La Charte d'Amiens

13 octobre 1906
03m 57s
Réf. 00220

Notice

Résumé :

La Charte d'Amiens a 100 ans. En 1906, les grèves faisant suite à la catastrophe de la compagnie de Courrières sont fortement réprimées. Bruno Poucet, professeur d'histoire, évoque les baisses de salaire dans l'industrie textile. C'est dans ce contexte que la CGT organise à Amiens son IXe congrès dans la salle d'une école (aujourd'hui l'école primaire Noyon). Un texte est adopté on l' appellera "La charte d'Amiens". Il affirme une volonté d'indépendance à l'égard des partis politiques ou de la religion. A FO , Paul L'Hote, secrétaire fédéral, explique les principes de son syndicat en la matière. Nathalie Brandicourt pour la CFDT Picardie estime que les tentations ont pu être fortes notamment en 1981. Patrick Joan secrétaire général CGT Picardie annonce la création d'une nouvelle organisation internationale qui reprendra les principes de la Charte d'Amiens.

Date de diffusion :
04 octobre 2006
Date d'événement :
13 octobre 1906
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Lieux :

Éclairage

La Charte d'Amiens a profondément marqué l'histoire du syndicalisme français. Le 13 octobre 1906, le IXe congrès de la CGT, réuni à Amiens depuis le 8 octobre, adopte un "ordre du jour" sur les "rapports devant exister entre les organisations économiques et politiques du prolétariat " (syndicats et partis politiques), confirmant ainsi les statuts de la CGT – créée en 1895 au congrès de Limoges par la Fédération des Bourses du travail et la Fédération des syndicats – où figurent déjà cette conception de l'indépendance des syndicats vis-à-vis des partis politiques ; une spécificité française. Plus d'un siècle après, elle est toujours la référence privilégiée de la majorité des organisations syndicales.

Cependant, le congrès d'Amiens se tient dans un contexte particulier, celui de l'affrontement de plusieurs courants pour le contrôle du mouvement ouvrier et de la définition des rapports entre la CGT et le Parti socialiste - SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière), créé un an plus tôt et dont les leaders sont Jean Jaurès et Jules Guesde. Les anarcho-révolutionnaires – à la tête du syndicat (Victor Griffuelhes, Emile Pouget) – défendent le principe de l'indépendance syndicale et rejettent toute relation entre parti politique et syndicat, ce dernier étant chargé de réaliser la révolution. En revanche, les guesdistes estiment que la classe ouvrière doit être unie et préconisent une entente entre la SFIO et la CGT ; pour eux, le syndicat – chargé de faire pénétrer les idées socialistes dans le monde du travail – doit être subordonné au parti, chargé de faire la révolution. Enfin, les réformistes accordent une grande importance aux syndicats dans la lutte pour des réformes partielles préparant l'avènement du socialisme mais font la distinction entre action politique et action syndicale. Avec 830 voix sur 839, la victoire revient aux syndicalistes révolutionnaires, alliés aux réformistes. La motion rappelle que "La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.". Elle reconnaît la lutte des classes, se donne pour mission la préparation de l'émancipation intégrale par l'expropriation capitaliste grâce à l'action directe (la grève générale) et laisse au syndiqué la liberté d'adhérer aux groupes politiques et philosophiques de son choix mais sans "introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe en dehors." La jeune CGT affirme ainsi son indépendance et son autonomie face au politique, à une époque où la CGT est la seule organisation syndicale et la SFIO l'unique parti politique à gauche. La Charte d'Amiens – ainsi dénommée dès 1912 – marque la victoire du syndicalisme révolutionnaire dans le mouvement ouvrier du début du XXe siècle.

Après la Première puis la Seconde Guerre mondiale, la CGT connaît deux scissions, sur la question des rapports au Parti communiste, lui-même né en 1921 d'une scission de la SFIO. En 1921, est ainsi créée la CGT-U, proche du PCF. La réunification de la CGT a lieu en 1935 au congrès de Toulouse. En 1947, dans le contexte de l'entrée en Guerre froide, la CGT connaît une nouvelle scission : c'est la naissance de FO, héritière de la branche réformiste de la CGT. La CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens), créée en 1919, connaît elle aussi une scission, en 1964 : une majorité en faveur de la "déconfessionnalisation" fonde la CFDT (Confédération française démocratique du travail).

