L'entrevue Churchill-De Gaulle à Marrakech
Notice
Le général de Gaulle rencontre le Premier ministre britannique Winston Churchill à Marrakech, afin de consolider l'amitié franco-britannique. Les deux hommes saluent les drapeaux et passent en revue les troupes de la garnison.
Éclairage
Les 12 et 13 janvier 1944, le général de Gaulle rencontre Winston Churchill à Marrakech, où le Premier ministre britannique se trouve en convalescence depuis la conférence de Téhéran (28 novembre-1er décembre 1943). Installé à Alger, le chef de la France libre préside depuis l'été 1943 le Comité français de libération nationale. Mais De Gaulle s'impose difficilement comme le représentant de la France et les tensions sont nombreuses avec les États-Unis. Le Royaume-Uni, cependant, se montre soucieux de cultiver l'amitié d'un allié essentiel en Europe face aux tensions qui ne peuvent manquer de naître dans l'après-guerre avec l'URSS, essentiel au niveau international face aux revendications indépendantistes dans les colonies.
Le Maroc et la population marocaine sont les grands absents de ce reportage. Certes, la caméra suit dans le moindre détail le rituel des réceptions officielles à Marrakech : l'offrande du lait et des dattes, le déploiement des poupées traditionnelles au bord de la route, le spectacle des musiciens chleuhs et des bateleurs. Le Service cinématographique de l'armée (SCA) capture même l'image d'une femme marocaine faisant le V de la victoire à sa fenêtre. Pour autant, la ville et ses habitants ne semblent servir que de décor à des négociations dont ils sont largement exclus.
La vision folklorique de Marrakech donnée par le SCA escamote le tournant que constitue la guerre pour le Maroc comme pour l'ensemble du Maghreb. La défaite de 1940 porte un coup à la réputation d'invincibilité du pays protecteur. La confusion qui suit le débarquement anglo-américain de novembre 1942 se révèle tout aussi néfaste pour l'autorité de la France, d'autant que les Américains développent un point de vue très critique à l'encontre du colonialisme, comme le montre l'entretien du président Roosevelt avec le sultan durant la conférence d'Anfa (janvier 1943). Enfin, la dégradation de la situation économique accentue le mécontentement des Marocains. La nomination d'un résident général conservateur, Gabriel Puaux, anéantit toute perspective de réforme. À la fin de l'année 1943, naît le parti de l'Istiqlâl. Le 11 janvier 1944, les nationalistes marocains demandent dans un manifeste l'indépendance du pays.
Ce contexte politique troublé est soigneusement éludé dans le reportage. Il importe non seulement de rassurer les spectateurs sur l'amitié franco-britannique mais aussi sur la fidélité des peuples colonisés, à une époque où l'empire fait figure de recours. Alger n'est-elle pas devenue la nouvelle capitale de la France (libre) ? La participation des soldats marocains à la délivrance du territoire métropolitain s'annonce d'ores et déjà comme une nécessité. « Les Africains au secours de la métropole, le salut de la France par l'Empire, c'est un épisode sans précédent dans l'histoire », souligne l'historienne Christine Levisse-Touzé.