La révolution Gutenberg
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Entre 1434 et 1444, Gutenberg, en résidence à Strasbourg, y aurait inventé l’imprimerie. L’événement, dont l’origine est discutée, révèle les conditions de l’innovation et des transferts de technologie au XVe siècle et amorce une véritable révolution à partir de l’espace rhénan.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
21 juin 2018
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Contexte historique
ParProfesseur agrégée d’histoire-géographie au Gymnase Jean Sturm à Strasbourg
L’année 2018, date du reportage, est marquée par les célébrations organisées pour le 550e anniversaire de la mort de Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg, que l’on connaît mieux sous le nom de Gutenberg et dont on sait, depuis les travaux de J.-D. Schoepflin, qu’il a séjourné à Strasbourg, au moins entre 1434 et 1444.
Il serait né vers 1397 à Mayence dans la maison « Zum guten Berge ». Fils d’un patricien fortuné, négociant associé à la Monnaie, il est inscrit à Strasbourg à la corporation des orfèvres. Strasbourg, ville libre d’Empire, est alors l’une des principales villes du Rhin moyen, un centre économique, une ville de foires qui contrôle le pont sur le Rhin, un centre religieux et culturel qui dépasse Mayence. Les bourgeois, les commerçants, les banquiers, les artisans réunis dans les corporations entretiennent des relations intenses avec les élites outre-Rhin. C’est donc fort logiquement que Gutenberg choisit de s’y installer pour poursuivre ses recherches. Il y trouve les capitaux et les investisseurs nécessaires pour les matières premières et la main d’œuvre. Selon l’humaniste Wimpheling il aurait ainsi inventé ici l’imprimerie. Cependant, nous ne connaissons pas aujourd’hui d’impression de l’époque strasbourgeoise de Gutenberg et il ne produit le premier livre la Bible à 42 lignes qu’en 1455 et à Mayence.
Cette révolution technique, quel que soit son lieu de naissance précis, s’inscrit dans un contexte et un schéma plus larges qui la rendent possible. La production de manuscrits avait explosé entre le XIe et le XVe siècles avec un élargissement du marché, l’essor urbain et le développement des universités. Les textes spécialisés (théologie, médecine, droit…) se multiplient et le public s’élargit, bien au-delà des clercs. De plus, à partir du XIVe s. des investissements massifs sont réalisés dans le domaine des mines et de la métallurgie, essentiels à la fabrication des caractères typographiques. Le principe de la presse, connu dès l’Antiquité, permet de concevoir les premières presses à papier à la fin du XIVe siècle à Nuremberg. Le papier, mis au point en Chine au IIe s. avant J.C., se diffuse largement dans le monde arabo-musulman au IXe s. puis dans l’Europe chrétienne via l’Italie. Des moulins à papier qui extraient la cellulose des chiffons sont ainsi attestés dès 1431 à Strasbourg. Ce support bien meilleur marché, produit rapidement et qui s’impose au détriment du parchemin s’avère parfaitement adapté à la technique typographique. En parallèle on assiste en Occident à l’essor de la xylographie, attestée en Inde au VIIe siècle et permettant la production sérielle d’images, notamment pieuses au service de la dévotion privée. Cette diffusion massive de l’image légendée et xylographiée accompagne ainsi celle du texte imprimé. Ainsi ont convergé des transferts technologiques et des capitaux dans un contexte propice et dont Gutenberg a su s’emparer.
En une cinquantaine d’années l’Europe se couvre d’ateliers : l’imprimerie se diffuse à partir du foyer initial, la vallée du Rhin moyen, en cercles concentriques à travers tout le continent. Les premiers imprimeurs sont Allemands, d’anciens compagnons de Gutenberg. Les premières presses apparaissent : Strasbourg vers 1458 et Bamberg vers 1459. Puis l’invention gagne l’Italie (Venise vers 1469) et Paris. L’Eglise favorise cette circulation ainsi que les universités (Fichet à Paris) et les milieux d’affaires (Buyer à Lyon). A la toute fin du XVe siècle, les plus grands centres de productions sont les villes les plus peuplées (Paris, Venise, Rome…) et qui concentrent des fonctions de commandement, des fonctions religieuses, intellectuelles, économiques et politiques. Cette géographie dessine ainsi un réseau particulièrement dense avec un épicentre rhénan et des périphéries au sud (l’Espagne), à l’ouest (l’Angleterre) et à l’est (la Hongrie). C’est aussi le réseau des humanistes et des réformateurs qui s’empareront de l’outil mis au point par Gutenberg pour en faire une véritable révolution.
