Une AOC pour la châtaigne d'Ardèche
Notice
La châtaigne d'Ardèche obtiendra prochainement son AOC. Cette appellation d'origine contrôlée permettra de protéger les producteurs face à la concurrence mais aussi de faire revivre les anciennes châtaigneraies ardéchoises.
Éclairage
Le reportage diffusé sur France 3 a été tourné pendant la phase de validation de l'AOC « Châtaigne d'Ardèche », neuf mois avant sa promulgation par décret le 28 juin 2006, au terme de huit années de gestation. Soutenu par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) qui valide les cahiers des charges des appellations d'origine contrôlée (signe de qualité distinguant un produit qui tire son authenticité et sa typicité de son origine géographique, créé par décret-loi du 30 juillet 1935), le projet a été piloté par le Syndicat des producteurs de châtaigne d'Ardèche en collaboration avec le Comité interprofessionnel de la châtaigne d'Ardèche qui fédère l'ensemble des acteurs de la filière, du fruit frais au produit transformé (châtaignes cuites, crèmes, marrons glacés) tel Christophe Sabaton, qui intervient dans le reportage. Les producteurs interrogés, Michel Grange et François Soubeyrand, sont administrateurs de ces organismes et ont à ce titre été des acteurs de la mise en place du label.
Les enjeux de l'obtention de l'AOC sont proportionnels au puissant lien historique, social et culturel du territoire au fruit lui-même et plus globalement au châtaignier, arbre emblématique de l'Ardèche qui, longtemps, a constitué un élément majeur de son économie. Sa culture et sa diffusion, à partir du XIe siècle, ont pour origine les communautés de moines cisterciens établies sur le massif du Tanargue (sud-ouest du département actuel) qui maîtrisaient les techniques de greffe indispensables à la multiplication des variétés. Tout d'abord implantée au centre et dans la partie méridionale de l'Ardèche, la châtaigneraie gagne l'ensemble des pentes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle constitue dès lors l'un des piliers de l'économie rurale : outre ses fruits, l'arbre, dont le bois est imputrescible, est utilisé pour la menuiserie et l'ébénisterie, le chauffage ; ses feuilles garnissent les matelas. Pourtant, à la fin du XIXe siècle, l'économie ardéchoise s'effondre : le phylloxera détruit le vignoble, la pébrine ravage les éducations de vers à soie et la maladie de l'encre (champignon parasite) affecte la châtaigneraie, autant de phénomènes qui contribuent à accélérer l'exode rural et sonnent le glas de la civilisation du châtaignier. Largement infectée et en partie abandonnée, elle est encore exploitée jusqu'aux années 1960 pour ses tanins (teinture de la soie et du cuir), accélérant la réduction de sa superficie qui, entre 1860 et 1914, est divisée par deux. La reconquête, dans les années 1970, est principalement le fait des néo-ruraux ; ils remettent en état une petite partie de l'ancien verger, aidés à partir de 1976 par la mise sur le marché de traitements efficaces contre le chancre, qui l'a attaquée dans les années 1950.
Le reportage attire l'attention sur l'un des phénomènes qui, pour les consommateurs, occulte la visibilité et la spécificité des châtaignes d'Ardèche, que l'AOC est censé lever : la confusion entre les variétés traditionnelles désormais protégées et les variétés hybrides, particulièrement la M15 créée pour contourner les problèmes phytosanitaires de l'arbre. Cultivées en vergers intensifs de plaine, de production rapide, offrant des fruits précoces de gros calibre, elles sont vendues plus cher que les variétés traditionnelles, même si elles n'ont pas leur qualité gustative, et sont souvent proposées sous l'appellation “Châtaignes d'Ardèche”. Une autre séquence présente des images de l'un des marchés à la châtaigne hebdomadaires qui se tiennent à la saison de la récolte, celui de Lamastre (partie nord de la zone castanéicole). Les transactions s'y concluent sans marchandage, sans discussion, selon un rituel qui en réalité met en jeu les lois de l'offre et de la demande. Ce sont souvent des retraités qui vendent sur ces marchés ; sans entretenir leur châtaigneraie, ils ramassent les fruits et bénéficient d'un complément de revenu tout en goûtant la sociabilité procurée par l'événement. Les castanéiculteurs, eux, vendent en majorité à des intermédiaires (coopératives et négociants) 60 à 80% de leur production à destination de la France et de l'Europe du nord ; de plus en plus nombreux, ils pratiquent parallèlement la vente directe “à la ferme” qui permet de valoriser la production culturellement et économiquement.
L'AOC « Châtaigne d'Ardèche » s'applique à soixante-cinq variétées ardéchoises, sous forme de châtaignes fraîches, sèches entières, entières épluchées, brises, farine et purée produites sur 6 000 hectares des 30 000 que recouvre aujourd'hui la châtaigneraie. Pour obtenir le label, qui n'est pas obligatoire sur le territoire délimité, les producteurs doivent se conformer à un cahier des charges définissant les conditions de production (le rendement des châtaigneraies ne doit pas dépasser cinq tonnes de fruits frais à l'hectare), de récolte, de conditionnement, de transformation, de commercialisation et d'agrément du produit. Son attribution révèle la profonde mutation du statut de la châtaigne en Ardèche, hier aliment du paysan des pentes et de son bétail, aujourd'hui produit de qualité enraciné à un terroir. Dans la dénomination même de l'AOC, la châtaigne évince symboliquement le marron, substantif évocateur de luxe (marron glacé) qui désigne cependant le même fruit, provenant des mêmes arbres : le marron est une châtaigne non cloisonnée. Contrairement à d'autres AOC (vins, huiles d'olive...) pour lesquelles la conformité aux cahiers des charges est parfois accusée de gommer les caractéristiques de micro-terroirs, l'AOC “Châtaigne d'Ardèche” valorise une production saisie dans sa variété, participe à la professionnalisation de l'activité des castanéiculteurs et, plus largement, à la fabrication d'un sentiment d'appartenance territorial et culturel.
Bibliographie :
- Lucie Dupré, Du marron à la châtaigne d'Ardèche, la relance d'un produit régional, Paris, éditions du CTHS , 2002.
Voir le site internet pour connaître le Syndicat des Producteurs de«Châtaigne d'Ardèche» (SPCA) et le Comité Interprofessionnel de la «Châtaigne d'Ardèche» (CICA).