L’humanisme en Alsace : une nouvelle façon de penser l’être humain et le monde

L’humanisme en Alsace : une nouvelle façon de penser l’être humain et le monde

Par Caroline Badek et Alice Kindmann-Martin , Professeure d'histoire-géographie et éditrice

Invention de l’imprimerie, découverte de l’Amérique, naissance du protestantisme, intérêt pour l’Antiquité : en Europe, les XVe et XVIe siècles sont une période d’effervescence artistique et intellectuelle qui marque une rupture avec le passé proche, que l’on a appelé le « Moyen Age ». C’est dans ce contexte qu’apparaît l’humanisme, une nouvelle façon de penser et de représenter l’être humain et, plus largement, le monde. A cette époque, l’Alsace fait partie de l’espace rhénan qui, avec l’Italie, sera au cœur des bouleversements culturels, scientifiques et religieux qui affecteront l’ensemble du monde de la chrétienté.

     

La Renaissance est un moment particulier et charnière de l’histoire européenne qui correspond aux XVe et XVIe siècles. Le mot « Renaissance » vient du peintre italien Giorgio Vasari, qui l’a utilisé pour la première fois dans son ouvrage La Vie des plus illustres peintres, sculpteurs et architectes, édité en 1550. Il y qualifie son époque de « rinascimento de la bella maniera », soit « renaissance de la belle manière ». La « belle manière » fait allusion à l’esthétique et aux savoir-faire des Grecs et des Romains dont s’inspirent alors les artistes. Le mouvement artistique qui naît à l’extrême fin du XIVe siècle en Italie s’étendra petit à petit vers ce que nous appelons aujourd’hui l’Allemagne et la France, grâce à François Ier notamment, jusqu’à toucher l’Europe dans sa globalité.

La Renaissance n’est pas restée un simple mouvement artistique. En raison d’un retour aux textes anciens gréco-latins, une nouvelle manière de penser émerge, qui place l’être humain au centre du monde : c’est l’« humanisme ». Alors qu’au Moyen Age la science et la connaissance étaient centrées sur Dieu, les humanistes vont redécouvrir et étudier les textes classiques, remettre en question la domination de la religion catholique et raisonner en faisant des expériences. Certains, comme Erasme ou Montaigne, voyagent dans toute l’Europe et entretiennent entre eux des correspondances. De nombreux traités pédagogiques apparaissent. Pour les lettrés alors, « éduquer c’est d’abord instruire ».

En Alsace, la ville de Sélestat abrite la Bibliothèque humaniste où sont conservés des manuscrits médiévaux et des imprimés des XVe et XVIe siècles. Cette collection exceptionnelle, classée par l’Unesco au registre de la Mémoire du monde en 2011, appartenait à Beatus Rhenanus. Né en 1485 à Sélestat, ce dernier a fréquenté l’école latine de la ville, une des écoles les plus réputées du Saint-Empire romain germanique dont faisait alors partie la ville. Correcteur, éditeur, avocat, Beatus Rhenanus était l’ami du grand humaniste Erasme.

# L’invention du livre

Les humanistes pensent donc désormais le monde au travers du prisme de l’être humain. Les arts et les sciences se développent. L’enseignement et la pédagogie aussi. Cette transmission du savoir et la diffusion des idées de l’humanisme seront rendues possible par une invention révolutionnaire : l’imprimerie. C’est à Jean Gutenberg, Johannes Gutenberg en allemand, qu’on la doit. Originaire de Mayence dans l’actuelle Allemagne, il met au point dans son atelier de Strasbourg l’imprimerie typographique à caractères mobiles vers 1440. Trois feuillets de son premier livre imprimé, une bible à 42 lignes, sont aujourd’hui conservés à la médiathèque André-Malraux à Strasbourg.

Jusqu’à l’invention de Gutenberg, les moines copistes recopiaient les ouvrages à la main. Cela prenait du temps, coûtait beaucoup d’argent et deux mêmes livres ne se ressemblaient pas forcément. Avec l’imprimerie, on peut produire rapidement, en grande quantité et moins cher. Les livres vont donc se multiplier, leur prix va diminuer et ils vont donc circuler plus facilement. Petit à petit, la connaissance pourra ainsi s’étendre à d’autres couches de la société. Mais le processus sera long, car à cette époque, tout le monde ne savait pas lire… On estime qu’au cours du XVIe siècle, environ 150 millions de livres ont été imprimés.

