L'affaire Finaly
Notice
Retour sur l'affaire Finaly qui passionna la France de l'après guerre. Deux enfants juifs furent adoptés pendant la Seconde Guerre par la très catholique Mademoiselle Brun, qui refusa ensuite de les rendre. De retour en France 40 ans après les faits, les enfants, devenus adultes, racontent.
- Rhône-Alpes > Isère > Grenoble
Éclairage
Cette séquence du journal d'Antenne 2 est introduite par deux journalistes qui énoncent des affirmations surprenantes. Le premier, Henri Sannier, justifie l'information par la commémoration de la Shoah cinquante ans après « jour pour jour ». Il veut sans doute parler du début de la révolte du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943. Sa consœur fait ensuite un résumé très approximatif de ce qui fut appelé l'Affaire Finaly, un fait divers devenu une cause nationale et internationale et constitua un moment crucial dans les rapports entre juifs et catholiques au lendemain de la guerre.
L'affaire Finaly se déroule de 1945 à 1953 et concerne la garde de deux enfants juifs. Fritz Finaly, médecin juif autrichien et sa femme Annie s'étaient réfugiés à La Tronche, aux portes de Grenoble pour échapper à l'Anschluss (1938). Ils donnent naissance à deux enfants : Robert en 1941 et Gérald en 1942. Les enfants sont circoncis et se voient attribuer comme second prénom des prénoms hébraïques. Le 14 février 1944, les époux Finaly sont arrêtés par la Gestapo et déportés à Auschwitz où ils meurent.
Se sentant menacés, les parents avaient confié les enfants à la pouponnière Saint-Vincent de Paul à Meylan, près de La Tronche, mettant une de leurs amies dans le secret. Celle-ci demande l'aide du couvent des religieuses de Notre-Dame de Sion à Grenoble. En raison de l'âge des enfants, les religieuses les confient à une résistante, fervente catholique, Mademoiselle Antoinette Brun, directrice d'une crèche municipale à Grenoble.
À la fin de la guerre, en février 1945, Margaret Fischl, sœur du docteur Finaly qui vit en Nouvelle-Zélande, se met à la recherche de ses neveux. Elle demande à un ancien résistant, Moïse Keller, de l'aider dans ses démarches. Une belle-sœur, qui rentre en Autriche, vient à Grenoble et rend visite aux enfants.
Mademoiselle Brun refuse de les restituer, se fait nommer légalement tutrice des deux enfants « à titre provisoire » et les fait baptiser le 28 mars 1948. Madame Fischl et sa sœur font alors porter l'affaire en justice. Après une longue procédure la justice française ordonne le 29 janvier 1953 que la garde des enfants soit donnée à leur famille, et décide l'arrestation de Mademoiselle Brun pour séquestration d'enfants.
Entre temps, le Consistoire central du judaïsme intervient auprès des autorités politiques et religieuses et alerte la presse. Mais les deux enfants ont disparu. La congrégation de Notre-Dame de Sion a organisé leur dissimulation avec la complicité de couvents et de collèges catholiques, le dernier à Bayonne. Les enfants sont reconnus par le directeur du collège mais, avant que la police n'intervienne, des prêtres hostiles à la décision de justice les font passer au Pays basque espagnol.
L'affaire prend alors une dimension internationale et met gravement en cause l'Eglise catholique. Germaine Ribière, résistante catholique qui a sauvé des Juif pendant la guerre est choisie pour servir d'intermédiaire entre les parties. Le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, négocie avec le grand-rabbin Kaplan et avec la famille. Le 6 mars 1953, un accord est signé au terme duquel les deux enfants doivent être restitués. En contrepartie, la famille s'engage à retirer ses plaintes. Le grand-rabbin se porte garant de ce retrait. En juin 1953 les enfants retrouvent leurs familles et rejoignent Israël.
La trace laissée par cette affaire est telle qu'elle a encore donné lieu à deux livres en 2006, trois films en 2008 et à Grenoble, en 2009, à une rencontre avec un débat public passionné auxquels participaient les (anciens) enfants et divers témoins. Son écho s'explique à la fois par le contexte et la personnalité des acteurs. Le dévouement de l'assistance à des juifs en opération de conversion forcée de jeunes enfants est perçue après guerre comme une résurgence des persécutions antisémites et la démonstration de la responsabilité catholique dans l'antisémitisme. Le refus d'appliquer une décision de justice ajoute au discrédit de l'Eglise catholique soupçonnée de vouloir échapper à la loi dès lors qu'elle ne peut plus l'imposer. Quant au motif théologique, selon lequel la préservation de la foi d'enfants baptisés implique qu'ils reçoivent une éducation catholique, il est d'autant moins recevable que le baptême tardif des enfants apparaît comme un prétexte pour ne pas les rendre.
Mais l'affaire se complique du fait de la personnalité atypique des principaux acteurs catholiques : Mademoiselle Brun est une résistante et une catholique controversée ; les religieuses appartiennent à une congrégation fondée au XIXe siècle par des juifs convertis au catholicisme, qui a contribué à cacher et sauver des juifs pendant la guerre. Quant au clergé basque impliqué, il est peu suspect de sympathies franquistes contrairement à ce qui fut insinué sur le moment.
Elle intervient enfin au moment où les rapports entre juifs et catholiques sont marqués par une volonté de dialogue qu'illustre la naissance de l'Amitié judéo-chrétienne en 1948 sous l'impulsion de l'historien juif Jules Isaac, co-auteur de manuels d'histoire à succès. Douloureuse dans l'immédiat, l'affaire va finalement être un stimulant. Elle oblige le catholicisme à reconnaître un lien historique entre antijudaisme catholique et antisémistisme raciste. Elle le conduit à redéfinir sa relation au judaïsme et à entrer dans une logique de dialogue, position affirmée au Concile Vatican II, après avoir privilégié jusque là la volonté de conversion à la « vraie foi ».
Bibliographie :
- Madeleine Comte, Sauvetages et baptêmes. Les religieuses de Notre-Dame de Sion face à la persécution des Juifs en France, Paris, L'Harmattan, 2001.