La Compensation démographique
Notice
Par deux fois (1945 et 1974), le législateur a tenté de mettre en place un régime de Sécurité sociale unique pour tous les Français. Par deux fois, ce fut un échec, car nombre de catégories sociales tenaient à conserver leur régime professionnel. Mais face à des évolutions démographiques divergentes et surtout des régimes en très fort déclin, il a fallu mettre en place une compensation inter-régimes.
Éclairage
L'idée du législateur de 1945, en créant la Sécurité sociale, était de mettre en place un régime unique, de telle sorte que tous les citoyens, quelle que soit leur catégorie socio-professionnelle, aient les mêmes prestations et les mêmes cotisations, les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Le moins que l'on puisse dire est que ce genre d'idée relevait de la logique et du bon sens. Mais c'était sans compter avec l'attachement, quasi viscéral, de telle ou telle catégorie professionnelle à « son » régime.
L'ordonnance du 4 octobre 1945 maintenait à titre « provisoire » les régimes spéciaux. Aujourd'hui encore, soixante-dix ans après, cette mention figure explicitement dans le code de la Sécurité sociale sous l'article L 711-1. Ceci démontre que le provisoire peut perdurer.
Déjà discutable sur le plan des principes et sur le non-respect de l'égalité des citoyens devant la Sécurité sociale, ce maintien de régimes spécifiques ignorait les mutations économiques de la société. Il est bien évident que l'activité économique de 2015 n'a plus guère de rapport avec celle de 1945. Certaines formes nouvelles d'activité sont apparues, d'autres ont disparu ou sont en passe de disparaître.
Les exploitations agricoles de 1945, dans un pays à forte dominante rurale, étaient nombreuses. Soixante-dix ans plus tard, le nombre des exploitations agricoles - et donc des exploitants agricoles cotisants au régime de la MSA - a été divisé par près de quatre.
Il y a un cas de figure plus préoccupant, celui des mineurs. Les mines, qu'elles soient de houille ou de fer, ont fermé les unes à la suite des autres. Officiellement, il est dit qu'il resterait aujourd'hui une cinquantaine de cotisants au régime minier, pour plus de 180 000 retraités et ayants-droit.
Ces mutations économiques ne sont pas apparues en 2015, déjà en 1974, elles étaient perceptibles.
Un régime de retraite, mais le raisonnement est aussi valable en assurance maladie, repose sur le nombre de ses cotisants d'une part, de ses retraités d'autre part. Si un régime spécifique est en déclin économique, son nombre de cotisants chute, mais les retraités et leurs droits attachés sont toujours là, et même pour de nombreuses années : jusqu'à la mort de la dernière veuve du dernier actif devenu retraité.
Incapable de réunir les Français dans un régime unique en 1945, le gouvernement de 1974 connut le même échec, pour les mêmes causes.
Les régimes spécifiques en fort déclin présentent donc des déséquilibres financiers abyssaux, souvent comblés par une subvention de l'Etat, c'est-à-dire du contribuable.
L'idée avancée avec la loi du 24 décembre 1974 était donc de créer une compensation démographique entre les régimes de Sécurité sociale. Le mécanisme mis en place, souvent critiqué par son caractère complexe, est en fait très simple : un régime en bonne situation démographique vient en aide à un régime en mauvaise situation.
La base de calcul n'est pas compliquée : si un régime a plus de retraités que la moyenne nationale, il reçoit un transfert de compensation de la part des régimes en ayant moins que la moyenne. Chaque retraité en trop est payé par les retraités en moins.
La conséquence pratique est que le Régime général des travailleurs salariés est le principal payeur, et que le principal bénéficiaire est le régime des exploitants agricoles. Les régimes des agents de la SNCF et celui des mineurs sont bien évidemment partie recevante à la compensation.