La fin des mines de la Mure

19 avril 1997
10m 08s
Réf. 00463

Notice

Résumé :

Le 28 mars 1997 les mines de La Mure en Isère fermaient définitivement. Les "gueules noires" du plateau Matheysin sont alors descendues une dernière fois dans la mine.

Type de média :
Date de diffusion :
19 avril 1997

Éclairage

La fermeture définitive des Mines de la Mure, en Isère, le 30 mars1997, met un terme à près de deux siècles d'exploitation minière (sous une forme intensive, des traces d'exploitation artisanale et domestique étant attestées dès le Moyen Age) et à près de 30 ans de luttes contre cette décision. Situées sur le plateau Matheysin, à 900 m d'altitude entre Grenoble et Gap, les Mines de la Mure ont façonné profondément la société de cette région de montagne. On en extrait un anthracite de grande qualité, dont la commercialisation est facilitée par la mise en service en 1888 de la ligne de chemin de fer (électrifiée dès 1903) qui relie La Mure à la vallée.

Géré par plusieurs sociétés dans la première moitié du 19ème siècle, l'exploitation du bassin est progressivement regroupée au sein de La Compagnie des mines de la Mure, créée en 1856, propriété des familles Giroud, Chaper et de Reneville. En 1947, lors de la nationalisation des Houillères, le site revient aux Houillères du Bassin du Dauphiné, la plus petite des houillères des Charbonnages de France. Son premier président, Louis Mauberret, est mineur et militant communiste, signe du poids de la mobilisation ouvrière en faveur de la nationalisation. Fortement syndiqués, principalement à la CGT, les mineurs des Mines de la Mure forment un milieu très revendicatif, que ce soit pour améliorer localement les conditions de travail ou pour soutenir les actions nationales dont la grande grève de 1963. Dès 1960, le plan dit Jeanneney programme le déclin de l'activité charbonnière française, la politique énergétique nationale s'orientant alors vers le pétrole. A la Mure, l'intensification du travail et la modernisation technique ont permis une augmentation continue de la production qui culmine en 1966. Les paysans-mineurs ont peu à peu laissés place aux mineurs « tout court », amenant dans ce rude pays nombres de migrants, Italiens, Maghrébins, Turcs, au fil de vagues successives. En 1968, une première annonce de fermeture du site provoque une vive mobilisation des syndicats. Le choc pétrolier de 1974 permet un premier sursis et une reprise des embauches. En 1981, l'arrivée de la gauche au pouvoir s'accompagne d'une éphémère relance charbonnière qui repousse une nouvelle fois l'échéance. Une nouvelle mobilisation de l'ensemble des forces sociales et politiques du plateau permet d'obtenir un nouveau sursis en 1992, accompagné d'un plan de ré-industrialisation (aux effets malheureusement limités). En 2007, la décision est cette fois effective et la page de la mine est définitivement tournée.

