Jean-Luc Locht et les découvertes archéologiques à Caours

22 septembre 2006
03m 11s
Réf. 00619

Notice

Résumé :

Duplex avec Jean Luc Locht, préhistorien, à Caours près d'Abbeville où les archéologues de l'Inrap et du CNRS ont mis au jour un site vieux de 125 000 ans. Ces fouilles prouvent la présence de l'homme de Néanderthal en Picardie. C'est le seul site de ce type dans le nord de la France. Jean Luc Locht souligne l'importance de cette découverte.

Date de diffusion :
22 septembre 2006
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Éclairage

Le site de Caours était connu depuis la seconde moitié du XXe siècle. Plusieurs notes avaient en effet été publiées par L. Aufrère et l'abbé Breuil. Elles concernaient les restes de grands mammifères et notamment des bois de cervidés découverts dans une carrière aujourd'hui comblée. Les recherches, débutées par des sondages de Pierre Antoine dans le cadre d'un programme de recherches axé sur l'étude des dépôts interglaciaires et des tufs calcaires dans les séquences fluviatiles de France septentrionale, ont débouché sur plusieurs campagnes de fouilles menées de 2005 à 2010 par une équipe conjointe CNRS (Centre national de la recherche scientifique)-Inrap (Institut de recherches archéologiques préventives). Elles ont permis d”étudier 241 m² de ce site (1).

Cinq niveaux d'occupations humaines ont été retrouvés dans un parfait état de conservation au sein d'une épaisse formation de tufs qui occupe une surface de plusieurs milliers de m² à la confluence du Scardon et du ruisseau de Drucat et se développe sur une épaisseur moyenne de 3 à 4 m. Les tufs sont des dépôts carbonatés déposés en milieu fluviatile sous des conditions climatiques tempérées. Les datations ont donné à cette formation calcaire un âge moyen de 120 000 ans av. n.è., ce qui permet de dater les occupations humaines de Caours d'une phase récente du Paléolithique moyen et plus précisément à l'interglaciaire Eemien, dernier interglaciaire avant le nôtre.

Le site de Caours constitue une référence au niveau Européen pour l'approche interdisciplinaire des environnements continentaux interglaciaires pléistocènes. En effet, si la France septentrionale est riche en gisements du Paléolithique moyen, aucun d'entre eux n'avait pu être daté de cet période. Les seuls gisements de plein air contemporains se trouvent en Allemagne où quelques niveaux archéologiques retrouvés dans des tufs d'âge interglaciaire témoignent de la présence de groupes humains durant l'Eémien (environ 131 000 - 114 000 ans) : Gröbern' Rabutz, Grabschutz, Neumarh-Nord... Le site de Caours démontre ainsi que l'Homme de Néandertal était présent en Europe du nord ouest durant les périodes tempérées et n'était pas seulement inféodé à un climat froid et à un environnement ouvert (steppes,...).

Les tufs ont permis une conservation exceptionnelle des restes osseux et des artefacts lithiques. Les premiers témoignent d'une faune adaptée à un climat tempéré et à un environnement boisé où prédominent les cervidés en particulier le cerf, puis le daim et l'aurochs. Le rhinocéros et l'éléphant de prairie sont peu fréquents. Le cheval, le chevreuil, le castor, le sanglier, l'ours brun et la loutre sont également présents mais de manière fugace. Une partie de ces animaux a été chassée non loin, ramenés entiers ou partiellement pour les animaux impossibles à déplacer comme l'aurochs. De nombreux fragments osseux portent des traces de découpes à l'aide d'outils de silex. D'autres sont systématiquement fracturés avec un percuteur afin en récupérer la moelle, très recherchée pour ses qualités nutritives. Il s'agit dans presque tous les cas de fragments d'os longs. La présence de très nombreux os brûlés est à associer avec celle d'aires de combustion.

De nombreux artefacts lithiques, confectionnés à partir des blocs prélevés dans les dépôts alluviaux du Scardon, sont associés à ces restes osseux. L'objectif de la taille de silex semble avoir été la production rapide d'éclats comportant un dos de débitage opposé à un tranchant, adapté à un travail de boucherie. Ces outils apportent des informations essentielles quant à la connaissance des systèmes de production des outils en pierre durant l'interglaciaire Eémien.

