L'aide d'américaines à la reconstruction dans l'Aisne après la Première Guerre

01 février 1919
03m 02s
Réf. 00404

Notice

Résumé :

Témoignages sur le rôle des femmes du Comité américain pour les régions dévastées qui a aidé les habitants de l'Aisne à la reconstruction des destructions de la Grande Guerre. Ces huit femmes, dont Anne Morgan, installées au château de Blérancourt ont laissé des traces dans les mémoires comme celle de Lucien Loisel ou de Francis Aubry qui se souviennent des jardins d'enfants ou des maisons familiales créés alors. Anne Dopffer conservateur du musée de Blérancourt évoque les préceptes que ces femmes ont inculqués.

Date de diffusion :
10 novembre 2000
Date d'événement :
01 février 1919
Source :
A2 (Collection: Midi 2 )

Éclairage

Ce reportage a été diffusé en novembre 2000 à l'occasion de la présentation en Picardie de cinq expositions autour du thème de la reconstruction après la Première Guerre mondiale : "L'héritage de la reconstruction" au Musée national franco-américain de Blérancourt ; "L'Aisne en chantier" aux Archives départementales de Laon ; " Les couleurs de la reconstruction" à Soissons ; "Effacer la guerre" à Noyon ; "Autour de l'œuvre d'Albert Roze" à Albert (1).

Cette série d'expositions témoignait d'un intérêt nouveau pour la reconstruction après 1918, intérêt à mettre en relation avec le renouvellement historiographique autour de la Première Guerre mondiale observé dans les années 1990 et 2000.

Après 1918, "le département de l'Aisne était aplati" dit le commentateur au début du reportage. Cette manière de désigner les contrées ravagées par la guerre se trouve par exemple au début du roman de Roland Dorgelès, Le réveil des morts, qui évoque la reconstruction dans l'Aisne : "Vous venez dans les pays aplatis, avait dit un employé à la gare de Soissons. C'est bien cela : aplatis. Le village, la contrée n'avaient plus de hauteur, le pilon de la guerre avait tout enfoncé dans le sol" (2). Dans l'Aisne, dont le territoire est dévasté à 84 %, 139 villages sont complétement détruits, 461 détruits à plus de 50 % et 235 endommagés.

Pensée dès pendant la guerre, la reconstruction s'engage après l'armistice. La loi du 17 avril 1919 détermine les conditions de versement de dommages de guerre aux sinistrés. Elle implique l'établissement de dossiers de dommages de guerre, semblables à celui que l'on le voit dans le reportage, et l'appel à des architectes. De jeunes architectes, installés à Paris, diplômés par le gouvernement, ouvrent une agence dans les territoires dévastés. Dans un premier temps, ils doivent établir l'inventaire précis des constructions telles qu'elles existaient avant la guerre, avec plans et croquis de façades, puis proposer une estimation détaillée poste par poste. L'estimation ainsi que les plans réalisés sont joints à la demande d'indemnisation faite par le sinistré au titre des dommages de guerre. Lorsque le montant de l'indemnisation est arrêté, l'architecte peut réaliser un projet de reconstruction précis. Comme le rapporte le témoin Francis Aubry dans le reportage, les sinistrés aspirent majoritairement à une reconstruction "à l'identique" : "mon père a voulu que la maison soit faite exactement comme elle était avant la guerre".

La reconstruction a été une œuvre de longue haleine, à peine achevée à la fin des années 1930. En attendant, les sinistrés connaissent des conditions de vie précaires. Des associations humanitaires leur viennent en aide. Le reportage insiste sur le rôle du Comité américain pour les régions dévastées (CARD) (3).

En mai 1917, huit femmes dont Anne Morgan (1873-1952), fille de John Pierpont Morgan, l'un des plus grands banquiers américains, et Anne Murray Dike s'embarquent à New York en direction de la France. L'American Fund for French Wounded, qu'elles ont créé et qui se transformera en CARD le 31 mars 1918, va s'installer dans l'Aisne, au château de Blérancourt, et travailler à la reconstruction de ce département libéré par le repli allemand sur la ligne Hindenburg en mars 1917. Lors de l'offensive allemande du printemps 1918, les volontaires ouvrent des permanences pour les réfugiés et évacuent des civils. Elles se réinstallent à Blérancourt en février 1919 pour participer à la reconstruction de l'Aisne libérée.

Pour mener ces actions, le CARD fait venir du personnel américain et embauche sur place des ouvriers. Les volontaires sont logées dans des baraquements en bois, caractéristiques de la reconstruction. Pour parcourir les cantons axonais dont il s'occupe, le CARD ne peut se passer d'automobiles. Des voitures Ford, telles qu'on les voit dans le reportage, et des petits camions Dodge sont achetés grâce aux dons collectés aux Etats-Unis. En 1921, le CARD se trouve à la tête d'un parc automobile de plus de 63 véhicules.

Son action sociale fut considérable. Les volontaires se consacrent à la distribution des secours d'urgence. Grâce à l'atelier de reconstruction, le CARD prend sa part dans la remise en état des bâtiments : la création d'une scierie, puis l'exploitation d'une surface de bois de coupe et d'une carrière de pierres lui apportent de nouveaux moyens en 1920. Le CARD envoie des infirmières-visiteuses à domicile, distribue de la vaisselle, des meubles, des vivres, promeut l'école, la lecture, le sport. Le reportage mentionne les bibliothèques publiques, ouvertes par le CARD en 1920-1921 à Coucy, Blérancourt, Vic-sur-Aisne, Anizy et Soissons, organisées par l'Américaine Jessie Carson, venue de la New York Public Library. Il met aussi en valeur les projets éducatifs : création de garderies et de jardins d'enfants à Blérancourt et à Vic-sur-Aisne, création d'écoles ménagères afin de donner aux jeunes filles les aptitudes à tenir leur ménage de façon rationnelle et économique . Les principes y sont empruntés aux méthodes américaines d'économie domestique ; la couture, la cuisine, la conservation des aliments, la lessive et le repassage y sont enseignés.

