roman des vallées welches n’est pas antérieure au VIIIe siècle, reste à savoir qui le parle. Pour les linguistes, les études ont démontré que les autorités ont rarement cherché à imposer leur langue d’usage à des populations locales qui plus est illettrées. Il faut attendre le XVIIIe siècle, puis la Révolution française, pour qu’une langue écrite et normalisée soit enseignée de manière uniforme, stigmatisant en Alsace aussi bien les locuteurs germaniques que welches. Il faut donc distinguer entre langue du pouvoir et langue du peuple et admettre l’existence d’une coexistence linguistique, ce qui n’est en rien un bilinguisme.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Diffusé en 2001, le reportage de France 3 Alsace propose une présentation du pays welche en Alsace, c’est-à-dire des territoires dont la population parle une langue romane – et non germanique – constituant une exception dans le paysage linguistique alsacien. La carte qui ouvre ce reportage met en évidence les zones de « langues romanes » en orange et celles de « dialectes alsaciens » en vert. Il faut noter que la terminologie utilisée demeure floue et qu’aux termes de « langues » et de « dialectes », la journaliste ajoute ceux de « patois » et de « parlers ». Il semble y avoir confusion alors que, d’un point de vue linguistique, il n’y a aucune différence d’ordre structural entre ces parlers qui, tous, combinent avec complexité une grammaire, une morphologie, une syntaxe, un lexique, une phonologie. Le patois désigne les parlers de milieux essentiellement ruraux, mais ils sont tout aussi élaborés que n’importe quelle langue. Le dialecte, pour sa part, est une catégorie qui réunit différents patois aux structures proches, en particulier d’ordre syntaxique et lexical. Quant à la langue, elle se caractérise par trois faits : elle est le dialecte de la région dans laquelle s’est établi un pouvoir politique, son affirmation est généralement liée à une production écrite et elle est normalisée. Bref, en étant caricatural, une langue, c’est un patois qui a une armée et une école ! C’est à partir de ces définitions qu’il faut donc considérer la présentation du welche comme de l’« alsacien ».
Pour illustrer son propos, le reportage se concentre sur l’une des zones welches d’Alsace, celle de l’ex-canton de Lapoutroie qui regroupe cinq communes du Haut-Rhin, au nord-ouest de Colmar. L’essentiel des images est tourné à Fréland. L’historienne locale interrogée par la journaliste explique la présence du parler welche dans la vallée de la Weiss par l’implantation ancienne de paysans lorrains venus mettre en valeur et défricher un territoire vierge et enclavé, bloqué à l’ouest par le col du Bonhomme et fermé à l’est par un défilé qui ouvre sur Kaysersberg et la plaine d’Alsace. Ancienne carte d’état-major à l’appui, elle montre la « barrière linguistique » figée depuis l’époque carolingienne, entre Aubure au nord à Labaroche au sud. Cet isolement comme la présence d’un habitat dispersé auraient permis le maintien d’une langue romane dans ce secteur. Une vision assez fixiste de l’histoire et de la langue, pas totalement erronée néanmoins, que semblent partager les bénévoles de la « Maison du pays welche » qui entretiennent et font visiter un écomusée à Fréland. On y entend parler welche et la caméra parcourt l’intérieur reconstitué d’une ferme traditionnelle, visiblement typique de la fin du XIXe siècle. Les bénévoles interrogés expliquent l’importance qu’ils accordent à la transmission de la langue – les cartouches des objets exposés sont en welche et en français, mais pas en alsacien – mais aussi des anciens modes de vie, des pratiques artisanales et agricoles, des traditions populaires. Sur une table, la caméra glisse sur la une du Patriote lorrain, un hebdomadaire francophone qui paraît à partir de 1905 et qui, sans cesse, tournait en ridicule les Allemands. Ce supplément du Lorrain, journal catholique et conservateur de Metz, était explicitement publié à l’intention des lecteurs des campagnes. Il est une illustration claire de l’attachement des locuteurs welches à la « Mère Patrie », ce qui ne les empêcha cependant pas – dès 1918 – de revendiquer le maintien du statut local dont ils avaient bénéficié durant l’Annexion.
Le reportage se clôt sur la notion d’« identité » welche entretenue par les descendants lorrains de l’époque carolingienne – une affirmation qui mérite d’être interrogée. Cette conclusion peut ouvrir une réflexion sur les relations ambiguës entre langue, peuple et histoire, mais elle peut aussi questionner la politique de l’État français vis-à-vis des langues régionales. En se demandant comment le welche pourra affronter le défi du 3e millénaire, le reportage fait écho au refus de la France de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adopté en 1992 par le Conseil de l’Europe.
Transcription
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