Interview Antonio Gades et extrait danse flamenco
Notice
Dans un bar de Saint Germain des Prés à Paris, interview de Antonio Gades à propos du flamenco, de son histoire, de son enseignement et des recherches qu'il mène pour faire évoluer cet art. Extrait de son spectacle à l'affiche à Paris.
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Éclairage
Le flamenco selon Antonio Gades
Antonio Gades (1936 – 2004) présente en 1969 au Théâtre des Nations son Spectacle de danse espagnole classique et flamenco en qualité de danseur de flamenco et chorégraphe. A ses côtés, Cristina Hoyos (née en 1946) exécute une version de la farruca [1] chorégraphiée pour un duo, le chanteur Gomez de Jerez (né en 1952) et les deux guitares Emilio de Diego Nieto (compositeur né en 1942) et Antonio Solera les accompagnent. Son maître en danse, Pilar Lopez (1912 – 2008), lui présente en 1955 Vicente Escudero (1885 – 1980). Mais la véritable rencontre se fait en 1963. Elle marque dès lors sa vision du flamenco et ses choix esthétiques. Elle le guide dans sa rénovation de la danse flamenca, décisive et incontournable pour les nouvelles générations.
En 1984, Antonio Gades se prête à un long entretien : « Il est dans la tradition du flamenco d'exprimer le sentiment. La danse s'est beaucoup écartée de ce qu'elle était à l'origine, expression d'un état d'âme. On dansait de joie. On trépignait de rage. L'homme a transformé peu à peu cette explosion d'énergie en pirouettes, sauts, figures raffinées dont souvent on ne saisit plus la raison. »
« Pour revenir à la spécificité du flamenco, il faut y trouver une spontanéité immédiate, la liberté d'exprimer le sentiment au moment où on l'éprouve. Il faut sentir joie et douleur affleurer, prendre forme. Pour cela, je pars du folklore et travaille non en vue d'une reconstitution mais d'une invention. (...) Les bras obéissent à un code, tandis que le danseur flamenco fait jouer les épaules et produit des lignes brisées. Les bras sont alors une projection de l'énergie. Ils la font éclater. (...) Il s'agit de trouver un équilibre dans une grande liberté. »
«Vicente Escudero avec Antonia Mercé « La Argentina » (1890 – 1936) a porté le flamenco de la fête de village à la scène de théâtre. C'était souvent des pauvres gens qui essayaient de gagner leur vie avec deux pas de farruca et un peu de zapateado. La Argentina et Vicente Escudero pensèrent que l'on pouvait faire mieux. (...). Vicente Escudero était un homme très digne et le resta jusqu'à sa mort, une sorte de chevalier. J'aimais son arrogance devant la vie, son attitude exemplaire. Il a lutté contre le franquisme sans dire un mot, par le simple refus de collaborer à quoi que ce soit d'officiel. Sur le plan du style, (...) il a conçu une nouvelle esthétique. Il fut sans doute le premier à danser les bras levés. On ne faisait pas grand-chose, auparavant. On tenait les mains posées à hauteur de la ceinture afin d'accorder toute l'attention aux pieds. On claquait les doigts.
- S'il y a eu évolution du chant flamenco, je crains que ce soit dans le sens d'un affadissement. Il y a eu surtout évolution de la guitare. Le chant flamenco le plus accompli est toujours celui qui a les racines les plus anciennes. L'industrie du disque a joué un rôle néfaste, conduisant à un chant semi-populaire, hybride. Sur le plan de la danse, il existe toujours deux types bien caractérisés : le flamenco dansé par un homme mûr, un peu gros. La femme aussi est forte. Les évolutions de ce couple sont très jolies mais les possibilités d'invention sont limitées ;
- Et le flamenco de la nouvelle génération. Celle-ci bénéficie de notre expérience. Dès qu'ils débutent, ils ont une certaine conscience du spectacle. Ainsi sommes-nous parvenus à donner de cet art une conception théâtrale. Les jeunes sont de plain-pied avec cette façon de voir. L'évolution est accomplie. » [2]
[1] La farruca est une forme flamenca créée par le danseur connu sous le pseudonyme El Faíco (ca. 1850 – 1938) avec la complicité du guitariste Ramón Montoya (1879 – 1949). Elle donne lieu aussi à des versions chantées avec ou sans danse. Son rythme est binaire selon le modèle des tangos flamencos.
[2] Lartigue Pierre (photographies de Colette Masson), Antonio Gades. Le Flamenco., Paris, Albin Michel – L'Avant Scène, 1984, p. 60-62.