(1) Jean-Luc Locht. "Caours" dans Bilan scientifique de la région picarde, DRAC Picardie, 2003, p. 105-106 ; 2005, p. 106-107 ; 2006, p. 110 ; 2008, p. 122-123.

Tahar Ben Redjeb

Transcription

Eric Brisson
Une découverte archéologique exceptionnelle à Caours, près d’Abbeville. Les archéologues de l’INRAP et du CRNS ont mis au jour un site vieux de 125 000 ans. Et ces fouilles prouvent la présence de l’homme de Néandertal dans notre région. Alors avec nous, en direct depuis le site des fouilles, Jean-Luc Locht. Bonjour. Vous êtes archéologue, préhistorien, le responsable du site. C’est réellement une découverte exceptionnelle que vous venez de faire ?
Jean-Luc Locht
Oui, donc nous avons découvert… nous sommes en train de fouiller un site contemporain du dernier interglaciaire avant le nôtre. La préhistoire, c’est une succession de phases glaciaires, de phases interglaciaires. Actuellement, nous sommes dans une phase interglaciaire. Et nous fouillons un site contemporain de l’avant-dernière interglaciaire. Ce sont des sites qui sont extrêmement difficiles à mettre en évidence parce qu’en général, ce type de site a été détruit par les phases érosives de la dernière glaciation. Donc c’est pour nous l’opportunité unique d’appréhender le mode de vie de l’homme de Néandertal dans un espace, dans un environnement similaire à celui que nous connaissons actuellement.
Eric Brisson
Il y a 5 ou 6 sites de ce type seulement en Europe. Celui-là, c’est donc une vraie page d’histoire, un vrai livre d’histoire que vous avez, une encyclopédie, presque, que vous avez sous la main ?
Jean-Luc Locht
Voilà. Il s’agit du seul site de cette période qui n’ait jamais été retrouvé dans le nord de la France. Les autres sites d’âge comparable en plein air se trouvent dans la vallée du Rhin, en Allemagne.
Eric Brisson
Alors qu’est-ce que vous avez découvert. Qu’est-ce que vous avez mis au jour, là ?
Jean-Luc Locht
Donc nous avons mis au jour quatre niveaux d’occupation qui sont constitués par un assemblage de restes osseux et de silex taillés. Les restes osseux proviennent donc de la découpe du gibier par l’homme de Néandertal, et les silex taillés ont été les outils qui ont servi à ce travail.
Eric Brisson
C’est aussi une façon d’apprendre, d’en savoir un petit peu plus sur le mode de vie, donc, de notre lointain cousin, l’homme de Néandertal. Et vous avez découvert, m’avez-vous dit tout à l’heure, ce qu’on pourrait appeler, peut-être, une boucherie de Néandertal ?
Jean-Luc Locht
Effectivement, donc la première interprétation du site dans l’état actuel des données, tend à prouver que le site de Caours est un site de boucherie puisque les animaux, les carcasses d’animaux abattus n’ont pas été apportés entièrement sur le site. Seuls les animaux les plus légers ont été apportés sur le site, entiers. Les animaux les plus lourds tels l’auroch, le rhinocéros ont été apportés en morceaux, si je puis dire. Et nous avons trouvé, sur les ossements, des stries de découpe, liées… laissées par les outils en silex. Donc des stries, des petites marques parallèles qui prouvent que des activités de boucherie ont eu lieu sur le site.
Eric Brisson
Les fouilles se terminent. Le site, vous allez en faire quoi ? Que va-t-il devenir dans les prochains jours, les prochains mois ?
Jean-Luc Locht
Donc pendant l’année qui va venir, le site va être rebouché, et nous espérons revenir l’année prochaine pour poursuivre les investigations. Pendant ce laps de temps, nous allons étudier toutes les données issues de cette campagne de fouille en laboratoire.
Eric Brisson
Merci beaucoup Jean-Luc Locht. Je rappelle que vous êtes archéologue, préhistorien. Vous étiez en direct avec nous depuis le site de Caours où l’on a découvert la présence de l’homme de Néandertal. Nous y reviendrons ce soir, dans notre édition de 19 heures. Merci beaucoup.