Julien Cahon

Transcription

Eric Brisson
C’était il y a 100 ans, à Amiens. A l’issue du congrès de la CGT, la charte d’Amiens fixait de nouveaux principes pour les organisations syndicales notamment leur indépendance vis-à-vis des partis politiques. Un texte toujours cité en référence. Et FO célèbre, en ce moment même, cet anniversaire. L’histoire de cette charte, c’est le dossier du Midi Pile préparé par François Liandier et Anna Salzberg.
(Musique)
Liandier§François
Hausse de salaire, journée de travail de 8 heures sont les grandes revendications exprimées lors des grèves du début du XXe siècle en France. Celle du 1er mai 1906 est plus intense encore, surtout après la mort de plus de 1000 mineurs à Courrières, quelques semaines plus tôt. Les manifestations sont vivement réprimées sans briser le mouvement de fond auquel participent activement les ouvriers picards.
Poucet§Bruno
Il y avait, dans ce texte, une volonté par exemple de réduire le salaire des ouvriers, je crois, jusqu'à 10 %. Or le textile était très fortement implanté. Les teinturiers également, etc. Donc il y avait ce contexte qui, nationalement et localement, explique que c’était relativement difficile.
Liandier§François
Au lieu de la lutte ouvrière, Amiens devient celui du rendez-vous de la jeune CGT qui organise son 9ème congrès. C’est dans cette salle, à l’origine un préau d’une école des faubourgs de la ville, que les débats ont lieu. Après la poussée de la gauche aux législatives, les 350 délégués discutent de leur rôle et de leur positionnement dès le 6 octobre 1906. Au bout d’une semaine, un texte de compromis est adopté entre les différents courants de la CGT. C’est ce qu’on appellera la charte d’Amiens. Ce texte affirme une volonté d’indépendance à l’égard des partis politiques ou de la religion. En dépit ou peut-être à cause des scissions et divisions syndicales du XXe siècle, il devient une référence pour tous les syndicats y compris les nouveaux venus même si ses nuances ne sont pas toujours faciles à percevoir et à appliquer.
L’Hote§Paul
A gauche, on n’est pas d’accord avec certaines choses. A droite, on n’est pas d’accord avec autre chose… Nous ne jugeons pas sur la couleur du gouvernement. Nous jugeons que la qualité des dossiers qu’il nous présente pour les salariés. C’est bénéfique pour un salarié ou ça ne l’est pas. Donc nous sommes bien obligés de tenir compte de la politique mise en avant par le gouvernement, par le MEDEF également. Mais ce qui veut dire que nous nous prononcerons en fonction de nos propres adhérents. Il n’y a aucun parti politique extérieur qui nous dicte notre loi.
Brandicourt§Nathalie
La question de l’autonomie et de l’indépendance, il faut vraiment l’avoir en tête en permanence parce que les tentations peuvent être fortes. Et, effectivement, la CFDT a sûrement un peu perdu de vue, à un moment, ces questions puisqu’elle a très clairement soutenu le parti socialiste et François Mitterrand au moment de l’élection de 81, ce qui n’a plus été le cas dès 86. Ça s’est arrêté très rapidement.
Liandier§François
Défendre les salariés dans leurs revendications quotidiennes, oeuvrer à une émancipation future figurent parmi les objectifs de la charte d’Amiens. Une dimension sociale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste avec, comme moyen d’action, la grève générale. C’est ce qui est écrit. Une phrase restée à l’état de principe mais au coeur de projets toujours d’actualité.
Joan§Patrick
Nous allons construire 350 organisations syndicales mondiales, une nouvelle confédération syndicale internationale qui ressent le besoin de s’organiser pour conquérir, au niveau mondial, des droits pour l’ensemble des salariés. Et dans ses statuts est précisé, effectivement, l’ensemble des éléments qu’on retrouve dans la charte d’Amiens. C'est-à-dire que l’opposition entre le capital et le travail où le travail doit être prédominant par rapport au capital, l’indépendance vis-à-vis des partis politiques, vis-à-vis de l’Etat et aussi les valeurs que la charte d’Amiens était porteuse c'est-à-dire les valeurs de paix, de progrès et de justice sociale.
Liandier§François
Dans une nouvelle période de difficulté économique et sociale, de remise en question de conquête syndicale, le message dont on commémore le centenaire n’a peut-être pas autant vieilli et semblerait presque trouver, aujourd'hui encore, un nouvel écho.
(Musique)