Beatus Rhenanus : la bibliothèque d’un humaniste alsacien
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Reportage sur la bibliothèque humaniste de Beatus Rhenanus, un humaniste alsacien, ami d’Erasme, qui a légué sa collection à la ville de Sélestat. Elle réunit une collection de 150 manuscrits médiévaux et 1 600 imprimés des XVe et XVIe siècles. Ce fonds de livres anciens est désormais inscrit au registre « Mémoire du monde » de l'UNESCO incluant les patrimoines documentaires.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
14 juin 2018
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Contexte historique
ParProfesseure certifiée d’histoire-géographie au collège Paul Langevin à Hagondange
Au Moyen Âge et jusqu’au XVIe siècle, on appelle humaniores litterae (ou lettres humaines) le savoir des connaissances profanes. Elles se distinguent, sans forcément s’opposer, des diviniores litterae (ou lettres divines) basées sur la religion chrétienne. C’est avec Rabelais, en 1532 que le terme humanitas commence à évoquer plus précisément les littératures grecque et latine comme un instrument d'éducation morale et philosophique. A partir de là, petit à petit, on applique, même rétrospectivement, le nom d’humaniste aux érudits ayant étudié la culture, la grammaire et les lettres antiques. L’humanisme devient au fil du temps un mouvement intellectuel qui tire donc ses méthodes et sa philosophie de l'étude des textes antiques, une philosophie qui place l'homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres.
À mi-chemin entre les grands centres intellectuels de l’Italie et des Pays-Bas, Sélestat joue un rôle clef dans la diffusion de ces idées humanistes. En effet, cette cité rhénane au cœur du Saint-Empire Romain Germanique dispose d’une école latine fondée en 1452, très réputée, lieu de formation d’une génération d’humanistes rhénans. Grâce à un apprentissage basé sur de nouvelles méthodes pédagogiques, elle forme des centaines d’élèves à la grammaire latine, les confrontant tant à des textes anciens que modernes. Véritable foyer de l'humanisme rhénan, l'école latine de Sélestat forme de grands humanistes dont les plus célèbres sont Mathias Schurer, Martin Bucer ou Jacques Wimpheling. Erasme lui-même est impressionné par le bouillonnement intellectuel de la ville au XVIe siècle et lui dédie un poème : « L'éloge de Sélestat ».
Parmi ces élèves se trouve Beat Bild, né en 1485 à Sélestat. Il a étudié à l’école latine jusqu’à l’âge de 18 ans, avant de latiniser son nom. Beat devient alors Beatus, et étant originaire de la région de Rhinau, il transforme son nom en Rhenanus. Il se met à voyager dans toute l’Europe, à l’image d’autres humanistes. C’est d’ailleurs à Bâle qu’il fait la rencontre d’Érasme de Rotterdam qui devient pour lui un ami. Érasme dit d’ailleurs de Beatus Rhenanus qu’il est « un ami vraiment pythagoricien, je veux dire une seule âme ». Ses voyages continuent jusqu’en 1528, date à laquelle il s’installe définitivement à Sélestat et se consacre à la recherche historique, notamment en étudiant des auteurs latins comme Tacite ou Tite-Live.
Quand il meurt en 1547, il lègue son immense collection personnelle à la Bibliothèque de Sélestat. Il est l’un des rares humanistes à laisser derrière lui une œuvre unie.
Mais l’histoire de cette bibliothèque commence avant le legs de Beatus Rhenanus. En 1452, Johannes von Westhuss, recteur de l’église paroissiale de Sélestat, lui fait un don d’une trentaine de volumes. Suivant ce généreux exemple, d’autres donations sont faites, comme celles du professeur de l’école latine Louis Dringenberg, le curé de Sélestat Martin Ergersheim ou encore l’humaniste Jacques Wimpfeling. La plus importante est bien celle de Beatus Rhenanus. Elle est constituée à la fois de manuscrits et d'imprimés, rappelant la période charnière qu’est l’invention de l’imprimerie de Johannes Gutenberg. Ce fonds compte des ouvrages que Rhenanus a collecté à travers l'Europe entière. Ils sont conservés depuis 1889 dans l'ancienne halle aux blés construite dans les années 1840. Elle comprend 423 volumes, contenant 1287 œuvres sans compter les manuscrits et une partie de sa correspondance, ce qui représente un total de 1686 documents anciens légués, datant pour la plupart du XVe ou du XVIe siècle. Cette collection permet de jeter un regard plus intime sur Beatus Rhenanus. Il a acheté de nombreux écrits, en a reçu également et en a sans doute échangé. Il aimait les livres à tel point que sur la page de garde de certains, on peut lire, écrit de sa main « sum Beati Rhenani nec muto dominum » c’est-à-dire « J’appartiens à Beatus Rhenanus et je ne change pas de maître ».
