Dossier textile : comment lutter contre la concurrence étrangère ?

05 janvier 2005
03m 28s
Réf. 00312

Notice

Résumé :

Dossier sur l'industrie textile qui subit un nouveau coup dur avec, depuis le 1er janvier 2005, la fin de l'accord multifibre : les importations en provenance des pays en voie de développement ne sont plus limitées. Christian Larose, secrétaire de la CGT textile craint des plans sociaux . Les secteurs de l'habillement et de la confection sont les premiers touchés. Guillaume Sarkozy, est président de l'Union des industriels et son entreprise Les tissages de Picardie a dû déjà licencier. Il y a des solutions pour s'en sortir comme chez Tergal Fibres, dans l'Aisne, Jean Claude Faure, directeur général, pense qu'il existe des niches technologiques dans le non tissé. En effet, le développement des nouveaux textiles "intelligents" sera une des réponse à l'ouverture des marchés, avec dès 2005 la création d'un pôle de compétitivité interrégionale UP-tex.

Date de diffusion :
05 janvier 2005
Source :

Éclairage

La mondialisation s'est accompagnée d'une accélération du phénomène de la désindustrialisation dans les pays du Nord. Celui-ci a touché inégalement les pays, les régions et les secteurs économiques. Le textile est probablement l'un des secteurs qui a été le plus atteint notamment lorsque le fameux accord commercial international "multifibre" a pris fin en 2005. Face à la forte pression des pays à bas coûts de main d'œuvre, de larges segments de l'industrie du textile ont disparus ou ont été délocalisés. La Picardie et le Nord-Pas-de-Calais connus pour leur tradition dans ce domaine ont eux aussi subi les effets négatifs de cette évolution. Malheureusement depuis ce reportage, Tergal Fibres a cessé son activité en 2007 et Les Tissages de Picardie en 2009. Dès lors, l'impératif est devenu de savoir comment faire face à la concurrence étrangère par le renouveau du textile. Le maître mot de cette "révolution" est l'innovation.

L'impulsion a d'abord été donnée par des initiatives locales. C'est le cas de l'association "Clubtex", lancée dès 1989, fédérant de nombreux professionnels du nord. Ses fondateurs, Paul-Dominique Ferrant et Patrice Gallant, étaient à cette époque perçus comme des excentriques. Ils avaient, en fait, un temps d'avance sur la profession. Ils ont compris qu'il fallait parier sur des nouveaux produits, "les textiles intelligents", et mutualiser l'ensemble des compétences et des savoir-faire. Le chiffre d'affaires cumulé des 75 adhérents de Clubtex atteint aujourd'hui près de 2 milliards d'euros (dont 50% à l'exportation), et progresse en moyenne de 3% par an. Un saut qualitatif a été franchi à travers le rapprochement avec le monde de la recherche. La structure s'est en effet insérée dans le pôle de compétitivité interrégionale (entre la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais) dédié au textile, UP-tex (2005), puis dans le Centre européen de recherche sur les textiles innovants (CETI) inauguré en 2012. Ce dernier est une des cinq grandes plateformes mondiales au service des acteurs des nouveaux textiles. Son intérêt réside dans le rapprochement entre les entreprises et les structures de recherche. La Picardie participe pleinement à cette dynamique grâce à la qualité de ses chercheurs et à l'esprit d'innovation de ses industriels.

Malgré des ombres au tableau, les résultats sont là. La demande adressée à ce créneau porteur provenant notamment des pays émergents est très soutenue. La France est bien placée, elle se classe au deuxième rang européen derrière l'Allemagne. La part des textiles techniques dans la production textile nationale est aujourd'hui de 40% (25% en Europe), alors que celle consacrée à l'habillement n'est plus que de 50%. Les nouveaux produits se diffusent en effet progressivement pour toucher aussi bien la vie quotidienne que des activités complexes. Cela va des vêtements communicants, énergisants ou soignants, aux rideaux régulant la lumière ou purifiant l'atmosphère jusqu'aux sports de haut de niveau, à travers de nouvelles combinaison de compétition, en passant par la santé (nouveaux implants et prothèses). Même l'aéronautique (pales d'hélicoptère, boucliers thermiques), le BTP (isolation et imperméabilisation, filtres écologiques, armatures de routes) ainsi que l'automobile (textiles désodorisants) sont concernés !

