Laon au Moyen Âge carolingien

28 mars 1987
06m 52s
Réf. 00434

Notice

Résumé :

Jacky Lusse, historien, évoque Laon au Moyen Âge qui a été choisie comme capitale par les Carolingiens, du fait de sa situation géographique escarpée qui en faisait une sorte de forteresse. Les reines carolingiennes habitent l'abbaye et les rois leur confient la ville quand ils partent a la guerre. Cependant, nous dit le père René Courtois, historien, il n'y a pas de documents qui puissent prouver que Charlemagne et Louis le Pieux aient été à Laon. De l'époque Carolingienne il ne reste que des poteries, des morceaux de céramiques et une épée.

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28 mars 1987
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Éclairage

Ce document intitulé de manière fortement thuriféraire "Laon, capitale carolingienne" s'appuie ici sur les compétences de deux grands historiens médiévistes Jacky Lusse qui lui a consacré sa thèse Naissance d'une cité : Laon et le Laonnois du Ve au Xe siècle, d'une part et Jean-René Courtois, père jésuite, archéologue et grand érudit du Moyen Âge de la région (1). Ainsi, la belle cité du roi Charlemagne, c'est Laon ! C'est le berceau des Carolingiens depuis que le palais de Samoussy abrita les amours du roi Pépin-le-Bref, venu à la chasse dans le domaine du comte Herbert de Laon, avec Berthe-aux-grands-pieds, la fille du comte. Capitale non, mais les Carolingiens ont eu une prédilection pour Laon, ce castrum romain, clos de remparts imposants en font une place imprenable. Les rois bâtirent dans l'enceinte, un palais appuyé au monastère Saint-Jean (préfecture actuelle), derrière la porte du castrum, cette porte appelée royale (actuelle porte d'Arden).

C'est une ville importante du haut Moyen Âge à la fois résidence royale, ville épiscopale et un centre culture important. Sur le plan économique, la ville ne joue cependant pas un grand rôle, à l'écart des grands axes commerciaux de l'époque. Au Xe siècle, au pouvoir épiscopal s'ajoute le pouvoir royal, Laon étant un lieu de résidence fréquent des derniers rois carolingiens. L'abbaye de femme, Notre-Dame Saint-Jean de Laon fondée en 641 joue un grand rôle dans l'encrage de cette résidence royale carolingienne. Les abbesses sont en générale des reines. Si la localisation du palais royal est relativement bien établie puisque le couvent des Cordeliers s'installe à sa place au XIIIe siècle, sa relation avec l'abbaye Saint-Jean est moins claire. Les deux chroniqueurs du Xe siècle, Flodoard et Richer, permettent de préciser que dans la maison royale, il y avait une grosse tour avant 946, que Louis IV d'Outremer a reconstruit intégralement, et que son fils cadet Charles de Lorraine, renforça en surélevant les murs, jugé trop bas. On creusa également deux ceintures de profonds fossés, une première à l'extérieur du palais, une deuxième à l'intérieur du palais. Laon avait ainsi résisté avec succès à quatre sièges en 941 et 988. Laon est si important à la fin du Xe siècle que dans l'imaginaire populaire est resté comme la capitale de tous les Carolingiens. Elle fut l'une des capitales carolingiennes qu'à partir de Charles III dit le simple et elle n'est devenue la première des capitales que sous le règne de Lothaire. Le seul à s'être fait couronné à Laon est Louis IV d'Outremer, les autres le sont à Reims. Les villes de Reims, d'Aix-la-Chapelle, de Verdun situés plus à l'est constituent les autres capitales carolingiennes. Laon demeure le berceau et le refuge de cette dynastie.

Concernant la topographie de Laon à l'époque carolingienne, le travail de Jackie Lusse demeure essentiel. L'archéologie n'a jusqu'à présent pas pu renseigner davantage ce point. Le tracé des remparts de la cité, reconstruits voire agrandis demeure inconnu à ce jour. Pour le haut Moyen Âge, les découvertes archéologiques isolées ne permettent pas de confirmer ou de compléter les travaux des historiens. La situation est mieux renseignée dès la fin du XIe siècle où Laon connaît un développement très important, et, vers le milieu du XIIIe siècle, la ville abrite une population d'au moins 10 000 habitants, dont environ les deux tiers occupent la ville haute. La Cité reste le centre des pouvoirs, le roi et l'évêque étant coseigneurs de la ville.

(1) Jacky Lusse, maître de conférences honoraire de l'université de Nancy II. Il est l'auteur d'une thèse consacrée à Laon au haut Moyen Âge : Naissance d'une cité : Laon et le Laonnois du Ve au Xe siècle, 1992.

- René Courtois (1923-2005), père jésuite, grand érudit médiéviste, archéologue spécialiste des domaines religieux. Il a étudié plus particulièrement l'abbaye cistercienne de Vauclair dans le Laonnois.

