Martin Bucer et la Réforme à Strasbourg
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Présent à Strasbourg entre 1523 et 1549, Martin Bucer a participé à l’introduction de la Réformation à Strasbourg. Tentant concilier le luthérianisme et les courants de la Réforme radicale, attaché à l’unité de l’Eglise, son œuvre ne survit pas à son exil et ne sera redécouverte qu’au siècle suivant.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
16 juil. 1991
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Né à Sélestat en 1491 dans une famille de tonneliers et entré à l’âge de 15 ans dans l’ordre des Dominicains, Martin Bucer rencontre Martin Luther pour la première fois à Heidelberg en 1518. Libéré de ses vœux monastiques et marié, il s’installe à Strasbourg cinq ans plus tard. Ville libre de l’Empire dirigée par sa bourgeoisie à travers l’institution du Magistrat, Strasbourg est dominée par la personnalité de Jacques Sturm élu à plusieurs reprises Stettmeister (premier magistrat de la ville). Il sera un allié pour les Réformateurs aux côtés des imprimeurs de la cité qui diffusent largement les thèses évangéliques alors que les prédicateurs Matthieu Zell et Wolfgang Capiton profitent de l’absentéisme de l’évêque pour exposer leurs idées. Au cœur de l’espace rhénan dans lequel circulent les livres et les idées humanistes, la ville est un lieu idéal pour mettre en œuvre la Réforme.
Durant les années 1520, ses partisans évoluent encore à l’intérieur du cadre des institutions catholiques. Lorsque le Magistrat nomme Bucer à la tête de la paroisse Sainte-Aurélie, liée à la corporation des maraîchers, c’est en tant que prêtre. Bucer y fait surtout œuvre de prédicateur, s’intéressant aux questions quotidiennes posées par ses fidèles et conférant une portée théologique aux réponses qu’il donne en s’appuyant sans cesse sur les Écritures. À ses yeux, le pasteur se doit d’être missionnaire de la foi dans une société toujours en quête d’évangélisation et la prédication en langue vulgaire en est l’outil par excellence. Encouragé par Zell, curé de la cathédrale, Bucer publie dès 1523 le premier de ses 150 traités, Que nul ne vive pour lui-même, mais pour les autres, véritable charte éthique de la Réforme liant le Salut à la pratique de l’amour-charité envers les autres.
1529 est une date de rupture : en supprimant la messe catholique, le Magistrat ouvre la voie à la reconstruction de l’Église et Bucer entend bien y participer : il ne la conçoit pas repliée sur elle-même, mais inclusive, insistant sur son rôle sociétal. Durant les années 1530-1540, il la modèle. Il fait adjoindre aux pasteurs des laïcs chargés de veiller sur eux et les membres de la communauté ; les questions de doctrine et de ministère sont réglées par un convent rassemblant pasteurs et laïcs alors que, concernant la discipline ecclésiastique, seuls ces derniers sont compétents. Parallèlement, les Réformateurs rénovent l’enseignement avec la création d‘écoles dont la plus célèbre est le Gymnase fondé en 1538 et dont la direction est confiée à Jean Sturm. Enfin, contrairement aux anabaptistes qui rebaptisent les adultes convertis pour réaffirmer leur foi – formant des communautés de chrétiens professants, – Bucer et les siens, refusant de trier le bon grain de l’ivraie, accueillent l’ensemble de la population dans une Église multitudiniste, celle de la multitude. Pour autant, il tient à promouvoir dans chaque paroisse une petite communauté de professants afin de permettre à des fidèles plus engagés et à la discipline plus stricte de se regrouper. Au-delà de ce cadre strictement strasbourgeois, il faut souligner l’importance que Bucer accorde autant à la Réforme qu’à l’unité de l’Église : pour lui, ce n’est qu’à cette double condition que peut être proposé au chrétien un lieu de « progression » vers le Salut. Pour y parvenir, il voyage dans tout l’Empire, participe à la constitution d’une « République des lettres » de par sa prolifique correspondance, rédige enfin des textes de compromis, notamment au sujet de l’épineuse question de l’eucharistie.
Les années 1540 marquent la fin de l’âge d’or de la Réforme strasbourgeoise. Au sein de l’Empire, la défaite des princes protestants de la Ligue de Smalkalde oblige Jacques Sturm à faire amende honorable devant le très catholique empereur Charles Quint. De son côté, Bucer échoue à imposer son compromis doctrinal. En 1549, c’est le bannissement de l’Empire et le refuge à Cambridge où l’Église anglicane cherche à se structurer. Il y décède deux ans après. Alors qu’à Strasbourg s’impose la doctrine luthérienne, en Angleterre, la catholique Marie Tudor fait exhumer, excommunier puis brûler son corps.