# Un monde plus grand…

C’est donc grâce aux livres désormais imprimés que l’humanisme peut se répandre en Europe. Le centre de diffusion se situe à Mayence, d’où l’humanisme s’étend au reste de l’Allemagne puis à deux autres foyers ; le premier à cheval sur les Pays-Bas, le Nord de la France et le Sud de l’Angleterre, et le deuxième dans le Nord de l’Italie. Si le « monde de l’humanisme » est plus grand, le « monde connu » le devient aussi. L’espace dans lequel les penseurs vivent s’agrandit alors considérablement avec la « découverte » de nouvelles routes maritimes, d’un nouveau continent et l’exploration de lieux encore inconnus des Européens. En 1492, Christophe Colomb quitte l’Espagne en direction de l’Ouest. Il accoste, après un long voyage, sur les îles des Antilles. Pensant fouler le sol asiatique, il va au contact de populations qu’il nommera « Indiens ». En 1498, le Portugais Vasco de Gama réussit à atteindre les Indes en contournant l’Afrique. En 1519, Magellan quitte l’Espagne et, trois ans plus tard, le tour du monde a été effectué.

Ces « grandes découvertes » sont possibles grâce au développement d’un nouvel esprit scientifique. Les techniques progressent. La boussole et l’astrolabe, un instrument utilisé par les marins pour connaître la latitude, permettent d’envisager de grandes expéditions maritimes. Les marins utilisent la caravelle, un navire de petite taille plus maniable du fait de sa voilure et son gouvernail, placé à l’arrière. Les portulans, les premières cartes maritimes, sont réalisées à cette époque. Elles apportent une connaissance plus précise du tracé des côtes.

C’est d’ailleurs une carte, réalisée en 1507 à Saint-Dié-des-Vosges par le moine Martin Waldseemüller, qui sera à l’origine de la diffusion du nom « Amérique ». Car pour la première fois, une carte est imprimée « en série » en 1 000 exemplaires et est ainsi largement diffusée.

# … et un monde nouveau

Le monde des humanistes est donc plus grand dans sa dimension à la fois physique et intellectuelle et, en son centre, se trouve l’être humain qui inévitablement va questionner son rapport à Dieu et à la religion. Depuis le XVe siècle, les critiques contre l’attitude du clergé se multiplient. Les curés sont souvent ignorants et mal formés, les évêques ne pensent qu’à l’argent. Afin d’en trouver, le pape Léon X se met à vendre des indulgences permettant de se faire pardonner toutes ses fautes… à condition de payer.

Beaucoup d’humanistes souhaitent réformer l’Eglise et revenir aux sources de la religion. Ils cherchent une traduction de la bible plus fidèle au texte originel des Évangiles, réclament sa publication dans les langues vernaculaires, interrogent les pratiques religieuses. Erasme publie en 1516 sa propre traduction du Nouveau Testament. Mais l’Eglise peine à se réformer.

C’est dans ce contexte de remise en question et d’effervescence intellectuelle que le moine allemand Martin Luther placarde ses thèses le 31 octobre 1517 sur la porte de l’église de la Toussaint à Wittemberg (Saint Empire romain germanique). Il proteste notamment contre les indulgences qui servent à financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome. Martin Luther s’attire les foudres du Pape qui finit par l’excommunier. Mais ses idées ont un impact dans la société et de nombreuses personnes le suivent. Ses adeptes seront appelés les « protestants ».

En Europe à cette époque, les populations ne jouissent pas de la liberté religieuse. Le principe qui s’applique est celui de « tel prince, telle religion. ». L’Alsace est alors située dans le Saint Empire romain germanique, où la Réforme luthérienne se répand.

Le mouvement de la Réforme va se diffuser rapidement grâce à l’impression des écrits de Luther selon la technique mise au point par Gutenberg et grâce à certains prédicateurs acquis aux idées du théologien allemand. L’humaniste Martin Bucer est l’un d’entre eux ; il a contribué au développement du protestantisme en Alsace. 

# Piste pédagogique associée

Le même contenu, adapté à l’enseignement, est accessible aux enseignants et aux élèves de la région Grand Est, sous le titre : L’Humanisme en Alsace et dans l’espace rhénan : une nouvelle façon de penser et représenter l’Homme et le monde.