La création de la réserve ornithologique du Marquenterre
Notice
Présentation de l'historique du domaine du parc du Marquenterre par Michel Jeanson son créateur. Il explique dans quelles circonstances ce domaine est devenu une réserve ornithologique.
Éclairage
La "nature" est-elle aussi "naturelle" qu'elle ne le paraît ? L'histoire que raconte l'un de ses principaux acteurs, Michel Jeanson, (petit-fils du journaliste écrivain Henri Jeanson), qui acquit le domaine en 1923 et fixa l'espace dunaire, est pourtant celle d'une combinaison continue de volontés affirmées, de décisions raisonnées – certaines n'auraient pu être mises en œuvre aujourd'hui – et d'opportunités saisies. De proche en proche, elle conduit au rachat achevé du site en 1986 par le Conservatoire du littoral, né quant à lui en 1975, puis à sa gestion en 2003 par le Syndicat Mixte Baie de Somme – Grand Littoral Picard. La reconnaissance de l'intérêt faunistique du lieu a donc son histoire. Et il fallut bien des péripéties, dont certaines dépassent largement la stricte échelle locale, pour valoriser l'exceptionnel biotope en partie créé par le polder. Invisibles dans les sables, on y croise pourtant les plus tragiques – la Guerre mondiale – comme les plus heureuses – L'Europe pacifiée et unie –. Plus tard, les scientifiques y reviendront au cœur de cette région zoologique du paléarctique occidental. Les oiseaux migrateurs, qui sillonnent la terre de la Sibérie à l'Afrique du Nord, y séjournent au cours de leurs migrations quand ils ne s'y reproduisent pas.
En outre, sur les 200 ha du parc, la nature est bien une construction. Ouvert au public en 1973, soit vingt ans avant la diffusion du reportage, le 31 juillet 1993, ses divers sentiers guident les visiteurs qui peuvent choisir autant la durée de leur boucle que les espèces d'oiseaux croisées : hérons, avocettes, spatules, tadornes et autres limicoles, etc. Une importante signalétique oriente les uns et initie les autres, moins informés, à ce qu'il convient de voir depuis des postes d'observation conçus à la manière des traditionnelles huttes de chasse qui parsèment aussi la baie de Somme. Les plantations d'arbres, faites après la Guerre, façonnent encore à leur manière les paysages traversés. Bref, au Marquenterre, la rencontre entre les 130 000 visiteurs et les oiseaux est tout, sauf fortuite.
Prolongeant le mouvement, la Réserve naturelle de la Baie de Somme est créée en 1994. Elle inclut désormais le parc dans un ensemble protégé de 3000 ha. L'oiseau, n'est plus seulement la bête à chasser. Il devient un emblème du site et un marqueur territorial pour toute la Baie, voire au-delà. Le festival annuel de l'oiseau et de la nature en cultive l'image. Le parc s'intègre ainsi à un ensemble d'équipements et d'animations touristiques qui complètent l'offre des stations déjà existantes. Les enjeux sont donc écologiques, certes, mais ils sont aussi économiques. En cultivant les singularités du littoral picard, ici le rapport à l'eau et à ses oiseaux, le Parc du Marquenterre fait partie d'une chaîne d'offre touristique qui vise à valoriser ce que le littoral picard et son dispositif phare, la Baie de Somme, peut présenter d'unique, autrement dit ce qui n'est pas délocalisable. Ainsi, le Parc du Marquenterre, tel qu'il existe aujourd'hui et bien que fondé sur l'argument de la "nature", interroge autrement : parce qu'il fait aussi partie d'une stratégie marketing et de communication, n'est-il pas aussi un équipement touristique, réussi en l'occurrence, un peu comme les autres ?