Si les écrits de Bucer ne seront redécouverts qu’à la fin du XVIIe siècle par le « père » du piétisme allemand, dans l’immédiat, ils influencent des réformateurs comme Jean Calvin. Par ailleurs, Bucer à Strasbourg et Zwingli à Zurich illustrent la symbiose qui a pu exister au sein des villes libres entre les Réformateurs et des communautés urbaines autonomes dont ils étaient partie prenante.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage de France 3 est consacré à l’exposition Martin Bucer : Strasbourg et l'Europe, organisée par les Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine à l'occasion du 500e anniversaire de la naissance du réformateur. L’événement a lieu dans l’église Saint-Thomas de Strasbourg, du 13 juillet au 19 octobre 1991, là même où Bucer avait prêché à partir de 1530.
Au son de l’orgue, le reportage débute sur le monument funéraire élevé en la mémoire de Bucer à l’occasion d’un précédent anniversaire de sa naissance (1891). Plus précisément, il s’ouvre sur le médaillon le représentant de profil, d’après une gravure de René Boyvin. Après un plan large présentant le dispositif de l’exposition - essentiellement des documents placés sous vitrine -, la caméra s’arrête sur son commissaire (non identifié dans le reportage), ce qu’elle fera de nouveau à trois reprises pour recueillir ses explications. Ce dernier insiste à la fois sur l’actualité des idées de Bucer (importance du dialogue, lutte contre la pauvreté par l’entraide, œcuménisme) et sur le caractère européen de son message à travers ses voyages et son abondante correspondance.
Le montage permet rapidement de découvrir une Bible en allemand, illustrée de la scène de la Genèse représentant la création d’Eve. Il s’agit de la Bible de Koberger - du nom de l’imprimeur Anton Koberger installé à Nuremberg - datée de 1483, neuvième version en langue allemande de la Bible dont les images utilisent des gravures sur bois produites pour une autre édition imprimée à Cologne. Cette pièce unique rappelle le rôle central de la Réforme dans le développement d’une culture évangélique et humaniste en langue vernaculaire.
La caméra glisse ensuite sur une vitrine consacrée à la guerre des paysans de 1525. Aux côtés d’une arbalète et d’une épée, on trouve une gravure représentant le duc de Lorraine anéantissant les paysans devant Saverne, gravure tirée de La Bataille contre les Rustauds rédigée à Nancy en 1526. Imprimée l’année précédente, on découvre une autre gravure, celle qui orne la page de titre des Douze articles, revendications des paysans de Souabe, un libelle largement diffusé dans le sud du Saint-Empire lors de cette révolte. Peu après, le reportage s’attarde sur deux longues chartes manuscrites en latin. La première débute par Antonius, probable référence au duc Antoine de Lorraine à l’origine de la répression des émeutes paysannes de 1525 – s’agit-il de la charte par laquelle il interdit le luthéranisme dans ses États ? La seconde, lestée de nombreux sceaux, est décorée d’enluminures aux armes pontificales d’Innocent VIII, pape de 1484 à 1492. Le choix de ces documents fait référence à un contexte géopolitique alsacien marqué par l’éclatement des pouvoirs, entre princes et villes d’Empire, défenseurs de la foi catholique - pensons aux Habsbourg très présents - et cités passées à la Réforme.
Après s’être attardé sur une presse miniature et quelques caractères d’imprimerie, le reportage se recentre sur le parcours de Martin Bucer avec une carte reconstituant ses déplacements en Europe, dans le Saint-Empire essentiellement, et la reconstitution d’un cabinet de travail avec une écritoire et plusieurs ouvrages imprimés. Le commentaire reste résolument hagiographique et aucune référence n’est faite aux tensions internes au protestantisme, à l’instar du baptême des adultes si fondamental pour les communautés anabaptistes parmi lesquelles les Amish de Sainte-Marie-aux-Mines. Quant aux violences religieuses, elles n’apparaissent qu’à travers la mention de la destruction du corps de Bucer par Marie Tudor.
De manière anachronique, le reportage s’achève sur des images d’un sarcophage roman richement orné. Exécuté vers 1130, ce dernier renfermerait le corps d’Adeloch, évêque carolingien de Strasbourg. Le classement Monument historique, en février 1991, de cette pièce maîtresse de l’église Saint-Thomas explique probablement son insertion dans un reportage dédié à la figure majeure du protestantisme à Strasbourg.
Transcription
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