Interview d'Henry Potez à l'occasion du 50ème anniversaire de la SNIAS à Méaulte

07 décembre 1974
05m 22s
Réf. 00302

Notice

Résumé :

À l'occasion du 50ème anniversaire de la SNIAS (Société nationale industrielle aérospatiale), les élèves du centre de formation de Méaulte ont offert deux maquettes à Henry Potez. Interrogé, celui-ci évoque ses débuts à Méaulte en 1922 , l'association avec Dassault pendant la Première Guerre mondiale, la nationalisation de 1938. Il se dit confiant quant aux développement de l'aviation dans l'avenir.

Date de diffusion :
07 décembre 1974
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Éclairage

La filière aéronautique picarde est exclusivement composée de sous-traitants de divers rangs, concourant tous à la fabrication de pièces entrant dans la construction d'aéronefs. Elle représentait en 2012 environ 4% de l'emploi industriel (3800 salariés) et un peu plus de 1% des établissements industriels (105). Modeste, certes, en comparaison avec ses équivalents en Aquitaine ou en Midi-Pyrénées, la filière comptabilise néanmoins quelques grands fleurons de l'industrie française tels que Thalès, Matra (respectivement présents à Méru et à Lacroix-Saint-Ouen, dans l'Oise), mais aussi et surtout Aérolia, à Méaulte dans la Somme. Enfin, côté formation, il a été créé à Albert un BEP Productique mécanique usinage en collaboration avec le PHMA (Pole Hydraulique et Mécanique d'Albert) qui regroupe 25 entreprises sous-traitantes d'Aérolia.

Mais qui sait que la Picardie a compté de la fin des années 20 jusqu'au milieu des années 1930, le plus perfectionné et le plus vaste (60 000 m2 couverts et jusqu'à 3600 employés !) complexe industriel de production d'avions au monde ? Situé à Méaulte, son inauguration en 1924 est à l'origine de la spécialisation actuelle du bassin d'emploi albertin dans l'aéronautique et ce, grâce à un entrepreneur local fidèle à ses racines, Henry Potez (1891-1981).

La vie de ce natif d'Albert est une formidable épopée industrielle et commerciale. Ingénieur, inventeur, administrateur de sociétés, mais aussi citoyen engagé socialement et politiquement, ce touche-à-tout de génie est l'un des pionniers de l'industrie aéronautique.

Dès 1914, après avoir travaillé avec Gaston Caudron, il s'est associé avec Marcel Dassault (né Bloch, un autre instigateur d'une grande saga familiale liée à la Picardie) pour réaliser la célèbre "hélice Eclair" qui allait équiper tous les chasseurs SPAD pendant le premier conflit mondial (de 1916 à 1918).

Convaincu du potentiel de l'aviation civile sans pour autant abandonner les débouchés militaires, il fonde en 1919 la Société des Aéroplanes Henry Potez dont il édifie les premiers établissements en région parisienne avant de s'installer dans la Somme. S'ensuit une série de succès avec le lancement notamment des modèles 25, 28, 34, 39, 50, 54, 62, 63 sans oublier l'hydravion 45. Le Potez 25, pur produit local, connut un succès mondial avec 7000 exemplaires réalisés intégralement sur le site méaultais. La nationalisation de la société en 1936, la seconde guerre mondiale ainsi que l'intervention du régime de Vichy dans la vie de l'entreprise marqueront des étapes importantes. La seconde moitié du XXe siècle est moins fructueuse pour Henry Potez malgré quelques belles réussites. Sa société n'a plus connu le même succès et c'est en 1961, à l'âge de 70 ans, qu'il se retire du monde des affaires et de la vie politique. Une entreprise porte aujourd'hui encore son nom ; il s'agit de Potez Aéronautique, sous-traitant spécialisé dans la fabrication de pièces primaires et l'assemblage de sous-ensembles, basée à Aire-sur-l'Adour, dans les Landes. C'est son petit-fils, Roland Potez qui a repris le flambeau, perpétuant ainsi l'aventure familiale.

Le savoir-faire mondialement reconnu de l'aéropôle d'Albert et son carnet de commande étoffé pour les dix prochaines années sont probablement le meilleur hommage qu'on puisse rendre à ce personnage incontournable de l'histoire industrielle de la Picardie.

