Le tâta sénégalais

12 novembre 2004
03m 53s
Réf. 00081

Notice

Résumé :

La cérémonie du 11 novembre rend un hommage aux 188 tirailleurs sénégalais morts pour la France en juin 1940. Inauguré en 1942 sur les lieux du massacre, le cimetière de Chasselay est l'unique cimetière africain de France.

Date de diffusion :
12 novembre 2004
Source :

Éclairage

Diffusé au lendemain du 11 novembre 2004, ce reportage est consacré aux cérémonies qui ont été organisées autour du tata ou cimetière de tirailleurs dits sénégalais tués au combat ou exécutés par les Allemands dans des conditions horribles (mitraillés puis écrasés par des chenilles) les 19 et 20 juin 1940 dans la commune de Chasselay au nord de Lyon. Les intervenants, porte-parole de diverses associations africaines, mettent l'accent sur la nécessité de rendre justice à la mémoire de ces 188 jeunes africains engagés dans les tirailleurs sénégalais pour former à la hâte un régiment, puis envoyés au combat dans une évidente improvisation. Le corps des tirailleurs sénégalais avait été imaginé en 1857 par le général Faidherbe, gouverneur du Sénégal, pour réaliser les conquêtes coloniales en Afrique de l'ouest. Il incorpore à l'origine des Sénégalais. Progressivement d'autres Africains s'engagent mais le terme de tirailleurs sénégalais est conservé bien que les Sénégalais soient une minorité parmi des soldats qui viennent de tous les territoires de l'Afrique occidentale française (AOF) et de l'Afrique équatoriale française (AEF) : Mauritanie, Sénégal, Guinée, Côte d'Ivoire, Soudan (Mali), Haute-Volta (Burkina Faso), Dahomey (Bénin), Togo, Niger, Tchad, Centrafrique, Cameroun, Gabon et Congo. Au-delà des enjeux mémoriels de novembre 2004 - nous sommes au début de la polémique causée par un projet de loi destiné à l'enseignement des aspects positifs de la colonisation - la séquence peut être l'occasion de rappeler l'importance du recours aux colonisés, ici Africains noirs, ailleurs Nord-africains, Antillais, Indochinois, Malgaches, Réunionnais, originaires du Pacifique pour combattre dans les deux guerres mondiales. Leur participation à la Deuxième guerre ne s'est pas limitée à la libération du territoire national telle qu'elle a été popularisée par le film de fiction Indigènes. Ils ont aussi joué un rôle important en 1940 comme on le voit ici (près de 108 000 participent à la campagne de France). On estime à environ 5 000 le nombre d'Africains et Malgaches dans les Forces Françaises de l'Intérieur (FFI), sans compter la participation de petits groupes à différents maquis de la Résistance française, par exemple dans l'Oisans et le Vercors (une cinquantaine de tirailleurs sénégalais).

Présentée comme une redécouverte récente, l'histoire des tirailleurs enterrés à Chasselay n'a en fait jamais laissé insensible même si on peut discuter des motifs qui ont nourri cet intérêt. Sur le moment des habitants commencent à enterrer les victimes. Puis Jean Marchiani, secrétaire général de l'Office départemental des Mutilés, Combattants, Victimes de la Guerre et Pupilles de la Nation du Rhône, fait procéder dans les jours qui suivent les événements à un recensement aussi précis possible des victimes d'origine africaine. C'est lui qui décide d'acheter à Chasselay le terrain où ont été tués une cinquantaine de tirailleurs et où il fait transporter les autres corps retrouvés. Le tata tel qu'on peut le voir, avec son décor exotique qui n'est pas sans rappeler celui des expositions coloniales, est inauguré le 8 novembre 1942, trois jours avant l'occupation allemande, dans le cadre de la propagande de Vichy en faveur de l'Empire. A la Libération, un hommage solennel est à nouveau rendu le 24 septembre 1944, puis la commémoration annuelle passe au second plan. L'épisode est ramené dans l'actualité par un film documentaire de Patrice Robin et Eveline Berruezo, Le Tata (1992), fondé sur une collecte de témoignages. Mais sa programmation sur les chaînes de la télévision publique se heurte d'abord à une inertie qui témoigne du malaise persistant devant des paroles et des images qui rappellent le paternalisme ambigu du colonisateur français, a fortiori la détestation raciste et criminelle du nazisme à l'égard des Africains.