Éclairage média
ParProfesseur agrégée d’histoire-géographie au Gymnase Jean Sturm à Strasbourg
Le reportage s’ouvre sur une petite île verdoyante dans le quartier de la Montagne verte à Strasbourg où a été érigée une stèle en l'honneur de Gutenberg en 1992. C’est dans cet ancien faubourg de la ville près de la collégiale Saint Arbogast, aujourd’hui disparue, que Gutenberg se serait installé vers 1434 et aurait inventé l’imprimerie. Le journaliste y donne la parole à Jean-Pierre Rieb, docteur en sciences et spécialiste du patrimoine technique, membre de l’association Espace Européen Gutenberg, fondée en 2004 et qui regroupe des professionnels des métiers du livre et de l’imprimerie ainsi que des amateurs éclairés. Il précise d’abord les éléments constitutifs de l’invention : des caractères mobiles faits d’un alliage de plomb, d’étain et d’antimoine, puis l’encre à la fois couvrante mais non traversante pour pouvoir imprimer des deux côtés et enfin le perfectionnement de la presse pour imprimer.
Puis le reportage revient sur la biographie de Gutenberg. Il insiste sur le mystère qui persiste autour de cette figure, le silence des documents. En effet, les bombardements dans la nuit du 24 août 1870, au moment du siège de la ville par les Prussiens, ont détruit l’ancienne bibliothèque de la ville du Temple Neuf et ses 5500 ouvrages imprimés qui dataient d’avant 1520 ainsi que les archives relatives au séjour strasbourgeois de Gutenberg.
Georges Bischoff, professeur émérite à l’université de Strasbourg et spécialiste de l’histoire de l’Alsace et notamment du Moyen Age, avec son essai Le siècle de Gutenberg. Strasbourg et la révolution du livre paru en 2018 a cherché à mieux cerner l’inventeur au-delà du silence des archives. Il plaide en faveur de Strasbourg, plutôt que Mayence, qui possédait « les atouts requis ». En s’appuyant sur la gravure tirée des Chroniques de Nuremberg de Schedel qui date de 1493 et représente Argentina (c’est-à-dire Strasbourg) il cerne le contexte : celui d’une ville riche qui maîtrise les techniques et innove dans le domaine des armes à feu, des mines, bref une sorte de pôle de compétitivité avant l’heure.
Les images donnent ensuite à voir le premier livre imprimé, une Bible à 42 lignes dont la Médiathèque Malraux à Strasbourg conserve trois feuillets qui avaient été achetés pour le musée de l’imprimerie que les Allemands comptaient créer place de la Cathédrale en 1940 afin d’honorer Gutenberg, génie germanique. Le reportage reprend alors le concept de révolution. Auparavant et selon Herrade Rieb, membre de l’Espace Européen Gutenberg à qui le journaliste donne la parole, les manuscrits coûtaient une fortune et avec l’imprimerie le savoir est devenu accessible à toutes les couches de la société. C’est évidemment à relativiser. Les étudiants pouvaient lire les manuscrits à moindre coût en les louant et encore fallait-il savoir lire, ce qui n’était pas le cas de la société dans son ensemble.
Pour finir, Juliette Bossert, guide à Strasbourg, emmène le spectateur dans le quartier des imprimeurs situé entre la rue des Serruriers, la rue de l’Ail, la rue de l’Epine et la place Saint-Thomas. De nombreux imprimeurs au début de la Renaissance y avaient installé leur activité. Parmi eux, se signalent Johann Mentel ou Mentelin première imprimeur strasbourgeois qui préférait travailler avec des caractères gravés sur bois ou encore Johann Carolus, éditeur en 1605 de la première gazette européenne, collection hebdomadaire de bulletins de nouvelles venues de d’Allemagne, d’Italie et de France.
Se dessine ainsi un Strasbourg ville du livre où foisonnent bibliothèques privées et publiques dont la BNU (Bibliothèque Nationale Universitaire née elle aussi du bombardement et refondée en 1871 par l’Empire allemand avec 2100 incunables aujourd’hui qui dépassent le contexte local) et autres institutions en lien avec les métiers du livre comme le lycée Gutenberg à Illkirch spécialisé dans la formation des futurs imprimeurs, l’université et son master des métiers de l’édition ou encore la HEAR (ex-Ecole supérieure des arts décoratifs) et son atelier livre depuis 1910.
Transcription
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