Le patois Lorrain à Liézey
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Résumé
Ce reportage est consacré à l’étude du patois lorrain des Vosges rurales près de Gérardmer dans l’Est du département. Il fait l’inventaire des locutions encore en usage en 1974 à travers l’interview d’un des derniers locuteurs natifs vivant dans cette région de moyenne montagne.
Langue :
/
Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
19 janv. 1974
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Éclairage
Éclairage
Contexte historique
ParPennerath
Depuis l’An Mil, la Lorraine est coupée par une frontière linguistique qui court de Thionville au Donon et qui ne bougera quasiment plus jusqu’à nos jours. Elle coupe la région en deux zones : à l’Ouest et au Sud, les dialectes romans et au Nord-Est et à l’Est, les dialectes germaniques. Le nom du village, Liézey, avec un suffixe en « ey », est typique de cette Lorraine romane où abondent les toponymes se terminant par « ey », « court » ou « mont », à une vingtaine de kilomètres de l’Alsace marquée par la germanité.
Un dialecte est un ensemble de signes vocaux dont la combinaison assure l’intercompréhension de ses usagers ; c’est donc une langue régionale dont la forme écrite n’est pas forcément codifiée et qui se distingue d’un patois par les conditions de son utilisation. Le patois, en effet, est une déformation d’un dialecte et il n’est parlé que dans une zone réduite et souvent à la campagne, alors que le dialecte s’étend sur toute une province et est parlé par toutes les couches de la population. Le patois ne concerne ainsi que certains groupes sociaux, comme ici les paysans, qui l’utilisent essentiellement pour parler de leur métier et de la vie rurale, et qui passent au dialecte ou au français pour parler du reste.
En 1974, on arrive au terme d’un long processus qui a vu la victoire du français, langue de l’administration, de la ville et de l’école triompher du dialecte lorrain et des patois. Le français était la langue administrative de cette région des Duchés de Lorraine rattachés au Royaume en 1766 ; et la Révolution Française et l’Empire n’ont fait qu’amplifier les choses.
Plus tard, au XIXe siècle, le service militaire et l’école obligatoire en français sous la IIIe République ont encore accentué la chose, en faisant du français, langue écrite et codifiée, également la langue parlée à la place du dialecte et plus encore des patois.
Au XXe siècle, la poursuite de l’industrialisation autour du textile à Gérardmer a entraîné un fort exode rural et des contacts plus fréquents entre les campagnes et les villes qui ont débouché sur la disparition des patois. Ce mouvement a été général dans toute la France, qui a achevé son unification linguistique au profit du français. Ceci a encore été accentué par le développement économique des Trente Glorieuses (1945-1975) et la diffusion de la culture française dominante à travers les médias de masse.
Finalement, seules quelques personnes semblant sortir d’un autre âge parlent encore ce patois vosgien en cette année 1974 où le Président Valéry Giscard d’Estaing nouvellement élu veut poursuivre la modernisation de la France.
Éclairage média
ParPennerath
Le reportage est composé de quatre courtes parties qui mêlent le témoignage et l’interview du locuteur, M. Bresson, et l’analyse historique et scientifique faite par M. Jean Lanher, linguiste de l’Université de Nancy et spécialiste de dialectologie.
La première partie pose le décor et résume la situation : en 1974, les patois sont morts ou moribonds et ne survivent plus que dans quelques rares zones rurales isolées et peu peuplées. On le voit par les plans d’ensemble qui présentent le ban de Liézey et les alentours de la maison de M. Bresson : on voit un paysage typique de la campagne vosgienne de moyenne montagne avec des prés, des champs et des forêts immenses qui couvrent monts et coteaux. Cette impression est accentuée par la saison et le paysage enneigé ainsi que la par 2 CV rouge qui déboule devant la maison de l’interviewé. Néanmoins, si la commune est bien isolée comme le dit le commentateur, elle n’est pas à l’écart du monde : la route est bien déneigée, les lignes électriques sont là depuis longtemps et l’eau courante coule au robinet même par un froid glacial ; bref, Liézey n’est pas à l’écart du progrès !
