La fonderie Godin et son familistère
Notice
Portrait de Jean-Baptiste Godin, qui, à partir du moulage de la fonte, crée des poêles à chauffer au charbon. Il s'installe à Guise dans l'Aisne en 1847 et créé un familistère à Guise pour y loger et instruire ses ouvriers. Guy Delabre détaille les caractéristiques architecturales et sociales du Familistère.
Éclairage
Avec les crises successives, l'économie sociale et solidaire a pris un poids considérable dans l'activité économique. Elle représente 10 % du PIB et 10 % des emplois (2,35 millions de salariés dans plus de 220 000 établissements employeurs). Pourtant, l'idée de concilier impératifs économiques et préoccupations sociales n'est pas totalement nouvelle. Elle a germé, pendant le XIXe siècle, dans certains grands esprits du socialisme utopique (Robert Owen, Charles Fourier et d'autres). Jean-Baptiste André Godin en était un des protagonistes.
Né à Esquéhéries (1817), près de Guise dans l'Aisne, dans une famille dont le chef est forgeron-serrurier, il abandonne l'école très jeune et travaille dans la forge familiale. C'est lorsqu'il entreprend son tour de France de compagnonnage qu'il prend conscience des conditions misérables des classes laborieuses. La lecture fortuite de certains articles de Fourier finit par le convaincre de la nécessité et de la possibilité de les améliorer (1842). Godin devient phalanstérien. Après s'être engagé dans une aventure ruineuse au Texas ("colonie sociétaire"), il se rend compte des limites des idées de Fourier. Entre le capitalisme mû par l'esprit du profit et l'utopisme irréaliste, il y a un moyen terme : celui de la réconciliation de l'efficacité et de la solidarité. L'idée du phalanstère se transforme dans la pratique en projet de familistère.
Celui-ci prend la forme d'une "association coopérative", communauté autant de vie que de travail, administrant la production résultant des innovations industrielles réalisées par Godin : la construction de poêles en fonte alors qu'ils étaient faits en taule. La demande est garantie par l'extension de l'usage du charbon pour le chauffage. En même temps, la fonte permet la variété des modèles et par conséquent celle de l'offre. Débutant avec 20 ouvriers, la coopérative atteint l'effectif de 1500 et devient le leader mondial dans le secteur du chauffage domestique. Lorsque Godin décède en 1888, c'est l'un des fleurons de l'industrie française ! Cette réussite ne doit pas éclipser les aspects négatifs. Les fruits de l'entreprise ont été utilisés pour la construction d'un habitat collectif (Godin aimait parler de "palais social") des plus modernes. Une organisation industrielle, architecturale dotée de services novateurs pour l'époque : crèches, écoles, financement des études secondaires, mutualisme, eau chaude, éclairage au gaz... Et le fameux vide-ordure. En fait, une organisation annonciatrice, sur de nombreux aspects, du modèle social du Conseil national de la Résistance. Sans oublier les activités de l'esprit investissant le temps dégagé par la productivité dans la production : théâtre, lecture, activités sportives, etc. Le projet se différencie radicalement du paternalisme qui commence à émerger en réponse au développement des idées socialistes.
Toutefois, l'harmonie n'est en rien garantie. L'histoire du Familistère est émaillée de conflits notamment entre les générations postérieures et celles des fondateurs, et les non-associés se sont trouvés souvent en opposition avec les associés. Signe du destin, c'est en 1968, année de la revendication de l'autonomie et de l'autogestion, que sous le poids des contraintes économiques, la coopérative se transforme en société anonyme par actions (1). De cette aventure audacieuse, demeure aujourd'hui des produits réputés et un musée qui suscite la curiosité et l'intérêt : c'est en effet le seul musée habité au monde !
Mais, à l'heure où l'économie solidaire et sociale devient notamment une des cibles des politiques publiques et, au-delà des différences entre l'expérience du Familistère et les expériences en cours dans ce domaine, l'esprit de Godin demeure vivace. Les picards doivent non seulement être fiers que l'un des leurs ait été à l'origine d'une entreprise audacieuse, mais travaillait toujours dans cet esprit : innover aussi par la réforme sociale. Le conseil régional de Picardie a pleinement intégré cette nécessité en initiant un plan de soutien à un secteur qui prend de plus en plus de poids dans l'économie régionale (10,3 % des emplois, 57 740 en 2011).
(1) Gaudin a été racheté en 1970 par la société Le Creuset, spécialisée dans les ustensiles de cuisine en fonte émaillée et installée aussi dans l'Aisne à Fresnoy-le-Grand.