La Compensation démographique

11 septembre 1974
02m 43s
Réf. 00015

Notice

Résumé :

Par deux fois (1945 et 1974), le législateur a tenté de mettre en place un régime de Sécurité sociale unique pour tous les Français. Par deux fois, ce fut un échec, car nombre de catégories sociales tenaient à conserver leur régime professionnel. Mais face à des évolutions démographiques divergentes et surtout des régimes en très fort déclin, il a fallu mettre en place une compensation inter-régimes.

Date de diffusion :
11 septembre 1974
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )

Éclairage

L'idée du législateur de 1945, en créant la Sécurité sociale, était de mettre en place un régime unique, de telle sorte que tous les citoyens, quelle que soit leur catégorie socio-professionnelle, aient les mêmes prestations et les mêmes cotisations, les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Le moins que l'on puisse dire est que ce genre d'idée relevait de la logique et du bon sens. Mais c'était sans compter avec l'attachement, quasi viscéral, de telle ou telle catégorie professionnelle à « son » régime.

L'ordonnance du 4 octobre 1945 maintenait à titre « provisoire » les régimes spéciaux. Aujourd'hui encore, soixante-dix ans après, cette mention figure explicitement dans le code de la Sécurité sociale sous l'article L 711-1. Ceci démontre que le provisoire peut perdurer.

Déjà discutable sur le plan des principes et sur le non-respect de l'égalité des citoyens devant la Sécurité sociale, ce maintien de régimes spécifiques ignorait les mutations économiques de la société. Il est bien évident que l'activité économique de 2015 n'a plus guère de rapport avec celle de 1945. Certaines formes nouvelles d'activité sont apparues, d'autres ont disparu ou sont en passe de disparaître.

Les exploitations agricoles de 1945, dans un pays à forte dominante rurale, étaient nombreuses. Soixante-dix ans plus tard, le nombre des exploitations agricoles - et donc des exploitants agricoles cotisants au régime de la MSA - a été divisé par près de quatre.

Il y a un cas de figure plus préoccupant, celui des mineurs. Les mines, qu'elles soient de houille ou de fer, ont fermé les unes à la suite des autres. Officiellement, il est dit qu'il resterait aujourd'hui une cinquantaine de cotisants au régime minier, pour plus de 180 000 retraités et ayants-droit.

Ces mutations économiques ne sont pas apparues en 2015, déjà en 1974, elles étaient perceptibles.

Un régime de retraite, mais le raisonnement est aussi valable en assurance maladie, repose sur le nombre de ses cotisants d'une part, de ses retraités d'autre part. Si un régime spécifique est en déclin économique, son nombre de cotisants chute, mais les retraités et leurs droits attachés sont toujours là, et même pour de nombreuses années : jusqu'à la mort de la dernière veuve du dernier actif devenu retraité.

Incapable de réunir les Français dans un régime unique en 1945, le gouvernement de 1974 connut le même échec, pour les mêmes causes.

Les régimes spécifiques en fort déclin présentent donc des déséquilibres financiers abyssaux, souvent comblés par une subvention de l'Etat, c'est-à-dire du contribuable.

L'idée avancée avec la loi du 24 décembre 1974 était donc de créer une compensation démographique entre les régimes de Sécurité sociale. Le mécanisme mis en place, souvent critiqué par son caractère complexe, est en fait très simple : un régime en bonne situation démographique vient en aide à un régime en mauvaise situation.

La base de calcul n'est pas compliquée : si un régime a plus de retraités que la moyenne nationale, il reçoit un transfert de compensation de la part des régimes en ayant moins que la moyenne. Chaque retraité en trop est payé par les retraités en moins.

La conséquence pratique est que le Régime général des travailleurs salariés est le principal payeur, et que le principal bénéficiaire est le régime des exploitants agricoles. Les régimes des agents de la SNCF et celui des mineurs sont bien évidemment partie recevante à la compensation.

Jean-François Chadelat

Transcription

(Silence)
Journaliste
Regardez bien ces allumettes et vous allez comprendre ce qu’est le système de compensation entre les différents régimes de Sécurité sociale ; un système, il est vrai, un peu complexe car il n’existe pas une seule et unique Sécurité sociale, il en existe plusieurs, il existe plusieurs régimes. Or, ces différents régimes sont déséquilibrés l’un par rapport à l’autre. Regardez bien, ici, vous avez le Régime général des salariés, 67% de la population française ; puis à côté, on trouve le régime agricole, 18%. Troisième régime, celui des commerçants, artisans et professions libérales, 8%. Enfin, les régimes spéciaux des mineurs ou des cheminots, 5%. Alors, entre ces différents régimes, c’est un peu comme entre le pot de terre et le pot de fer ; le nombre des salariés s’accroît d’année en année, renforçant le Régime général, tandis que l’effectif des commerçants, des mineurs ou des agriculteurs est en diminution. En fait, d’un régime à l’autre, à cause de ces déséquilibres démographiques, l’écart entre les prestations ou l’écart entre les retraites varie parfois du simple au double. A partir du 1er janvier 1975, on va donc compenser ces déséquilibres et corriger les inégalités financières entre les régimes. Exemple, le Régime général, le plus puissant puisque couvrant le maximum de cotisants, compensera les autres régimes pour 4 milliards de francs. Mais il ne s’agira nullement d’un cadeau, cette charge nouvelle lui sera intégralement remboursée par l’Etat. Chaque année, en effet, l’Etat affectera au Régime général le montant des taxes sur la commercialisation des alcools. Ce projet de loi a été mal accueilli par le patronat et par les syndicats, ces derniers sont d’accord pour faire jouer la solidarité nationale, mais pour cela, ils estiment que les revenus des commerçants et des professions libérales sont insuffisamment connus. Ou bien encore, que la contrepartie fiscale est aléatoire. En somme, ils posent la question, qui va payer la réforme ? Objet principal de cette réforme : harmoniser les cotisations et les prestations de tous les régimes. Tout en conservant leur autonomie respective, les différents régimes de Sécurité sociale vont par conséquent être progressivement harmonisés pour instituer une protection de base commune à tous les Français, et cela au plus tard, le 1er janvier 1978.
(Silence)