M. Bresson parle le patois vosgien et on en a la preuve par sa conversation avec l’étudiant qui enregistre leurs propos concernant les travaux des champs sur son magnétophone afin de les archiver.
Suit un exposé de M. Lanher qui présente M. Bresson, né en 1910, ainsi que le but de leur expédition : constituer un fonds documentaire permettant de sauvegarder les anciens parlers et les richesses de ces dialectes qui sont en train de mourir à cette époque.
La troisième partie montre M. Bresson dans sa cuisine, encore typique des cuisines lorraines d’autrefois avec sa pierre-à-eau devant la fenêtre et son fourneau à bois. On le découvre qui nous raconte sa vie en français. C’est un paysan du coin qui a toujours vécu à Liézey et qui a une vie typique des paysans d’autrefois : les travaux des champs à la belle saison et le tournage sur bois à domicile à la morte saison, la vente du lait des vaches assurant un revenu régulier. Et même s’il porte des sabots, il vend son lait à la coopérative et ne refuse pas le progrès : il sait skier et nous fait une démonstration de menuiserie sur son tour à bois électrique.
Pour conclure, Jean Lanher tire un bilan de cette interview en constatant que les patois sont morts ou moribonds dans la France entière et que ces enregistrements de patois ont une forte valeur patrimoniale car ils sont les derniers témoins d’un monde disparu ou qui se meurt. Il souligne qu’en Lorraine, la situation est un peu différente pour les dialectes germaniques car à cette époque ils sont encore bien en usage dans leur zone linguistique. Enfin, selon lui, le sauvetage de ces patois qui peuvent paraître folkloriques et la collecte de cette langue qui était celle de nos ancêtres doivent déboucher sur un ouvrage de dialectologie lorraine. Cela est accentué par les dernières images montrant M. Besson béret vissé sur la tête et hache à l’épaule partant « faire du bois » ; le message est clair : il faut inventorier tous ces patois au nom du patrimoine et du respect des cultures populaires !
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Silence)
Thomas Milon
Il y a quelques années encore, dialectes et patois suffisaient à caractériser une région mieux que ne pouvait le faire aucune délimitation administrative.Mais, l’enseignement du français s’est fait au détriment des parlers locaux, dont certains étaient même interdits dans les cours d’école.Aujourd’hui, à l’inverse de certains dialectes, les patois se meurent.Ils ne sont plus guère parlés que dans quelques communes, qui ont dû à leur isolement géographique d’avoir été épargnées.Liézey, dans les Vosges, est l’une de ces communes.
(Silence)
Journaliste
Comment ça va, Monsieur Bresson ?
Monsieur Bresson
Ça va très bien.
Journaliste
C’est l’hiver ?
Monsieur Bresson
Oui.
Journaliste
D’hè-mi, s’n’è mi sti tro dihh ?
Monsieur Bresson
Non.No, sa z é n’ollè jusk’è maitnan, j’â sti în peu embêté lé djo pèssè, sa h’ivè dihh, il ooue dè h’ivayes !
Journaliste
Dè grosses h’ivayes ? (Des grosses averses de neige ?)
Monsieur Bresson
O way, J’k’è tan k’sa z é h’eutè, jé joyè pi d’trimbalè, j’ooue lè ski ou bé lè raquettes.
Journaliste
Enfin, on va un peu travailler ce matin.
Monsieur Bresson
Ah ben oui, on va essayer.
Journaliste
Dire un peu de patois, parler un peu de patois.
Monsieur Bresson
Du patois ?Si on veut.
Journaliste
Comment vous diriez-vous, Monsieur Bresson « Aller chercher de l’herbe verte pour les vaches, aller chercher de la verdure pour les vaches » ?
