Flamenco
Notice
Extraits d'un spectacle représenté au Théâtre des Nations à Paris évoquant le flamenco. Inspirés de "l'anthologie dramatique du flamenco" de José Monleon, danseurs, danseuses et musiciens venus de Séville interprètent les grands classiques de cet art traditionnel.
Éclairage
La Leçon de danse : Enrique el Cojo et Manuela Vargas
Depuis les premières répétitions publiques organisées dans les académies de danses, les démonstrations sont un exercice obligé pour découvrir les danses à la mode, du pays ou exotiques. Le public amateur y recherche une expression du peuple et des curiosités que les scènes de théâtre bouderaient. La leçon de danse participe de cet attrait. Elle introduit le public dans l'intimité de la transmission.
Dans un livre d'entretiens avec José Luis Ortiz Nuevo [1] , Enrique el Cojo (1912 – 1985) raconte l'origine du spectacle Antología dramática del flamenco (1963) créé à partir d'une idée originale de l'écrivain José Monleón et donné à Paris au Théâtre des Nations pour représenter l'Espagne à l'Occasion de la Journée Mondiale du Théâtre. A la demande de Manuela Vargas (1941 – 2007), Enrique el Cojo l'épaule dans ce projet. Parmi les numéros de danse qu'il monte, il met en scène une leçon dans laquelle il joue le rôle du maître et Manuela Vargas, celui de l'élève. Enrique el Cojo a formé d'autres danseuses de flamenco prestigieuses comme Cristina Hoyos. Il a toujours mis en garde Manuela Vargas de rester à l'écart du style du ballet flamenco et de privilégier les sources populaires.
Le commentaire introduisant la leçon de danse filmée, rend compte de cette démarche sans toutefois éviter quelques clichés. Certes, le flamenco est une des formes d'expressions musicales et dansées d'origine andalouse. Mais il se différencie des autres pratiques populaires de cette région par l'exigence technique de plus en plus élevée due à la professionnalisation de ses artistes. Paradoxalement, son succès est plus retentissant en dehors des frontières de l'Andalousie, voire de l'Espagne.
La danse est ici interprétée por alegrías [2], style né à Cadix de la flamenquisation de la jota gaditane. Elle en conserve l'esprit enlevé et allègre. Elle est une des premières formes flamencas dansées à douze temps. La leçon de danse se construit en deux étapes. Manuela Vargas répète au son des palmas - frappes des mains - un zapateado, appelé aussi escobilla, qui désigne une séquence dansée consacrée aux percussions des pieds. Une démonstration de mouvements de bras, braceo, s'y intercale : elle témoigne de l'élégance de l'école sévillane et de son sens du déhanché tout en retenu, le meneo. Enrique el Cojo lui propose ensuite une chorégraphie accompagnée du chanteur Manuel Soto el Sordera (1927-2001) et du guitariste Enrique Escudero (né en 1938). Sa danse repose essentiellement sur un travail tout en marcajes – marquages – qui associent aux mouvements du corps des frappes légères afin de marquer le rythme sans masquer la partie chantée. Elle se poursuit avec la séquence dite « silencio » pendant laquelle la guitare exécute l'air de la rosa. Le tempo s'accélère enchainant différentes phases : la castellana et l'escobilla très courte. La conclusion, remate, por bulerías réunit enfin le maître et l'élève qui mêlent à l'esthétique flamenca, celle de l'école bolera. C'est le cas dans les passages en face à face du duo et dans la posture finale qui n'est pas sans rappeler le bien parado / le bien arrêté, très prisé dans les danses populaires andalouses telles que les sévillanes ou les fandangos. Il s'agit de se tenir immobile dans une pose gracieuse dès que l'accompagnement musical cesse.
[1] Ortiz Nuevo, José Luis, De las danzas y andanzas de Enrique el Cojo. Según la memoria del maestro y que fueron recogidas, ordenadas y escritas por José Luis Ortiz Nuevo., Séville, Portada Editorial, 1984, p. 95-99.
[2] L'expression « chanter/danser/jouer au moyen de » – cantar por, bailar por ou tocar por – signifie que l'interprète s'exprime au moyen d'une forme, ici les alegrías. Elle renvoie à trois niveaux référentiels : le premier attribue l'origine de la création formelle soit à un lieu, soit à un compositeur connu ou mythique, le deuxième à une interprétation modèle et le troisième à une variante de cette dernière.