François Blary

Transcription

(Musique)
Thierry Bonte
Juchée sur son promontoire, la ville de Laon domine toute la plaine environnante. Cette situation géographique a déterminé pendant des siècles le statut de la cité, ville forteresse, refuge contre les agressions extérieures. Pourtant, les rois du haut Moyen Âge n’auraient peut-être jamais élu Laon comme leur lieu de résidence principale si Pépin le Bref, le premier roi carolingien, n’était tombé amoureux de Berthe-aux-Grands-Pieds, la mère de Charlemagne. Fille du maire de la ville, elle crée un lien familial qui va favoriser l’implantation carolingienne dans l’Aisne. C’est en 741 que la royauté passe aux mains des Carolingiens qui tirent d’ailleurs leur nom du plus illustre d’entre entre, Carolus c'est-à-dire Charlemagne. A partir de cette date, les habitants de la ville verront fréquemment les équipages des rois s’arrêter ici avant qu’au Xe siècle, les souverains fassent de Laon leur lieu principal d’habitation puis la capitale de leur royaume.
(Musique)
Jacky Lusse
C’est essentiellement une ville royale par la présence du roi, une ville religieuse et intellectuelle. Mais pas une ville économique. La ville de Laon est à l’écart des grands courants économiques, grands courants commerciaux du Xe siècle.
Thierry Bonte
C’est surtout une ville symbole sur le plan politique ?
Jacky Lusse
Oui, c’est la résidence des carolingiens. Le roi vient régulièrement à Laon où il… chaque fois qu’il part en campagne, il vient… il part de Laon, il revient à Laon après ses campagnes, lorsqu’il est en danger, il se réfugie dans la forteresse de Laon. Lorsque le roi carolingien vient à Laon, il réside dans l’abbaye Notre-Dame-Saint-Jean dont les abbesses sont généralement les reines, les reines carolingiennes [... Gerberge] ont l’abbaye Notre-Dame-Saint-Jean en douaire. Et lorsque le roi carolingien vient à Laon, hélas, il séjourne dans cette abbaye. C'est-à-dire que finalement, il séjourne chez sa femme. Et autre trait caractéristique, c’est que quand il s’éloigne de Laon, au Xe siècle, le roi confie la ville à sa femme. C’est elle qui est chargée de la défense de la ville.
(Musique)
René (Père) Courtois
Il y a plusieurs grandes villas carolingiennes dans les environs de Laon. Corbeni, Samoussy, Attigny, Servais, où les présences des souverains carolingiens sont attestées. Mais on n’a pas un document rigoureusement authentique qui puisse prouver que Charlemagne ou même son successeur Louis le Pieux aient été à Laon. La grande période de Laon, c’est surtout la fin du IXe siècle et puis le Xe. C’est à ce moment-là que Laon entre dans l’histoire comme la forteresse, dernier refuge des carolingiens. C’est le sort tragique des derniers carolingiens qui sont toujours, au lieu de s’occuper de la France occidentale, poursuivis par un grand rêve, un mythe pour eux qui est d’aller conquérir la Lorraine.
(Musique)
Thierry Bonte
Jacky Lusse s’est amusé à reconstituer le plan de la ville au Xe siècle. Le périmètre urbain n’était alors que de 1900 mètres et Laon couvrait 16 hectares sur lesquels s’élevaient une multitude d’églises et d’abbayes. On le voit : le coeur historique de la cité moyenâgeuse correspond encore très exactement à ce que représente aujourd'hui le centre de la ville haute.
Jacky Lusse
J’ai essayé de voir où était le palais royal donc l’abbaye et surtout, disons, les églises. Je crois que c’est surtout ça qu’on peut faire figurer sur un plan.
Thierry Bonte
Et il y en avait beaucoup ?
Jacky Lusse
Et il y en avait énormément.
Thierry Bonte
Et Laon était une toute petite ville par rapport à aujourd'hui ?
Jacky Lusse
Oui, parce qu’elle n’occupe que la partie orientale de la montagne actuelle de Laon. C’est une ville dont le périmètre, à l’époque carolingienne, est de 1900 mètres et la superficie de 15 hectares. Mais c’est la superficie ordinaire d’une petite cité à cette époque-là.
Thierry Bonte
Ça paraît quand même minuscule pour une capitale ?
Jacky Lusse
Oui, c’est pour ça que je dis ce n’est pas une capitale. Enfin, c’est une résidence… Je vous dis, les villes comme Paris, Senlis, ne sont pas plus importantes à cette époque-là.
Thierry Bonte
Louis IV d’Outremer est le seul carolingien à venir se faire couronner dans la cathédrale de Laon. Les autres reçoivent généralement le sacrement à Reims et se font souvent inhumer dans la même ville. Verdun, Aix-la-Chapelle, Reims, le coeur du royaume bat donc à l’est de la France actuelle. Pourtant, à chaque fois que les carolingiens se sentiront menacés, ils reviendront au lieu du berceau familial.
(Musique)
René (Père) Courtois
Gabriel Aleto qui est un des grands historiens originaire du coin dit quelque part une formule qui veut bien dire ce qu’elle veut dire : « Quand il n’y a plus de France, il y a toujours Laon ».
(Bruit)
Thierry Bonte
Alliances immédiatement dénoncées, trahisons multiples, corruption, querelles de successions. On garde fréquemment de cette période l’idée d’un grand trouble politique voire même après l’apogée de Charlemagne, d’un triomphe de la barbarie lié, c’est vrai, au déferlement des hordes normandes.
Jacky Lusse
Heureusement, actuellement, les recherches montrent que ça a été au contraire une grande période. Alors je pense que les conflits politiques, les conflits de dynastie qui ont troublé ce Xe siècle en particulier sont à l’origine de cette légende. Mais actuellement, on s’aperçoit que notamment du point de vue intellectuel, du point de vue économique, l’époque carolingienne était une époque brillante.
Thierry Bonte
Des églises, des abbayes et de la cathédrale de l’époque, il ne reste pourtant aucun vestige visible. Quelques sondages ont permis de découvrir une poterie, deux morceaux de céramique, un manche en bois de cerf et une épée.