Les ordonnances Jeanneney

01 août 1967
06m 52s
Réf. 00009

Notice

Résumé :

L'histoire de la Sécurité sociale est marquée par 3 grandes dates : 1945, 1967, et 1996. Les trois fois, la Sécurité sociale a été réformée par voie d'ordonnances. Les ordonnances de 1967 modifient l'organisation de la Sécurité sociale et créent les 4 Caisses nationales du Régime général : la Cnam, la Cnaf, la Cnav et l'Acoss.

Date de diffusion :
01 août 1967
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )
Personnalité(s) :

Éclairage

Les ordonnances de 1967 sont restées dans l'histoire de la Sécurité sociale sous le nom de leur auteur : Jean-Marcel Jeanneney, ministre des Affaires sociales.

Les 4 ordonnances du 21 août 1967, dites ordonnances Jeanneney, marquent la deuxième des trois grandes dates de la Sécurité sociale, les deux autre étant 1945 et 1996. Il est particulier, pour ne pas dire symptomatique que, en ces trois occasions, ce soit par le biais d'ordonnances que la Sécurité sociale connaît ses plus grandes réformes.

La première et la plus importante de ces ordonnances (n° 67-706) introduit trois grandes innovations dans l'organisation administrative et financière du Régime général de Sécurité sociale : la séparation des risques, la gestion paritaire des caisses, la création de trois Caisses nationales : la Cnam, la Cnav et la Cnaf. Ces caisses nationales sont dotées de responsabilités étendues, et en particulier celle de prendre toutes mesures pour assurer l'équilibre des recettes et des dépenses. Mais force est de constater que ce pouvoir donné aux partenaires sociaux, gestionnaires des organismes, n'a dans les faits jamais été utilisé par ces derniers. Deux explications peuvent expliquer la non utilisation de ce pouvoir. La première est que, face aux crises financières récurrentes de la Sécurité sociale, les partenaires sociaux ont préféré que ce soit l'Etat qui assume les mesures « désagréables » à prendre. La seconde est que, dans un domaine aussi important - tant politiquement que financièrement - que celui de la Sécurité sociale, l'Etat de toute façon ne peut que garder la main. Dès lors, les partenaires sociaux ne peuvent qu'être réduits à un rôle de quasi spectateur. La réalité est sans doute une combinaison linéaire de ces deux explications.

Une autre grande innovation de ces ordonnances est la création de l'Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (Acoss), qui devait être la caisse nationale du recouvrement. Mais les ordonnances en décidèrent autrement. D'une part, le titre de Caisse nationale ne lui a pas été donné, d'autre part les ordonnances limitèrent le rôle de l'Acoss à la seule gestion de la trésorerie commune des trois branches dépensières. Bien qu'assurant la remontée des fonds depuis les Urssaf, l'Acoss n'avait quasiment aucun pouvoir sur ces dernières. Il fallut attendre la loi du 25 juillet 1994, pour que l'Acoss ait enfin les pouvoirs d'une Caisse nationale vis-à-vis de ses organismes locaux. En confiant à l'Acoss la gestion de la trésorerie commune, les ordonnances Jeanneney se sont considérablement affaiblies. En effet les gouvernements, dans le cas de difficultés financières, se sont contentés de vérifier que la trésorerie totale était à flot. Ainsi les excédents de la Cnaf ont-ils, dans les faits, servis à payer les retraites et l'Assurance maladie.

Les ordonnances de 1967 ont comporté de multiples mesures d'économies.

Deux autres caractéristiques méritent, en particulier d'être signalées. Pour la première fois, des points de cotisations déplafonnés ont été instaurés, rompant ainsi avec les règles posées par Bismarck où toutes les cotisations et toutes les prestations étaient sous plafond.

La deuxième nouveauté est la création d'une taxe sur les primes d'assurance automobile, affectée à la Cnam. Pour la première fois, une taxe venait augmenter les ressources de la Sécurité sociale. Depuis, cette idée a fait beaucoup de chemin.