Monsieur Bresson
è bé, s’a d’l’èbe ou bé do vor’h po lè vèches.
Thomas Milon
Ces chercheurs du CNRS, trop peu nombreux peut-être, ont entrepris de sauver ce qui pouvait être sauvé des patois lorrains,en établissant un relevé systématique des mots et expressions encore en usage.En même temps, ils ont redécouvert un mode de vie depuis longtemps oublié des citadins.
Jean Lahner
[...] pendant qu’il est temps de sauvegarder les anciens parlers qui ont eu cours sur un certain domaine, qui est le domaine de la Lorraine, où l’on parle un dialecte d’origine latine, le roman.Et pourquoi ici Monsieur Bresson ?Parce que Monsieur Bresson est un monsieur jeune, 64 ans, je peux le dire,qui malgré son jeune âge connaît encore le patois, sait le parler et a toute la vivacité d’esprit requise.
(Bruit)
Monsieur Bresson
J’ai toujours habité ici, je suis né ici à Rougemont, encore plus haut qu’ici, presque sur la crête, à 800, tout près de 900 mètres d’altitude.Je ne suis pas marié, j’ai failli, mais ça a tourné à rien.J’ai eu des déceptions et puis, ma foi, voilà.Je m’occupe de ma ferme, puis je vis avec ça.Je travaille un peu à côté, ce que je peux faire, quoi.J’ai un atelier, je fais quelques bricoles avec ça, qui me permettent de faire des machins sur le bois souvent, des petites choses.
Journaliste
Alors, qu’est-ce qui fait que ce patois lorrain a aujourd’hui disparu ?
Jean Lahner
Le phénomène est général.Il n’est pas spécial à la Lorraine, à la Lorraine romane en tout cas.Il est général pour l’ensemble du domaine français.Et chose étonnante, c’est qu’en Lorraine, où nous avons précisément une coupure très nette entre les dialectes romans à l’ouest et les dialectes germaniques à l’est,c’est qu’à l’est de cette zone, qui va en gros de Thionville au Donon,le dialecte germanique est encore extrêmement vivant, alors que chez nous, à l’ouest de cette ligne, il est pratiquement mort.C’est un phénomène que l’on ne s’explique pas.On le constate purement et simplement.
Monsieur Bresson
J’ai des vaches, quatre en ce moment.Puis, moi, je fais la cinquième.Je vends mon lait.Je vis avec ce que j’ai, selon ce que j'ai.S’il y a beaucoup, je vis bien.S’il y a moins, je vis, mais moins bien.
Journaliste
Est-ce que ces travaux n’ont pas un caractère un peu stérile ?Je pense que vos étudiants ne sont pas appelés à parler le patois lorrain.
Jean Lahner
C’est évident, nous n’avons pas comme objectif d’apprendre le patois lorrain à nos étudiants.Tout ce que nous voulons faire, c’est d’abord ce qu’on a vu tout à l’heure, retenir, rappeler le parler lorrain tel qu’il était il y a 50 ans, ou encore 20 ans peut-être.Mais, notre objectif, c’est d’étudier le langage, c’est-à-dire le moyen d’expression qui a été celui de nos ancêtres lorrains, il y a très peu d’années encore.Actuellement, ce n’est pas à vous que j’apprendrai cela, on se donne beaucoup de mal pour enregistrer, par exemple, les parlers de telle tribu d’Amazonie ou d’ailleurs.Or, je pense que nous avons tout près de nous les derniers survivants de générations qui ont employé un langage, employé une langue, c’est cette langue-là que nous voulons sauver.
Journaliste
Les résultats de ces travaux ne seront pas publiés avant 1980, ils prendront la forme d’un atlas en deux volumes.Les patois lorrains dûment répertoriés viendront alors se ranger dans les rayonnages d’une bibliothèque à l’usage des spécialistes.Il leur appartiendra alors de ne pas les y laisser mourir une seconde fois.
(Silence)
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