Slim Thabet

Transcription

Hubert Tilloy
Quelle somme d’émotions, quelle somme de souvenirs dans ces deux maquettes offertes, hier, à monsieur Henry Potez par les élèves du centre de formation de Méaulte. Il revenait dans ces ateliers qu’il a fait naître il y a 50 ans, qu’il a vu grandir, qui ont été les siens. L’industrie aéronautique n’attire ni les besogneux ni les ronds de cuir et ceux qui ont approché Henry Potez hier ont eu le sentiment d’avoir affaire à un homme tout à fait exceptionnel.
(Musique)
Hubert Tilloy
Quand vous avez créé cette usine de Méaulte, en 1922, est-ce que vous imaginiez l’essor qu’allait prendre l’aviation et la place qu’allait prendre l’avion dans notre vie quotidienne ?
Henry [Potez]
Eh bien, je vous dirais que oui. Parce qu’à cet âge où je l’ai créé, on est plein d’enthousiasme. J’avais vraiment beaucoup de confiance dans l’avenir. J’avais la confiance dans l’aviation. C’est pour ça qu’après la guerre, j’avais continué à vouloir faire de l’aviation. Tout le monde croyait, justement, à ce moment-là, que l’aviation militaire étant finie, tout allait s’arrêter. C’est comme ça que, ayant eu comme associé Dassault pendant la guerre de 14-18, dans une société S&A qui faisait des avions militaires forcément à l’époque, lui a voulu se retirer parce qu’il ne croyait plus que l’aviation pourrait continuer et que moi, j’ai continué. J’avais tout de suite pensé que les zones terrestres, qui ne sont pas encombrées à ce moment-là, finiraient par l’être rapidement, d’autant plus qu’elles étaient moins bonnes à ce moment-là que maintenant. Il n’y avait pas les autoroutes. Et par conséquent, je vous disais, dans les 3 dimensions, nous aurons beaucoup plus de facilité. J’ai toujours eu une confiance dans les 3 dimensions que permettait l’avion.
Hubert Tilloy
Quant au fronton de l’usine, l’insigne d’une compagnie nationale remplaçât celui des aéroplanes Henry Potez. Quand le ministre Pierre Cot décidât la nationalisation de l’industrie aéronautique, le constructeur dû ressentir jusqu'au fond de sa chaire l’abandon auquel on le contraignait. Aujourd'hui, il en parle pourtant d’une façon très sereine.
(Musique)
Henry [Potez]
Bien sûr, l’usine a été nationalisée. Je n’en ai pas été formalisé puisqu’à ce moment-là, j’avais donné mon agrément à la nationalisation et qu’on me demandait de revenir au travail et de conserver mon commandement au sein de la nation, de la faire nationaliser. Eh bien, je l’ai fait. Ça a marché de la même manière. J’ai dit à mon personnel : « Il n’y a pas de raison. Nous continuons le programme » et nous l’avons continué. Et on a sorti les Potez 63 juste avant la guerre alors qu’on était nationalisé puisque la nationalisation a eu lieu le 1er janvier 38. Comme nous avions sorti les Potez 25 du temps où, au contraire, l’usine m’appartenait entièrement.
Hubert Tilloy
Pensez-vous que l’avion a atteint son plafond à l’heure actuelle ou bien est-ce qu’on peut encore progresser ? Ou au contraire, est-ce que l’avion va être remplacé par d’autres techniques de transport ?
Henry [Potez]
Je ne vois pas, pour le moment, d’autres techniques qui le remplacent. Pour en parler, prenons une technique vraiment très différente. Ça sera toujours des choses qui vont venir, et encore pour une longue période, qui sera du genre des avions qu’on connaît maintenant. Naturellement, il y aura toujours des perfectionnements. On a vu des perfectionnements par la dimension, par la vitesse, par des choses comme ça. C’est pour ça, maintenant est une question de prix en quelque sorte. On peut faire… Maintenant, c’est à peu près ce qu’on peut… tout ce qu’on peut faire. Et il n’y a pas beaucoup de limite. Seulement, ça coûte cher. Ça peut coûter très cher. La vitesse, d’abord, coûte cher, toujours. C’est pourquoi, d’ailleurs, je n’avais pas été très partisan du Concorde lorsqu'on a parlé de faire le Concorde parce que j’ai dit, nous allons avoir, là, un avion qui était très bien, qui est très bien réussi, qui est une très bonne machine. Mais malheureusement, ça coûte cher. Et ça a pris beaucoup de crédit qui ont empêché de commander d’autres avions qui auraient pris moins de crédit et qui auraient peut-être été plus rentable. Voilà la situation.
Hubert Tilloy
Et en ce qui concerne la technologie, vous pensez qu’on ne progressera plus énormément ?
Henry [Potez]
Nous sommes, pour l’instant, à l’époque de l’énergie pétrolière. Il y aura l’époque de l’énergie nucléaire. Ça sera autre chose. Et il est difficile, à notre génération, de prévoir exactement ce que ça sera parce que c’est tout à créer. Il est certain que ça marchera puisqu’il existe déjà des sous-marins qui marchent avec des moteurs nucléaires. En conséquent, il y aura des moteurs d’aviation, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Seulement… Et qui auront peut-être un avantage, évidemment, c’est de ne pas être très lourd puisque le combustible nucléaire a l’avantage d’être léger. Voilà pourquoi je crois, voyez-vous, qu’on ne peut pas croire que l’aviation aura une stagnation. Il y aura toujours, je crois, une marche en avant comme dans toute chose, d’ailleurs, dans le monde. Quand on croit qu’on a fait le dernier perfectionnement, il y a quelqu’un qui, derrière vous, arrive et fait mieux. C’est d’ailleurs une des joies de l’existence : c’est de se dire qu’il y a toujours mieux à faire.