La meilleure illustration de l'avenir prometteur notamment en termes d'emplois est certainement la diversification et la relocalisation de la marque très connue Kindy. Le leader de la chaussette, qui avait massivement délocalisé, a changé radicalement sa stratégie en relançant en 2011 la production de son usine historique à Moliens. Le site situé dans l'Oise avait failli disparaître au début des années 2000 ; 3 millions de paires de chaussettes y sont désormais produites chaque année. Deux facteurs expliquent cette réussite : le pari sur de nouveaux produits à haute technicité tels que la "chaussette médicale" (hypoallergénique, thermo-régulée, anti-comprimante...etc.) et la transformation des réseaux de distribution en e-commerce (et surtout les circuits pharmaceutiques). D'autres projets d'entreprises picardes semblables à celui de Kindy sont à l'étude. Cela augure d'une nouvelle phase pour le textile faite d'association entre recherche, innovation qualité, et transformations des méthodes de distribution. La hausse progressive des coûts dans les pays à bas salaires ne peut que renforcer cette tendance vers un textile "high tech". Ce n'est qu'au prix de cet effort collectif que la Picardie, qui fut pionnière dans le textile (grâce à ses savoir-faire dans le travail et la production de la waide (1), du jute, du velours, de la cotonnade et de la maille), peut renouer avec son passé à travers la révolution des "tissus intelligents".

(1) La guède (waide en picard) ou bleu de Picardie est une teinture bleue extraite des feuilles de la plante "pastel des teinturiers" (Isatis tinctoria) Elle était récoltée dans l'Amiénois et le Santerre au XIIIe siècle, source de la richesse d'Amiens au Moyen Age. La production reprend de façon artisanale depuis quelques années dans la Somme.

Slim Thabet

Transcription

Marie Roussel
Nouveau coup dur pour l’industrie textile avec, depuis le 1er janvier, la fin de l’accord multifibre. En clair, les importations en provenance des pays en voie de développement ne sont plus limitées. La Picardie peut-elle résister à la concurrence ? C’est ce qu’ont cherché à savoir Paul Labrosse et Florine Ebbhah.
Paul Labrosse
Révolution commerciale, big bang. Les acteurs économiques rivalisent de superlatifs pour qualifier la fin des quotas dans l’industrie textile. Selon l’Organisation Mondiale du Commerce, sans limite d’accès au marché, la Chine produira bientôt 30 % des importations de textile pour toute l’Europe. De son côté, l’Inde veut quadrupler ses exportations dans ce secteur lors des 5 prochaines années. Et il sera difficile de rivaliser.
Christian Larose
Il est clair que la fin de l’accord multifibre va avoir une répercussion quasi-immédiate. C'est-à-dire que je pense que dans le premier trimestre, on va commencer à avoir un certain nombre de plans sociaux annoncés parce qu’il est clair qu’au prix des produits fabriqués en Chine ou en Inde, quand on sait que les salaires vont de 1 à 30, il est clair que les produits français auront du mal à trouver des acquéreurs.
Paul Labrosse
Premiers concernés par le durcissement de la concurrence : les secteurs de l’habillement et de la confection. Dans ces domaines à faible valeur ajoutée, la Picardie a déjà subi licenciements et délocalisations. Pour la seule année 2003, près de 800 emplois ont disparu et les entreprises qui subsistent ont souvent été reprises. Mais quelle sera l’ampleur du changement pour l’ensemble du marché ? 8500 emplois dans la région. Même les industriels ont du mal à répondre.
Guillaume Sarkozy
Ce n’est pas la peine de raconter des histoires. Tout ça va être très difficile et va demander beaucoup d’efforts. Mais si votre question, finalement, c’est : est-ce que le textile en Europe, en France et en Picardie a encore un avenir ? La réponse, pour moi, c’est oui. Mais le même textile, certainement pas. Ça va changer.
Paul Labrosse
Alors en quoi il va falloir changer ?
Guillaume Sarkozy
Je ne suis pas… Je ne sais pas en quoi il va falloir changer. Je ne sais pas de quoi demain sera fait.
Paul Labrosse
La fin des quotas est pourtant prévue depuis 10 ans déjà. A la tête de l’Union des Industriels de Textile, Guillaume Sarkozy devra aussi faire face aux changements dans son entreprise. Sur le marché de l’ameublement, les Tissages de Picardie évoluent constamment pour anticiper la concurrence. Les employés reçoivent des formations. Les délais sont raccourcis. 18 postes ont aussi été supprimés ces 2 dernières années et rien n’est acquis pour les 95 salariés restants. Il y a encore, aujourd'hui, un risque de plan social ?
Hugues Decocq
Je ne le dirai pas comme ça. Evidemment, de vous répondre non, ça serait difficile. C’est toujours le marché qui va commander.
Paul Labrosse
Pour se protéger, les acteurs du textile réclament la suppression de la taxe professionnelle et plus de sanctions à l’égard de la contrefaçon. Mais l’espoir pourrait être ailleurs. Dans l’Aisne, Tergal Fibres est aujourd'hui le leader français du polyester. Son secret : trouver des niches technologiques.
Jean-Claude Faure
Aujourd'hui, pour vous donner quelques exemples, nous sommes présents dans les non-tissés pour la fabrication du pavillon de l’automobile, pour les couches bébé, des produits qui sont utilisés par l’armée française pour la fabrication des tenues de combat.
Paul Labrosse
La spécialisation semble, aujourd'hui, la meilleure issue pour l’industrie du textile. Mais elle a un coût : au moins 4 % du chiffre affaires annuel d’une entreprise.