Flamenco, la flamme de l'Espagne
Notice
Reportage à Séville. La renaissance du flamenco traditionnel, partie intégrante de la culture des gitans, banni sous la dictature de Franco, a connu un renouveau avant de devenir depuis peu un produit commercial. Commentaire sur images Paco Lira, le propriétaire de la taverne la Carboneria, Bettina Castano, danseuse, et de Felipe Luis Maestro, directeur de la Foire internationale du Flamenco
Éclairage
Le flamenco et le franquisme
1975 est la date choisie par José Manuel Gamboa pour commencer son récit d'une Histoire du flamenco [1]. Elle scelle la fin de la dictature en Espagne par la mort du général Francisco Franco. Elle coïncide avec deux immenses succès commerciaux, à l'époque inimaginables pour le flamenco. Il s'agit de rumbas composées par deux guitaristes : Entre dos aguas issu du L.P. Fuente y caudal de Paco de Lucía (1947 – 2014) et Caballo negro figurant dans le disque Sanlúcar de Manolo Sanlúcar (né en 1943). La guitare pousse le flamenco vers l'ère de la mondialisation et de la globalisation. Elle devient en 1981 avec la création du sextet de Paco de Lucía, la voix principale de l'ensemble instrumental flamenco, ramenant le chant et la danse à une voix d'accompagnement ou une couleur, tout en leur laissant quelques solos.
Le samedi 9 août 1975, le chanteur Antonio Mairena (1909 – 1983) annonce sa retraite professionnelle à l'occasion du 14ème Festival de Cante Jondo Antonio Mairena fondé en 1963 dans sa ville natale Mairena del Alcor. Sa démarche qualifiée de mairénisme consiste en une revalorisation de répertoires anciens. Il collecte auprès de chanteurs des styles en voie de disparition. Il les fixe ensuite dans son imposante discographie. Ce travail de recherche sert à les (ré)introduire dans la pratique professionnelle. Il s'accompagne d'un discours qui défend le chant gitan au détriment du chant flamenco considéré par lui décadent.
Ce grand sauvetage du chant – cante – participe d'un mouvement plus large préconisant sa renaissance. En 1950, un programme consacré au flamenco, « Cantares de Andalucía » voit le jour sur les ondes de la Radio Nacional de España en Sevilla, grâce à l'initiative de Rafael Belmonte, le frère d'un des maîtres de la tauromachie, Juan Belmonte comme le rappelle Claude Worms [2]. Cette revalorisation s'inscrit contre les répertoires flamencos soumis au diktat de spectacles grands publics. Elle touche des personnalités engagées dans un premier temps sur le plan culturel. Parmi elles, figure le nom de Paco Lira (1927 – 2015) qui ouvre un local « La Cuadra » en 1956 à Séville. Soumis à la pression de la censure franquiste, il déménage plusieurs fois avant de s'installer définitivement à « La Carbonería ». Dans les années 1970, il impose un esprit libertaire, défenseur d'une conception du chant sans concession et ouverte aux expériences naissantes du rock andalou. Le temps est venu à l'engagement politique de nombreux jeunes artistes.
Cette approche du chant perdure à l'orée du nouveau millénaire comme en témoigne la présence du chanteur Gaspard de Utrera (1932 – 2008), un des dépositaires des répertoires liés à la casa cantaora [3] de Los Perrates, accompagné du guitariste nîmois Antonio Moya (né en 1966), fils adoptif d'Utrera et disciple du guitariste Pedro Bacán.
En danse, Mario Maya (1936 – 2008) et Antonio Gades (1936 – 2004) œuvreront de façon majeure à la transition vers la démocratie, préfigurée dans leurs premières œuvres Ceremonial (1974) pour l'un et Crónica del Suceso de Bodas de Sangre (1974) pour l'autre.
[1] Gamboa, José Manuel, Una Historia del flamenco, Madrid, Editorial Espasa Calpe, 2005, p. 19-103
[2] Worms, Claude, Séville : une histoire du cante. Dossier Séville, http://www.flamencoweb.fr> mise en ligne le 4 octobre 2007.
[3] Une casa cantaora est comparable à un conservatoire naturel réunissant des chanteurs, amateurs ou professionnels, jouant un rôle clé dans la transmission orale du flamenco à l'intérieur de la communauté gitane de Basse Andalousie, et au-delà en direction d'artistes professionnels à la recherche de sources diffusées en dehors du cadre scénique ou discographique. Certaines sont à l'origine de branches familiales qui se spécialisent professionnellement dans l'art de la danse, du toque – jeu instrumental de la guitare.