Jean-François Chadelat

Transcription

Journaliste
Monsieur le Ministre, si vous voulez bien, on va envisager les choses d’un point de vue pratique. Alors d’abord, les remboursements, les conséquences pour les assurés sociaux.
Jean-Marcel Jeanneney
Il n’y a pas de conséquences très importantes. Le remboursement des assurés sociaux à l’occasion de dépenses pharmaceutiques restera le même comme actuellement, il sera de 70%. Le remboursement des assurés sociaux pour les dépenses d’hospitalisation restera le même, comme actuellement, il est de 80% ou de 100% dans beaucoup d’autres cas. Ce qu’il y a, car il faudrait tout de même faire des économies, c’est que le remboursement pour les actes médicaux, c’est-à-dire la consultation, la visite et les autres actes médicaux, sera désormais de 70% comme pour les produits pharmaceutiques, alors qu’antérieurement, il était de 80. Ce n’est pas une très grosse différence mais c’en est une, je le reconnais.
Journaliste
Alors, en ce qui concerne les cotisations, conséquences d’abord pour les salariés ?
Jean-Marcel Jeanneney
Pour les salariés, il y a une augmentation de 0,50% de la cotisation, qui, actuellement, et depuis très longtemps, depuis toujours on peut dire, était de 6% et elle sera de 6,50%. Pour une idée, pour donner une idée de ce que ça représente, je dirais que pour le salarié qui est au plafond de salaire, qui a plus de 100000 francs de salaire, ça lui fera une augmentation par mois de cotisation inférieure à 6 francs. Et pour ce qui est du salarié qui touche disons 500 francs par mois, 50000 anciens francs, ça fera une augmentation de cotisation de 2,50 francs nouveaux, 250 francs anciens par mois. Ça n’est pas négligeable, mais enfin, ce n’est pas considérable. Pour les salariés, je dois dire qu’il y a également le déplafonnement de 1 point de cotisation. Ça veut dire que pour les cadres, pour ceux qui ont un salaire supérieur à 110000 anciens francs par mois, ils paieront sur la partie qui dépasse 110000 francs 1%, 1% de cotisation. Mais enfin, prenons le cas d’un cadre qui touche 4000 francs nouveaux par mois, 400000 anciens francs, eh bien, la majoration de cotisation qui en résultera pour lui, elle sera de 30 francs, de 30 francs par mois. Ce n’est pas négligeable, là encore, mais enfin, ce n’est pas considérable. Et ça paraît juste car tout nous montre que en moyenne, les cadres, et c’est normal, sont plus avertis, se soignent mieux et coûtent plus cher, par conséquent, à l’Assurance maladie. Il est donc normal qu’ils cotisent un peu plus et puis enfin, c’est une œuvre de solidarité nationale, ne l’oublions pas, la Sécurité sociale.
Journaliste
Alors, le déplafonnement est de 2 points pour les patrons ?
Jean-Marcel Jeanneney
2 points pour les patrons.
Journaliste
Et les patrons ont-ils d’autres conséquences financières ?
Jean-Marcel Jeanneney
Non, mais enfin ça, c’est assez important. 2 points de déplafonnement pour les patrons, ça représente une charge pour les entreprises supplémentaire d’environ 800 millions de nouveaux francs par an.
Journaliste
Alors, comment sera comblé le déficit, d’une manière globale ?
Jean-Marcel Jeanneney
Eh bien, il y en a environ la moitié qui se trouvera comblé par les augmentations de cotisations dont je viens de parler. Il y en a environ un quart qui sera comblé par une prise en charge par le budget de l’Etat de sommes qui jusqu’ici, étaient à la charge de l’assurance maladie, et environ un quart résultant d’économies et notamment de l’augmentation du ticket modérateur pour les actes médicaux dont je vous parlais tout à l’heure.
Journaliste
Alors, vous avez parlé de la maladie, en ce qui concerne la vieillesse maintenant ?
Jean-Marcel Jeanneney
Alors, pour la vieillesse, je précise bien que il n’est pas question de déplafonnement des cotisations. Le déplafonnement dont je parlais vise la maladie. Pour la vieillesse, il y a les cotisations qui sont désormais des cotisations affectées à la vieillesse, ça sera environ 8,50%, et plafonnées, et l’ordonnance elle-même dit que les cotisations vieillesses sont obligatoirement plafonnées. Ceci, pour assurer, et c’est très légitime, tous ceux qui, parmi les cadres, sont adhérents à des régimes complémentaires de retraite. Rien ne sera changé en ce qui les concerne.
Journaliste
En ce qui concerne les allocations familiales ?
Jean-Marcel Jeanneney
En ce qui concerne les allocations familiales, il y a transfert de la charge de l’assurance maternité qui était jusqu’ici à la charge des caisses d’allocations familiales au régime d’assurance maladie. Et puis, d’autre part, et surtout, il y a création d’une caisse nationale des prestations familiales distincte de l’actuelle caisse générale de la Sécurité sociale ; caisse nationale d’allocations familiales qui aura son propre conseil d’administration et qui aura ainsi mission à la fois de gérer les ressources et je dirais, de les défendre contre les tentations auxquelles, dont elles avaient parfois été victimes, il faut le dire, au cours des dernières années.
Journaliste
Cette dernière mesure fait partie des mesures d’ordre, de réformes administratives, si on peut dire. Vous avez beaucoup insisté là-dessus, je crois ?
Jean-Marcel Jeanneney
Oui, n’est-ce pas ? En-dehors des mesures financières dont je parlais tout à l’heure, je crois que ce qui est très important dans les réformes que nous faisons, c’est qu’elles tendent à introduire beaucoup plus de clarté dans l’ensemble de ces choses et notamment dans les comptes. Nous affectons des cotisations à la maladie, nous affectons une cotisation à la vieillesse, alors que avant, tout était mélangé, et nous créons trois caisses distinctes. Si bien que les cotisants, les français qui paient des cotisations sauront exactement pourquoi ils les paient. Et que les droits des vieillards, des malades, des familles seront des droits qu’ils exerceront à l’encontre d’une caisse qui sera la leur, en quelque sorte. De cette manière, le gouvernement pense que les dirigeants des caisses seront naturellement conduits à prendre davantage de responsabilités dans la gestion du régime et dans l’équilibre du régime. Et cette responsabilité plus largement acceptée, je crois qu’elle sera en fin de compte un facteur de justice. Voyez-vous, on dit parfois que la clarté pourrait nuire aux régions pauvres. C’est à vrai dire le contraire qui est vrai. Quand on regarde actuellement la carte, on s’aperçoit que les régions pauvres, les régions où les équipements hospitaliers, le nombre de médecins est faible, où les équipements hospitaliers sont médiocres, ce sont des régions où les dépenses de maladie sont faibles. Et si, comme nous le souhaitons, la caisse nationale d’assurance maladie affecte à chaque caisse au départ une certaine dotation dépendant de ses charges, alors, cela sera à l’avantage, à l’avantage des régions pauvres. Naturellement, si telle ou telle caisse est en difficulté, la caisse nationale, comme actuellement, viendra à son secours.
Journaliste
Autrement dit, vous ne voulez pas régler seulement le problème du déficit immédiat mais voir beaucoup plus loin ?
Jean-Marcel Jeanneney
Oui, et faire que les Français comprennent davantage que la Sécurité sociale, c’est leur chose. C’est leur chose et non point une sorte de manne qui tomberait du ciel.