Éclairage média
ParProfesseure certifiée d’histoire-géographie au collège Paul Langevin à Hagondange
Ce reportage est un extrait issu du journal télévisé, le 19:20 de France 3 dans son décrochage alsacien, et diffusé juin 2018 à l’occasion de la fin des travaux de restructuration de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat. Ce projet a duré environ 4 ans. La réalisation architecturale a été confiée à Rudy Ricciotti, également architecte et concepteur du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) de Marseille. Il a souhaité préserver l'aspect néo-roman de l’ancienne halle aux blés que l’on peut voir dès le début du reportage, et y ajouter des surfaces supplémentaires grâce à une extension en grès rose des Vosges et à l'aménagement des sous-sols pour les réserves.
On peut suivre Laurent Nass, le responsable scientifique de la bibliothèque humaniste, qui conseille les déménageurs dans le Trésor de la Bibliothèque, de cette collection de 154 manuscrits médiévaux et 1 611 imprimés des XVe et XVIe siècles, dont 670 ouvrages légués par Beatus Rhenanus et qui constituent l’une des plus riches collections de la Renaissance. Laurent Nass explique d’ailleurs en partie la singularité d’une telle collection qui a su traverser les conflits en restant toujours à Sélestat.
Sélestat, est devenue une ville libre d’Empire, sous-entendu du Saint-Empire Romain Germanique, en 1217. Ce statut en faisait une ville autonome directement subordonnée à l'empereur et non à un prince d'Empire, grâce au principe de « l'immédiateté impériale », un privilège féodal qui permettait de se référer directement à lui, sans aucun intermédiaire. Elle a pu acquérir grâce à ce statut une franche liberté, favorisant le développement du commerce notamment en percevant elle-même ses impôts. Mais si ce statut offre une certaine prospérité économique, Sélestat reste fragile en cas de conflit. Elle a donc décidé, avec neuf autres villes, de fonder ce que l’on appelait alors « La Décapole ».
Il s’agit d’une alliance de dix villes du Saint-Empire Romain germanique, fondée en 1354 et dissoute en 1679. Accompagnant Sélestat dans cette association, on retrouve Haguenau, Colmar, Wissembourg, Turckheim, Obernai, Kaysersberg, Rosheim, Munster, Mulhouse, Seltz et Landau. Sans aller jusqu’à l’union politique, la Décapole avait pour vocation de favoriser une coopération entre ces dix villes. Mais elle possède aux yeux des historiens une originalité extrêmement rare surtout pour l'époque, puisqu’il s’agit d’une alliance militaire mais également financière en cas de banqueroute. Au cœur de cette Décapole, Sélestat bénéficiait d’une position centrale. Cela en faisait le lieu parfait pour y tenir les réunions mais lui a aussi permis de devenir le centre de conservation des archives de la ligue.
La densité des échanges, ainsi que la prospérité de la ville et de ses institutions, ont donc permis le développement de l'humanisme à Sélestat au milieu du XVe siècle, grâce à l’implantation de l'école latine fondée en 1452. Gabriel Braeuner, président des « Amis de la bibliothèque humaniste » en montre l’emplacement, désormais une place aujourd’hui, à côté du parvis de l’église Saint-George. Au début du XVIe siècle, cette école jouissait d'une grande réputation et comptait près de mille élèves.
Érasme, ami de Beatus Rhenanus, a visité Sélestat à quatre reprises entre 1515 et 1522.
Laurent Nass revient ensuite sur le cahier d’écolier 1498-1499 de Beatus Rhenanus conservé par la Bibliothèque. Il évoque le temps de sa jeunesse studieuse à l’école latine où il étudiait Les Bucoliques et Géorgiques de Virgile ou Les Fastes d’Ovide.
La Bibliothèque humaniste de Beatus Rhenanus est inscrite depuis 2011 au registre « Mémoire du monde » de l’UNESCO qui souligne « l'intérêt exceptionnel et le caractère unique et irremplaçable » d’une telle bibliothèque.
Transcription
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