Raymond Dewas, inventeur dans le tissage
Notice
En 1934, un Picard, Raymond Dewas, a inventé un procédé révolutionnaire pour les métiers à tisser qui aujourd'hui est généralisé : le remplacement de la navette par un système de distribution des fils dans le tissu en partant de grosses bobines. Ce procédé est de nouveau d'actualité grâce à la découverte de deux passionnés amiénois Philippe et Hubert Dessaint, qui ont retrouvé les vieilles machines ayant servi à mettre au point cette invention, des machines témoins de l'important passé textile picard qu'ils souhaiteraient rassembler dans un musée.
Éclairage
Tout comme Charles Dallery (application de l'hélice sur les bateaux propulsés par la machine à vapeur) ou encore Charles Tellier (première machine frigorifique fondée sur la circulation d'ammoniac liquéfié), Raymond Dewas (1903-1997) appartient à la lignée des inventeurs picards trop peu connus du grand public. Mais à la différence de ses deux prédécesseurs (1), il a pris soin de déposer des dizaines de brevets qui témoignent encore de son génie et laisseront une trace dans l'histoire. La plus connue et non la moindre de ses inventions est celle du métier à tisser à alimentation continue permettant d'éviter les inconvénients des métiers traditionnels à navette, d'économiser de l'énergie et de réduire les incommodités sonores.
Originaire d'une famille du Nord, son père s'installe à Amiens en 1898 en tant que négociant en textile. Il opte finalement pour la production de textile à la veille de la première guerre. Moins intéressé par les études que par les activités de son père, le fils, Raymond, dépourvu du baccalauréat et ayant quitté le lycée la Providence, s'investit à 18 ans dans les Établissements Jourdain, modeste entreprise de production de velours d'ameublement rachetée par le père en 1920. Ce fût l'occasion pour le jeune autodidacte de montrer l'étendue de ses talents. Il transforme en profondeur l'entreprise familiale et initie la révolution du "métier à tisser à alimentation continue". La réussite fulgurante de l'invention l'amène à créer une deuxième usine sise rue Jules Barni et à commercialiser son brevet permettant d'étendre les "principes du métier à lance rigides" au monde entier.
Paradoxalement, c'est durant les années de crise (les années 1930) que son esprit inventif se déploie sur une échelle élargie. En 1939, l'usine qui va être en partie endommagée pendant la Seconde Guerre mondiale, compte 20 métiers. Ses brevets ayant acquis une grande notoriété, il en accélère la diffusion à travers la société Sobretex créée en 1951 et transformée en Dewatex en 1953. Bien que ses inventions soient tombées dans le domaine public, de nombreuses innovations dans le domaine du tissage s'inspirent encore des principes "Dewas" (80% des métiers à tisser dans le monde fonctionnaient encore sur la base du principe du métier sans navette de Dewas en 2006). Il fut l'incarnation d'un certain esprit picard fait de talents, d'ingéniosité et d'empirisme.
La Picardie qui bâtit naguère sa prospérité sur le développement des activités tournant autour textile aurait tout intérêt à développer une mémoire vivace pour ces activités. Les innovations entreprises dans le cadre du pôle de compétitivité dédié aux nouveaux produits et aux nouvelles techniques du textile - Up-Tex - s'inscrivent d'ailleurs dans le prolongement de ce passé prestigieux. C'est un hommage implicitement rendu à Raymond Dewas et aux nombreux picards qui ont contribué, par leur génie mais aussi par leur implication dans les affaires de la cité, au progrès non seulement de la Picardie et des picards mais aussi de l'humanité toute entière. Il serait d'ailleurs probablement heureux de voir aboutir le projet de créer à Amiens un musée des métiers à tisser ; projet porté par l'association Bleu de Cocagne qui conserve précieusement les prototypes des métiers de Raymond Dewas. L'association prévoit aussi la création d'un itinéraire historique des hauts lieux du textile picard allant de la vallée de la Nièvre jusqu'à Saint-Quentin en passant par Amiens et Moreuil.
(1) Charles Dallery a certes déposé un brevet sur son invention mais cela ne lui a guère été bénéfique financièrement, tout comme pour Charles Tellier.