Contrairement à ce qui est dit dans le reportage, les Américaines ne restent pas en Picardie jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Le 30 juillet 1924, le Comité américain se retire et quitte Blérancourt. Mais, le 4 septembre 1939, alors que vient de se déclarer une nouvelle guerre, Anne Morgan forme le Comité américain de secours civil, qui s'appuie sur les anciennes structures que le CARD avait laissées en France. A partir de leur ancien centre de Blérancourt, les Américaines organisent des équipes de secours et préparent des plans en vue de l'évacuation des civils des villages du nord de l'Aisne et des Ardennes. Pendant l'exode de 1940, elles aident les réfugiés (4).

Le musée franco-américain de Blérancourt conserve le fonds documentaire Anne Morgan, laissé par les volontaires du CARD en 1924. Il rassemble de très nombreuses photographies, mais aussi des films – redécouverts par hasard en 1995 – qui étaient destinés à drainer des fonds aux Etats-Unis. Certains de ces documents servent à illustrer le reportage de 2000.

(1) Ces expositions ont donné lieu à la publication d'un catalogue commun, Reconstructions en Picardie après 1918, Paris, Réunion des Musées nationaux, 2000.

(2) Roland Dorgelès, Le réveil des morts, Paris, Albin Michel, 1923, p. 12-13.

(3) Voir Anne Dopffer, "Le comité américain pour les régions libérées", dans Reconstructions en Picardie après 1918, op. cit., p. 70-87 et Des Américaines en Picardie, au service de la France dévastée 1917-1924, Réunion des musées nationaux, 2002.

(4) Laurence Saint-Gilles, "Le comité américain de secours civil" dans Anne Duménil et Philippe Nivet (sous la direction de), Les reconstructions en Picardie, Amiens, Encrage, 2003, p. 229-242.

Philippe Nivet

Transcription

Gérard Hotz
A la veille du 11 novembre, une pensée pour tous ceux qui ont aidé à la reconstruction des régions touchées par la Grande guerre. On pourrait les appeler, pour certaines, les robes bleues comme il y a les casques bleus pour les Nations Unies. Ces robes bleues, ce sont les Américaines qui ont donné un vrai coup de main et surtout un vrai coup de coeur aux habitants de l’Aisne juste après la guerre. Sébastien Legay, David Breysse.
Sébastien Legay
Picardie, année zéro. Un gigantesque chantier se profile sur les champs de ruine. En 1918, le département de l’Aisne est aplati. Il va falloir songer à retrousser ses manches. Depuis le recul des Allemands en 1917, il règne au château de Blérancourt une surprenante effervescence. Des Américaines ont fondé le comité pour les régions dévastées. Epaulées par l’armée française, elles parent au plus pressé : nourrir et reloger les sans-abri. Engoncées dans leur uniforme bleu horizon, ces maîtresses femmes imposent le respect, surtout la première d’entre elles, Miss Anne Morgan, la fille d’un banquier richissime.
Lucien Loisel
Miss Morgan, pour moi, c’était la Tour Eiffel. Femme très haute. C’était le soleil qui arrivait, là, dans un truc triste, moche, des pierres partout, des trous dans les maisons.
Sébastien Legay
Avec les Américaines, les camionnettes Ford font leur apparition en terre picarde. Dans leurs bagages, les volontaires ont apporté de nouvelles méthodes pour organiser la vie sociale. Elles ouvrent les premiers jardins d’enfants, les premières bibliothèques publiques. La reconstruction est aussi celle des esprits. Pour les jeunes filles, c’est l’école ménagère. Malheur à celles qui inversent couteaux et fourchettes et ignorent le pouvoir des fleurs.
(Musique)
Anne Dopffer
Dans toutes les bibliothèques, il y avait un précepte. C’est qu’il devait y avoir un bouquet de fleurs pour égayer, pour mettre un petit peu de joie dans l’univers triste de l’après-guerre. Et effectivement, elles arrivent avec des idées sur à peu près tous les champs de la vie.
Sébastien Legay
C’est l’époque des déclaration de dommages de guerre. Les habitants doivent fournir de gros efforts de mémoire. Dans l’espoir d’une indemnisation tout est consigné : les caveaux funéraires, les arbres fruitiers et les petites cuillères disparus dans le tourbillon de la guerre. Francis Aubry se souvient de cette époque. Enfant, il a vu la maison familiale renaître de ses cendres.
Francis Aubry
Mon père a voulu que la maison soit faite exactement comme elle était avant la guerre. Il y avait un architecte, quoi, qui passait une fois par semaine, je crois, avec ses entrepreneurs et tout. Quand il arrivait, l’architecte, c’était un pauvre diable, il était à vélo. Après ça, il a eu une belle auto.
Sébastien Legay
En attendant que se relèvent les façades, tout le monde vit dans les baraquements. Nos Américaines n’y échappent pas. Mais elles aménagent leur logis avec une certaine classe. Pour accompagner la reconstruction, ces pionnières de l’humanitaire sont restées dans l’Aisne jusqu'à la guerre suivante.
(Musique)
Présentateur
Voilà. Il y a, en ce moment, 5 expositions très intéressantes, justement, sur la reconstruction qui se déroulent, vous le voyez, là, donc dans la Somme, dans l’Aisne, dans l’Oise, Noyon, Laon, etc. Passez-y si vous êtes dans le coin.