Anne Dalmasso

Transcription

(Bruit)
Jean-Paul Creton
Qu’est-ce qu’ils vont faire en 75, ils parlaient déjà de fermeture. Et en 5 ans, en 5 ans, on a pu faire reculer un peu. Et on est arrivé là. Mais cette fois-ci, c’est terminé. Ils ont décidé de mettre la clef sous la porte. Là, ils y sont arrivés.
(Musique)
Journaliste
La mine actuelle produit journellement 2200 tonnes. Elle occupe 800 ouvriers au jour et 1400 au fond. A la roulotte des postes, entrants et sortants se croisent et donnent de l’animation au carreau.
(Musique)
Journaliste
La mine, il y a tout juste 40 ans. A cette époque, on ne parle pas encore de fermeture mais plutôt de développement. L’avenir à la forme d’une pépite d’anthracite très pure, un minerai qui fait la richesse de cette région de moyenne montagne, située à 1000 mètres d’altitude, à 40 km au sud de Grenoble. C’est Napoléon qui, en 1806, accorda ici les premières concessions. Par la suite, la production va progresser pour atteindre son record, 791 000 tonnes en 1966. La plus petite des mines de charbonnage de France, la plus singulière aussi par sa situation géographique et par la qualité exceptionnelle de son gisement.
(Musique)
Intervenant 1
Les réserves permettront au feu noir de jaillir encore plus de deux siècles.
Journaliste
Pourtant, 10 ans plus tard, en 1968, on annonce officiellement, et pour la première fois, la fermeture prochaine de la mine. C’est le début de la fin d’une époque.
(Bruit)
Journaliste
Jusqu’en 1974, la mine n’embauche plus, les effectifs et l’activité diminuent. Les grèves se succèdent. Malgré les deux chocs pétroliers de 74 et 79, qui entraînent un redémarrage de la production, les houillères du bassin Centre Midi, orientent leur plan d’arrêt définitif pour 1993.
(Bruit)
Pierre Bérégovoy
Continuez naturellement votre travail et nous continuerons, pour notre part, à faire le nôtre. Je vous remercie.
Journaliste
Coup de théâtre, en octobre 92, le gouvernement de Pierre Bérégovoy donne son accord pour la poursuite de l’activité pendant 5 ans. Un délai qui permet de maintenir près de 300 emplois à la mine. C’est le point d’orgue de plusieurs années de luttes menées par les mineurs et par l’ensemble des élus, quelque soit leur appartenance politique.
Didier Migaud
Si on a gagné en 92, c’est parce qu’on était déterminé. Et qu’en ce qui me concerne, malgré le fait que ce soit un gouvernement de gauche, moi, je me suis montré déterminé dans l’action. Je pense qu’effectivement, c’est une spécificité qui nous a permis de gagner beaucoup de combats, à la fois pour la mine ; mais également pour l’implantation d’autres entreprises sur le secteur. Parce que, d’une certaine façon ça étonnait, le fait de voir tous les élus, quelque soit leur sensibilité, d’être toujours ensemble pour défendre la Matheysine aux côtés des mineurs, aux côtés de la population.
(Musique)
Journaliste
Quelques mois après l’annonce de Pierre Bérégovoy, la décision finale se confirme, par la voix de Gérard Longuet, nouveau ministre de l’économie. Il fixe de façon définitive l’arrêt de la production en 1997. Il reste alors 4 ans pour préparer l’économie de la région à cette profonde mutation. Dans une conjoncture difficile, le plateau Matheysin tout entier se mobilise pour l’emploi, mais plus largement, pour le maintien des services publics. Au cœur de ce nouveau combat, la maternité de la Mure, menacée de disparition. Toutes les énergies se rassemblent pour s’opposer à ce nouveau coup dur, la résistance s’organise et l’écho de cette lutte, un peu désespérée, se propage bien au-delà de la région.
(Bruit)
Claude Péquignot
Nous étions arrivés à un moment où le dialogue, s’il n’avait jamais existé avec les pouvoirs publics, était devenu totalement impossible sur le problème de la maternité. Nous avions eu des problèmes évidents de sécurité de la population, qui étaient posés par la fermeture de ce service. Et nous n’arrivions pas à nous faire entendre. Il y a eu un certain nombre d’actions et l’action ultime, c’était de dire, tous les conseils municipaux démissionnent. Cela n’était pas la démission des maires seulement. C’était les maires et les conseils municipaux, ce qui avait permis même, de considérer, pour certains, que 400 élus Matheysins avaient rendu le tablier. A cette époque-là, cette démission a engendré immédiatement l’envoi d’un émissaire gouvernemental pour venir juger de la situation sur le terrain. Elle a entraîné, entre autres, parce que nous n’avons pas été les seuls à mobiliser une manifestation, il y avait près de 8000 personnes ; et à partir de là, un certain nombre de gens qui fuyaient la discussion avec nous, ont été bien obligés de la prendre. Et puis, dans les faits, la maternité n’a pas réouvert. En ce qui concerne la mine, nous avions rencontré les mêmes blocages dans les discussions sur un certain nombre de perspectives pour la région, sur un certain nombre de perspectives également pour les mineurs. Nous avons également eu un drame à la mine qui nous a amenés une deuxième fois à démissionner. Et à ce moment là, la deuxième démission n’avait pas du tout la même tonalité que la première. Il était à la fois l’expression d’une amertume personnelle des différents élus ; et en même temps, elle prenait un ton beaucoup plus dur vis-à-vis des gens, à l’égard de qui on démissionnait que la première.
(Bruit)
Journaliste
Sur le carreau, les mineurs ont vécu la fermeture successive des chantiers. Un peu moins nombreux de jours en jours, reproduisant les gestes rituels comme si rien ne devait se passer. Les dernières semaines, ils étaient une douzaine à descendre au fond le matin, la moitié seulement au moment de la relève avec pour ceux qui finiraient leur carrière ici, la perspective de refermer bientôt ces galeries. Pour les autres des questions plein la tête quant à leur avenir.
(Bruit)
Hubert Pol
On vit une situation qui est assez pénible au niveau psychologique, à tous les niveaux, mais je ne conçois pas de partir. Je ne conçois pas une mutation. Vivre ailleurs quel avenir, pour moi, il n’en est pas question. Une reconversion avec ce qui se passe au niveau des licenciements, au niveau de l’emploi aujourd’hui dans le pays, c’est pareil. Je ne sais vraiment pas faire, j’attends.
(Bruit)
Jean-Pierre Aubert
Mais vos contrats de travail prévoient l’habitation, possible. Certes, vous ne l’imaginiez pas quand vous êtes embauché qu’elle jouerait, mais c’est inscrit dans le contrat de travail. Mais, je tenais quand même à rappeler que la mutation, ce n’est pas ni la déportation, ni l’abandon des garanties qui sont les vôtres, auxquelles vous êtes légitimement attachés ; mais au contraire, la poursuite et la garantie complète de les avoir jusqu’au bout de votre vie professionnelle. Il ne faut pas détourner les choses.
Inconnu 1
Grosso modo, vous ne nous avez encore pas démontré officiellement qu’il n’y a pas de charbon dans les…
Journaliste
Jean-Pierre Aubert, inspecteur général de l’Industrie et du Commerce. En juillet 96, il est chargé par Franck Borotra, ministre de l’industrie, d’une double mission: la reconversion industrielle du plateau Matheysin et l’accompagnement social lié à la fermeture des houillères du Dauphiné. Chaque mois, il a rencontré les mineurs, ensemble ou en privé, pour évoquer leur avenir.
Jean-Pierre Aubert
Il n’est jamais simple de convaincre de la nécessité d’une fermeture. Il est normal que ça soit difficile pour les uns et pour les autres qui ont vécu et qui vivent cette situation encore. Ce n’est pas du domaine du pur argument, c’est du domaine de la compréhension d’une situation. Et donc, d’amener les gens à voir qu’il y a un avenir malgré cette fin d’une période qui a marqué leur vie professionnelle comme leur vie personnelle.