Flamenco, la flamme de l'Espagne

10 janvier 2002
05m 56s
Réf. 00403

Notice

Résumé :

Reportage à Séville. La renaissance du flamenco traditionnel, partie intégrante de la culture des gitans, banni sous la dictature de Franco, a connu un renouveau avant de devenir depuis peu un produit commercial. Commentaire sur images Paco Lira, le propriétaire de la taverne la Carboneria, Bettina Castano, danseuse, et de Felipe Luis Maestro, directeur de la Foire internationale du Flamenco

Type de média :
Date de diffusion :
10 janvier 2002
Source :
FR3 (Collection: Europeos )
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Éclairage

Le flamenco et le franquisme

1975 est la date choisie par José Manuel Gamboa pour commencer son récit d'une Histoire du flamenco [1]. Elle scelle la fin de la dictature en Espagne par la mort du général Francisco Franco. Elle coïncide avec deux immenses succès commerciaux, à l'époque inimaginables pour le flamenco. Il s'agit de rumbas composées par deux guitaristes : Entre dos aguas issu du L.P. Fuente y caudal de Paco de Lucía (1947 – 2014) et Caballo negro figurant dans le disque Sanlúcar de Manolo Sanlúcar (né en 1943). La guitare pousse le flamenco vers l'ère de la mondialisation et de la globalisation. Elle devient en 1981 avec la création du sextet de Paco de Lucía, la voix principale de l'ensemble instrumental flamenco, ramenant le chant et la danse à une voix d'accompagnement ou une couleur, tout en leur laissant quelques solos.

Le samedi 9 août 1975, le chanteur Antonio Mairena (1909 – 1983) annonce sa retraite professionnelle à l'occasion du 14ème Festival de Cante Jondo Antonio Mairena fondé en 1963 dans sa ville natale Mairena del Alcor. Sa démarche qualifiée de mairénisme consiste en une revalorisation de répertoires anciens. Il collecte auprès de chanteurs des styles en voie de disparition. Il les fixe ensuite dans son imposante discographie. Ce travail de recherche sert à les (ré)introduire dans la pratique professionnelle. Il s'accompagne d'un discours qui défend le chant gitan au détriment du chant flamenco considéré par lui décadent.

Ce grand sauvetage du chant – cante – participe d'un mouvement plus large préconisant sa renaissance. En 1950, un programme consacré au flamenco, « Cantares de Andalucía » voit le jour sur les ondes de la Radio Nacional de España en Sevilla, grâce à l'initiative de Rafael Belmonte, le frère d'un des maîtres de la tauromachie, Juan Belmonte comme le rappelle Claude Worms [2]. Cette revalorisation s'inscrit contre les répertoires flamencos soumis au diktat de spectacles grands publics. Elle touche des personnalités engagées dans un premier temps sur le plan culturel. Parmi elles, figure le nom de Paco Lira (1927 – 2015) qui ouvre un local « La Cuadra » en 1956 à Séville. Soumis à la pression de la censure franquiste, il déménage plusieurs fois avant de s'installer définitivement à « La Carbonería ». Dans les années 1970, il impose un esprit libertaire, défenseur d'une conception du chant sans concession et ouverte aux expériences naissantes du rock andalou. Le temps est venu à l'engagement politique de nombreux jeunes artistes.

Cette approche du chant perdure à l'orée du nouveau millénaire comme en témoigne la présence du chanteur Gaspard de Utrera (1932 – 2008), un des dépositaires des répertoires liés à la casa cantaora [3] de Los Perrates, accompagné du guitariste nîmois Antonio Moya (né en 1966), fils adoptif d'Utrera et disciple du guitariste Pedro Bacán.

En danse, Mario Maya (1936 – 2008) et Antonio Gades (1936 – 2004) œuvreront de façon majeure à la transition vers la démocratie, préfigurée dans leurs premières œuvres Ceremonial (1974) pour l'un et Crónica del Suceso de Bodas de Sangre (1974) pour l'autre.

[1] Gamboa, José Manuel, Una Historia del flamenco, Madrid, Editorial Espasa Calpe, 2005, p. 19-103

[2] Worms, Claude, Séville : une histoire du cante. Dossier Séville, http://www.flamencoweb.fr> mise en ligne le 4 octobre 2007.

[3] Une casa cantaora est comparable à un conservatoire naturel réunissant des chanteurs, amateurs ou professionnels, jouant un rôle clé dans la transmission orale du flamenco à l'intérieur de la communauté gitane de Basse Andalousie, et au-delà en direction d'artistes professionnels à la recherche de sources diffusées en dehors du cadre scénique ou discographique. Certaines sont à l'origine de branches familiales qui se spécialisent professionnellement dans l'art de la danse, du toque – jeu instrumental de la guitare.