La venue en débat de ce passé à la fin des années 1990, à travers des polémiques sur le bilan colonial ou l'absence de reconnaissance envers les soldats coloniaux (pensions militaires), incite des scientifiques à reprendre ce dossier (mémoires universitaires d'histoire). Quelques documentaires contribuent à toucher un public plus vaste : Le cimetière Tata, mémoires des tirailleurs sénégalais, de Rafael Gutierrez et Dario Arce, TLM, 2007 ; Mémoires de soldats oubliés, Eric Blanchot et association Le Grain, 2005).

Bibliographie :

- Isabelle Bournier, Marc Pottier, Paroles d'indigènes : les soldats oubliés de la Seconde guerre mondiale, Paris, Librio, 2006.

- Jean-Yves Le Naour, La honte noire : l'Allemagne et les troupes coloniales françaises, 1914-1945, Paris, Hachette, 2003.

- Julien Fargettas, Le massacre des soldats du 25ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais- Région lyonnaise - 19 et 20 juin 1940, Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine-Université Jean Monnet (Saint-Etienne), 1998-1999.

Claude Prudhomme

Transcription

Journaliste
En sénégalais, Tata signifie "la terre sacrée". Le Tata de Chasselay est une nécropole unique en France. Inauguré le 9 novembre 42, en lieu et place du massacre des tirailleurs, d’une partie tout du moins. Car les combats ont aussi fait rage dans les villages avoisinants apportant leur lot de victimes africaines dont voici en partie reconstituée l’histoire.
Christophe Lokossou
Ils viennent de, surtout des pays de l’Afrique francophone, je peux dire que ici, nous avons des Sénégalais bien sûr, on a des Guinéens, des Maliens, des soldats du Burkina Faso, du Niger, ils viennent un peu de tous les pays de l’Afrique francophone. On a aussi ici des Dahoméens, donc des Béninois actuels on va dire.
Michel Evieux
Le 25ème RTS dont, qui les regroupait ici avait été formé deux mois avant et venait de Valence et ont été mis sur le front, entre guillemets, dans des conditions précaires pour eux, ils étaient à peine formés. Ils appartenaient bon, à ce qu’on appelle les régiments de tirailleurs sénégalais avec un esprit de corps, mais ils étaient à la fois tout jeunes et récemment incorporés.
Christophe Lokossou
Et comme déjà les nazis craignaient la force africaine et puis surtout leur bravoure et leur ténacité, ce qui s’est passé c’est que les ayant pris de court, il fallait les massacrer plus que les fusiller. Et donc leur mort a été une mort tout à fait atroce.
(Musique)
Journaliste
Le Tata n’a jamais été aussi fréquenté. Au premier rang, les associations africaines de la région qui depuis des années font vivre cette journée, et les élus. L’heure est au souvenir, au recueillement mais il est des absences qui font mal et le cœur ne peut s’empêcher de parler.
Robert Batailly
En ma modeste qualité de consul du Sénégal, je déplore sincèrement d’être le seul représentant des autorités consulaires. Je considère l’absence de mes collègues comme une démission et je vous demande au nom des Français, humblement pardon pour cette carence qui devient année après année impardonnable. Merci.
Journaliste
Consuls, ambassadeurs ou chefs d'Etat se font rares à Chasselay. Il y a de la déception et de l’amertume aussi. On le sait, les pensions versées à ceux d’Afrique qui ont donné leur sang pour la France sont bien modestes comparées à celles des soldats d’ici. Et au moment du repas, les Africains reparlent de tout cela bien sûr, ils feignent aussi de masquer leur tristesse.
Hortense Augé
Quelqu’un qui est mort pour nous, c’est, bon, on ne le voit plus physiquement mais son esprit est toujours avec nous. Donc on accompagne toujours les morts avec la joie, avec la fête.
Journaliste
Ils ont bien du mal à comprendre l’oubli de la France à leur égard. Que représentait le drapeau français pour eux ?
Diouf Sikhe
Mais c’était… la patrie. C’était la patrie, et ma foi, ils venaient pour quand même défendre la patrie française.
DiaPapa Amadou
Ils étaient enrôlés parce que ils étaient fils de français, on les a obligé à venir, ils sont aussi venus. Mais en même temps, c’était dans la tradition de dire que quand ton voisin est dans la peine, le voisin se lève et défend aussi les intérêts du voisin. Donc ils sont venus en pensant que, ils défendaient, ils défendaient quelqu’un.
Journaliste
Cette année encore, Français et Africains, unis dans un travail de mémoire, vont s’efforcer de reconstituer le puzzle de ces journées sanglantes des 19 et 20 juin 1940. Car au cimetière sénégalais de Chasselay reposent encore des soldats inconnus, des soldats fusillés puis écrasés sous les chars allemands le long de la route départementale 100 qui relie Chasselay au petit village de Léchère, Léchère, le bien nommé.
(Musique)