Le tâta sénégalais
Notice
La cérémonie du 11 novembre rend un hommage aux 188 tirailleurs sénégalais morts pour la France en juin 1940. Inauguré en 1942 sur les lieux du massacre, le cimetière de Chasselay est l'unique cimetière africain de France.
Éclairage
Diffusé au lendemain du 11 novembre 2004, ce reportage est consacré aux cérémonies qui ont été organisées autour du tata ou cimetière de tirailleurs dits sénégalais tués au combat ou exécutés par les Allemands dans des conditions horribles (mitraillés puis écrasés par des chenilles) les 19 et 20 juin 1940 dans la commune de Chasselay au nord de Lyon. Les intervenants, porte-parole de diverses associations africaines, mettent l'accent sur la nécessité de rendre justice à la mémoire de ces 188 jeunes africains engagés dans les tirailleurs sénégalais pour former à la hâte un régiment, puis envoyés au combat dans une évidente improvisation. Le corps des tirailleurs sénégalais avait été imaginé en 1857 par le général Faidherbe, gouverneur du Sénégal, pour réaliser les conquêtes coloniales en Afrique de l'ouest. Il incorpore à l'origine des Sénégalais. Progressivement d'autres Africains s'engagent mais le terme de tirailleurs sénégalais est conservé bien que les Sénégalais soient une minorité parmi des soldats qui viennent de tous les territoires de l'Afrique occidentale française (AOF) et de l'Afrique équatoriale française (AEF) : Mauritanie, Sénégal, Guinée, Côte d'Ivoire, Soudan (Mali), Haute-Volta (Burkina Faso), Dahomey (Bénin), Togo, Niger, Tchad, Centrafrique, Cameroun, Gabon et Congo. Au-delà des enjeux mémoriels de novembre 2004 - nous sommes au début de la polémique causée par un projet de loi destiné à l'enseignement des aspects positifs de la colonisation - la séquence peut être l'occasion de rappeler l'importance du recours aux colonisés, ici Africains noirs, ailleurs Nord-africains, Antillais, Indochinois, Malgaches, Réunionnais, originaires du Pacifique pour combattre dans les deux guerres mondiales. Leur participation à la Deuxième guerre ne s'est pas limitée à la libération du territoire national telle qu'elle a été popularisée par le film de fiction Indigènes. Ils ont aussi joué un rôle important en 1940 comme on le voit ici (près de 108 000 participent à la campagne de France). On estime à environ 5 000 le nombre d'Africains et Malgaches dans les Forces Françaises de l'Intérieur (FFI), sans compter la participation de petits groupes à différents maquis de la Résistance française, par exemple dans l'Oisans et le Vercors (une cinquantaine de tirailleurs sénégalais).
Présentée comme une redécouverte récente, l'histoire des tirailleurs enterrés à Chasselay n'a en fait jamais laissé insensible même si on peut discuter des motifs qui ont nourri cet intérêt. Sur le moment des habitants commencent à enterrer les victimes. Puis Jean Marchiani, secrétaire général de l'Office départemental des Mutilés, Combattants, Victimes de la Guerre et Pupilles de la Nation du Rhône, fait procéder dans les jours qui suivent les événements à un recensement aussi précis possible des victimes d'origine africaine. C'est lui qui décide d'acheter à Chasselay le terrain où ont été tués une cinquantaine de tirailleurs et où il fait transporter les autres corps retrouvés. Le tata tel qu'on peut le voir, avec son décor exotique qui n'est pas sans rappeler celui des expositions coloniales, est inauguré le 8 novembre 1942, trois jours avant l'occupation allemande, dans le cadre de la propagande de Vichy en faveur de l'Empire. A la Libération, un hommage solennel est à nouveau rendu le 24 septembre 1944, puis la commémoration annuelle passe au second plan. L'épisode est ramené dans l'actualité par un film documentaire de Patrice Robin et Eveline Berruezo, Le Tata (1992), fondé sur une collecte de témoignages. Mais sa programmation sur les chaînes de la télévision publique se heurte d'abord à une inertie qui témoigne du malaise persistant devant des paroles et des images qui rappellent le paternalisme ambigu du colonisateur français, a fortiori la détestation raciste et criminelle du nazisme à l'égard des Africains.
La venue en débat de ce passé à la fin des années 1990, à travers des polémiques sur le bilan colonial ou l'absence de reconnaissance envers les soldats coloniaux (pensions militaires), incite des scientifiques à reprendre ce dossier (mémoires universitaires d'histoire). Quelques documentaires contribuent à toucher un public plus vaste : Le cimetière Tata, mémoires des tirailleurs sénégalais, de Rafael Gutierrez et Dario Arce, TLM, 2007 ; Mémoires de soldats oubliés, Eric Blanchot et association Le Grain, 2005).
Bibliographie :
- Isabelle Bournier, Marc Pottier, Paroles d'indigènes : les soldats oubliés de la Seconde guerre mondiale, Paris, Librio, 2006.
- Jean-Yves Le Naour, La honte noire : l'Allemagne et les troupes coloniales françaises, 1914-1945, Paris, Hachette, 2003.
- Julien Fargettas, Le massacre des soldats du 25ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais- Région lyonnaise - 19 et 20 juin 1940, Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine-Université Jean Monnet (Saint-Etienne), 1998-1999.