La fonderie Godin et son familistère

21 mai 1988
06m 32s
Réf. 00304

Notice

Résumé :

Portrait de Jean-Baptiste Godin, qui, à partir du moulage de la fonte, crée des poêles à chauffer au charbon. Il s'installe à Guise dans l'Aisne en 1847 et créé un familistère à Guise pour y loger et instruire ses ouvriers. Guy Delabre détaille les caractéristiques architecturales et sociales du Familistère.

Type de média :
Date de diffusion :
21 mai 1988
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Éclairage

Avec les crises successives, l'économie sociale et solidaire a pris un poids considérable dans l'activité économique. Elle représente 10 % du PIB et 10 % des emplois (2,35 millions de salariés dans plus de 220 000 établissements employeurs). Pourtant, l'idée de concilier impératifs économiques et préoccupations sociales n'est pas totalement nouvelle. Elle a germé, pendant le XIXe siècle, dans certains grands esprits du socialisme utopique (Robert Owen, Charles Fourier et d'autres). Jean-Baptiste André Godin en était un des protagonistes.

Né à Esquéhéries (1817), près de Guise dans l'Aisne, dans une famille dont le chef est forgeron-serrurier, il abandonne l'école très jeune et travaille dans la forge familiale. C'est lorsqu'il entreprend son tour de France de compagnonnage qu'il prend conscience des conditions misérables des classes laborieuses. La lecture fortuite de certains articles de Fourier finit par le convaincre de la nécessité et de la possibilité de les améliorer (1842). Godin devient phalanstérien. Après s'être engagé dans une aventure ruineuse au Texas ("colonie sociétaire"), il se rend compte des limites des idées de Fourier. Entre le capitalisme mû par l'esprit du profit et l'utopisme irréaliste, il y a un moyen terme : celui de la réconciliation de l'efficacité et de la solidarité. L'idée du phalanstère se transforme dans la pratique en projet de familistère.

Celui-ci prend la forme d'une "association coopérative", communauté autant de vie que de travail, administrant la production résultant des innovations industrielles réalisées par Godin : la construction de poêles en fonte alors qu'ils étaient faits en taule. La demande est garantie par l'extension de l'usage du charbon pour le chauffage. En même temps, la fonte permet la variété des modèles et par conséquent celle de l'offre. Débutant avec 20 ouvriers, la coopérative atteint l'effectif de 1500 et devient le leader mondial dans le secteur du chauffage domestique. Lorsque Godin décède en 1888, c'est l'un des fleurons de l'industrie française ! Cette réussite ne doit pas éclipser les aspects négatifs. Les fruits de l'entreprise ont été utilisés pour la construction d'un habitat collectif (Godin aimait parler de "palais social") des plus modernes. Une organisation industrielle, architecturale dotée de services novateurs pour l'époque : crèches, écoles, financement des études secondaires, mutualisme, eau chaude, éclairage au gaz... Et le fameux vide-ordure. En fait, une organisation annonciatrice, sur de nombreux aspects, du modèle social du Conseil national de la Résistance. Sans oublier les activités de l'esprit investissant le temps dégagé par la productivité dans la production : théâtre, lecture, activités sportives, etc. Le projet se différencie radicalement du paternalisme qui commence à émerger en réponse au développement des idées socialistes.

Toutefois, l'harmonie n'est en rien garantie. L'histoire du Familistère est émaillée de conflits notamment entre les générations postérieures et celles des fondateurs, et les non-associés se sont trouvés souvent en opposition avec les associés. Signe du destin, c'est en 1968, année de la revendication de l'autonomie et de l'autogestion, que sous le poids des contraintes économiques, la coopérative se transforme en société anonyme par actions (1). De cette aventure audacieuse, demeure aujourd'hui des produits réputés et un musée qui suscite la curiosité et l'intérêt : c'est en effet le seul musée habité au monde !

Mais, à l'heure où l'économie solidaire et sociale devient notamment une des cibles des politiques publiques et, au-delà des différences entre l'expérience du Familistère et les expériences en cours dans ce domaine, l'esprit de Godin demeure vivace. Les picards doivent non seulement être fiers que l'un des leurs ait été à l'origine d'une entreprise audacieuse, mais travaillait toujours dans cet esprit : innover aussi par la réforme sociale. Le conseil régional de Picardie a pleinement intégré cette nécessité en initiant un plan de soutien à un secteur qui prend de plus en plus de poids dans l'économie régionale (10,3 % des emplois, 57 740 en 2011).

(1) Gaudin a été racheté en 1970 par la société Le Creuset, spécialisée dans les ustensiles de cuisine en fonte émaillée et installée aussi dans l'Aisne à Fresnoy-le-Grand.

