Jean-Luc Locht et les découvertes archéologiques à Caours
Notice
Duplex avec Jean Luc Locht, préhistorien, à Caours près d'Abbeville où les archéologues de l'Inrap et du CNRS ont mis au jour un site vieux de 125 000 ans. Ces fouilles prouvent la présence de l'homme de Néanderthal en Picardie. C'est le seul site de ce type dans le nord de la France. Jean Luc Locht souligne l'importance de cette découverte.
Éclairage
Le site de Caours était connu depuis la seconde moitié du XXe siècle. Plusieurs notes avaient en effet été publiées par L. Aufrère et l'abbé Breuil. Elles concernaient les restes de grands mammifères et notamment des bois de cervidés découverts dans une carrière aujourd'hui comblée. Les recherches, débutées par des sondages de Pierre Antoine dans le cadre d'un programme de recherches axé sur l'étude des dépôts interglaciaires et des tufs calcaires dans les séquences fluviatiles de France septentrionale, ont débouché sur plusieurs campagnes de fouilles menées de 2005 à 2010 par une équipe conjointe CNRS (Centre national de la recherche scientifique)-Inrap (Institut de recherches archéologiques préventives). Elles ont permis d”étudier 241 m² de ce site (1).
Cinq niveaux d'occupations humaines ont été retrouvés dans un parfait état de conservation au sein d'une épaisse formation de tufs qui occupe une surface de plusieurs milliers de m² à la confluence du Scardon et du ruisseau de Drucat et se développe sur une épaisseur moyenne de 3 à 4 m. Les tufs sont des dépôts carbonatés déposés en milieu fluviatile sous des conditions climatiques tempérées. Les datations ont donné à cette formation calcaire un âge moyen de 120 000 ans av. n.è., ce qui permet de dater les occupations humaines de Caours d'une phase récente du Paléolithique moyen et plus précisément à l'interglaciaire Eemien, dernier interglaciaire avant le nôtre.
Le site de Caours constitue une référence au niveau Européen pour l'approche interdisciplinaire des environnements continentaux interglaciaires pléistocènes. En effet, si la France septentrionale est riche en gisements du Paléolithique moyen, aucun d'entre eux n'avait pu être daté de cet période. Les seuls gisements de plein air contemporains se trouvent en Allemagne où quelques niveaux archéologiques retrouvés dans des tufs d'âge interglaciaire témoignent de la présence de groupes humains durant l'Eémien (environ 131 000 - 114 000 ans) : Gröbern' Rabutz, Grabschutz, Neumarh-Nord... Le site de Caours démontre ainsi que l'Homme de Néandertal était présent en Europe du nord ouest durant les périodes tempérées et n'était pas seulement inféodé à un climat froid et à un environnement ouvert (steppes,...).
Les tufs ont permis une conservation exceptionnelle des restes osseux et des artefacts lithiques. Les premiers témoignent d'une faune adaptée à un climat tempéré et à un environnement boisé où prédominent les cervidés en particulier le cerf, puis le daim et l'aurochs. Le rhinocéros et l'éléphant de prairie sont peu fréquents. Le cheval, le chevreuil, le castor, le sanglier, l'ours brun et la loutre sont également présents mais de manière fugace. Une partie de ces animaux a été chassée non loin, ramenés entiers ou partiellement pour les animaux impossibles à déplacer comme l'aurochs. De nombreux fragments osseux portent des traces de découpes à l'aide d'outils de silex. D'autres sont systématiquement fracturés avec un percuteur afin en récupérer la moelle, très recherchée pour ses qualités nutritives. Il s'agit dans presque tous les cas de fragments d'os longs. La présence de très nombreux os brûlés est à associer avec celle d'aires de combustion.
De nombreux artefacts lithiques, confectionnés à partir des blocs prélevés dans les dépôts alluviaux du Scardon, sont associés à ces restes osseux. L'objectif de la taille de silex semble avoir été la production rapide d'éclats comportant un dos de débitage opposé à un tranchant, adapté à un travail de boucherie. Ces outils apportent des informations essentielles quant à la connaissance des systèmes de production des outils en pierre durant l'interglaciaire Eémien.
(1) Jean-Luc Locht. "Caours" dans Bilan scientifique de la région picarde, DRAC Picardie, 2003, p. 105-106 ; 2005, p. 106-107 ; 2006, p. 110 ; 2008, p. 122-123.