Corinne Frayssinet-Savy

Transcription

(Bruit)
(Musique)
Journaliste
Quand la voix du flamenco pur s’empare de la Carboneria, c’est presque un moment de grâce. Dans cette taverne sévillane, l’âme du flamenco ressurgit chaque nuit. Paco Lira, maître des lieux, lui a voué sa vie entière. Pourtant lui, il ne chante pas, il ne danse pas ; il avait juré à son père de ne jamais s’abandonner à cet art populaire si méprisable, si condamnable aux yeux de Franco. Il ne pouvait être le second fils à défier la dictature pour finir dans un camp, comme son frère, douloureux souvenir d’un régime qui lapidait les sens du flamenco.
Paco Lira
Sous Franco, on avait banni le flamenco qui était trop parfumé de cultures arabes et juives. On lui préférait un flamenco de divertissement plus léger qui empruntait quelques techniques au vrai flamenco, comme par exemple la façon de poser sa voix. Et aujourd’hui, c’est ce style nivelé qui est plus ou moins en train de renaître en Espagne.
Journaliste
Paco est un puriste, un protecteur, un mécène. Depuis 50 ans, il a toujours eu un bar ou une taverne au plancher battu au rythme du flamenco. Petite terre de résistance artistique et intellectuelle sous Franco, les portes de ce lieu à la fois mythique et confidentiel, ont toujours été ouvertes à quiconque savait respecter cette expression vivante.
(Musique)
Journaliste
Bien des artistes, illustres ou anonymes, ont été applaudis dans la maison de Paco. Bettina Castaño, venue de Suisse a, elle aussi, fait ses premiers pas chez lui. Initiée au flamenco traditionnel, elle fait aujourd’hui partie de la jeune génération reconnue dans cet art difficile ; un art auquel elle reste fidèle même si l’horizon de ses chorégraphies s’ouvre à d’autres musiques.
Bettina Castano
Si je danse du flamenco avec la guitare, le chant, qui sont la base de ce style, je danse du flamenco. Mais si je danse, par exemple, sur une autre musique singara avec des violons, de la cithare, de la contrebasse, c’est bien sûr une autre musique ; et bien là, je ne danse pas du flamenco, je danse un peu différemment.
(Musique)
Bettina Castano
Il y a un terme qui me conviendrait pour mon style, c’est musique du monde, la Word Music, comme on dit. C’est une musique avec des racines ethniques comme le blues, la musique singara, la musique d’Afghanistan, de Perse ou la musique indienne. Moi, j’aime beaucoup ces musiques là, et d’ailleurs, elles m’inspirent tellement que j’ai envie de les danser et de les intégrer dans ce que je fais.
(Musique)
Journaliste
Issu des familles gitanes, le flamenco n’était pas à l’origine un moyen de gagner sa vie. C’était une tradition orale, une façon de dire les douleurs et les joies, une histoire chantée d’une génération à l’autre. Depuis qu’il est sorti des foyers, il a pris une autre dimension, une dimension commerciale. Après deux siècles d’existence, le flamenco est devenu un produit vendeur, une vitrine alléchante. En octobre dernier, Séville lui consacrait une foire internationale.
Felipe-Luis Maestro
Pour cette première édition, nous avons réussi à attirer les plus grands programmateurs de spectacles du monde entier, ceux qui sont susceptibles de diffuser le flamenco à un niveau international. L’objectif, c’était de leur vendre des spectacles qui puissent être présentés dans des pays lointains comme le Japon, l’Australie ou le Canada. Et puis, on essaie aussi de promouvoir tous les accessoires utilisés dans le flamenco. Des castagnettes aux guitares, en passant par les éventails, tout cela, ce sont des accessoires fabriqués par notre artisanat local. Et ça représente une véritable industrie et nous tentons de l’exporter.
Journaliste
La réputation du flamenco n’est pourtant plus à faire. De Séville à Cadix, l’Andalousie l’affiche comme un faire-valoir et l’Espagne comme un symbole de sa culture. Les étrangers se pressent ici pour voir des mains qui claquent en coeur, des castagnettes crépitantes ; un spectacle garanti dans les tablaos, ces bars où l’on chante et l’on danse, où l’on mélange toutes les sauces du folklore local au risque de vendre un peu l’âme du flamenco pur.
(Musique)
Journaliste
Toucher le coeur de la vraie tradition, les gitans le disent, c’est retourner à son berceau, celui de la famille. Là où l’on chante le ventre de sa mère ou la fierté de son peuple.
(Musique)
Journaliste
A l’abri des curieux qui ne partagent pas la même foi, jaloux d’un trésor qui repose dans l’écrin de leur mémoire commune, les gitans veulent encore vivre leur flamenco, celui qui ne leur a pas déjà échappé.
(Musique)