Slim Thabet

Transcription

(Musique)
Didier Cagny
1888. Il y a tout juste 100 ans s’éteignait Jean-Baptiste André Godin. A 61 ans. Ce fils de serrurier né à Esquéhéries près de Nouvion en Thiérache laisse derrière lui un immense empire industriel. Une entreprise devenue association, coopérative ouvrière à l’initiative de Godin, une utopie réalisée, le Familistère de Guise. Pas banal, l’itinéraire de cet homme qui, à 20 ans, quitte sa petite forge familiale pour faire son tour de France. Pendant 2 ans, à travers le pays, il côtoie la misère et prend conscience de la réalité du prolétariat ouvrier. De ce périple, il ramènera aussi le savoir sur lequel il fondera son entreprise.
Georges Dagnicourt
Je crois que c’est à Marseille. Il a vu qu’on pouvait mouler de la fonte. Parce qu’à l’époque, tous les appareils de chauffage étaient fabriqués en tôle. Et là-bas, il a vu qu’il était possible de mouler la fonte c'est-à-dire de faire des appareils de chauffage par morceaux qu’on assemblait ensuite et de pouvoir varier les modèles, parce qu’il suffit de changer… enfin, je ne suis pas spécialiste, mais de changer la forme d’une porte ou d’un dessus, et on arrivait à avoir des modèles différents. Ensuite, il ne faut pas oublier qu’on est en pleine époque de la révolution industrielle c'est-à-dire on commence à utiliser le charbon. Or brûler du charbon dans des appareils de chauffage en tôle, c’est impensable. Alors finalement, c’était, là, le point de départ de sa réussite : créer des appareils de chauffage en fonte dans lesquels on pouvait brûler le charbon. Et la possibilité d’avoir des quantités de modèles.
(Musique)
Didier Cagny
Fort de son génie industriel, Godin s’installera à Guise en 1846 avec une trentaine d’ouvriers. 30 ans plus tard, il devient le n°1 mondial des appareils de chauffage. Son entreprise compte 1500 salariés. Mais le patron qu’il est devenu ne renie pas les engagements du compagnon du tour de France qu’il était. Godin participe au bouillonnement des idées socialistes de ce milieu du XIXe siècle. Mi-paternaliste, mi-philanthrope, il tiendra à apporter sa pierre à l’édification d’un socialisme qu’il veut libérateur de la classe ouvrière.
(Musique)
Didier Cagny
L’adolescent nourri des lectures de Rousseau découvre la pensée de Charles Fourier et sa théorie de la communauté socialiste, le Phalanstère. En 1853, Godin perdra 1/3 de sa fortune dans une tentative de vie communautaire au Texas. Refroidi par cette expérience malheureuse, Godin décide de mettre en pratique un système socialiste, synthèse des pensées utopistes de l’époque, le symbole en sera le Familistère, cet ensemble monumental qui abrite 2000 personnes et que Godin appelait le Palais social.
Guy Delabre
Godin avait coutume de dire qu’on mesure les progrès d’une société aux progrès de l’habitation. Et c’est bien dans cette perspective qu’il a conçu le Palais social c'est-à-dire ce familistère permettant de donner aux travailleurs des conditions de logement, des conditions de vie qui soient tout à fait satisfaisantes voire remarquables pour l’époque. Ce qui est révolutionnaire, c’est un certain nombre d’élément de l’architecture du Familistère à savoir ses cours vitrées avec la rue galerie c'est-à-dire ses balcons qui permettent aux appartements de communiquer les uns les autres mais aussi la dimension modulable des appartements en fonction de l’accroissement des dimensions de la famille, mais aussi les éléments de confort tels que l’aération, telles que l’eau courante ou encore, ce qui est un élément tout à fait remarquable, le vide-ordure dont on a pu dire que Godin avait été l’inventeur.
(Musique)
Guy Delabre
En regroupant les gens sur un espace très limité, il entendait faire se développer entre les travailleurs la sociabilité c'est-à-dire le contact, le dialogue, rapprocher les différentes catégories, les différentes classes pour les confondre dans une unité qui permettrait, en quelque sorte, de développer l’idée de consensus ou tout au moins de convivialité.
(Musique)
Didier Cagny
Le familistère n’est alors qu’un des éléments des équivalents de la richesse comme il les appelait que Godin entend procurer à son personnel. Caisse mutuelle de prévoyance, assurance maladie, assurance vieillesse. Autour de l’entreprise et du Familistère s’organise une vie sociale et culturelle.
Guy Delabre
Il faut savoir qu’effectivement, Godin avait suscité, et ses successeurs après lui ont suscité aussi, la création et le développement de sociétés de loisir dont une harmonie, une société de musique particulièrement dynamique et dont les résultants ont été remarquables, mais aussi un théâtre, mais aussi d’autres sociétés sportives et qui conféraient donc à l’ensemble du Familistère une activité culturelle et de loisir tout à fait remarquable.
(Musique)
Didier Cagny
Pivot du système : l’école. De la crèche à l’enseignement des adultes, mixte, laïque, pratiquant des méthodes pédagogiques d’avant-garde, elle devait rendre l’homme meilleur.
(Musique)