Flamenco, enfant dansant
Notice
Sur les collines de Sacro Monte, non loin de Grenade, en Andalousie, dans un village troglodyte peuplé de gitans, un petit garçon surnommé "El millonario" danse devant un groupe de femmes.
- Europe > Espagne > Andalousie > Grenade
Éclairage
Le flamenco entre pratique privée et pratique publique
Séville a la réputation de lancer des modes en danse. Toute nouveauté donne lieu à une réévaluation, puis à une fusion des éléments empruntés. Grenade incarne l'orientalisme, cet ailleurs au porte de l'Occident qui fascine. Ce rêve d'Orient, que cultive à excès le romantisme, trouve en ce lieu une alchimie particulière : les traces d'une culture rayonnante à travers l'architecture maure et le quartier gitan du Sacromonte aux maisons troglodytes. Ce peuple symbolise une forme d'Altérité qui se traduit en expression musicale et dansée. Le flamenco en est une des manifestations en Andalousie. Cette différence qui investit le champ artistique, est source très souvent de clichés et d'aprioris à l'image du commentaire qui introduit le documentaire.
Au temps des cafés cantantes, les Gitans de Grenade produisent leur propre spectacle : la zambra. Ils y interprètent à leur manière des danses de diverses provenances. Afin de répondre à la demande touristique, les zambras ont lieu au Sacromonte, dans les hôtels de la ville ou encore chez des particuliers. Elles s'exportent aussi à partir de 1860 à Séville, ou encore dans le cadre des expositions universelles comme celle célébrée à Paris en 1889. Elles sont si réputées qu'elles attirent des artistes de renom qui viennent apprendre leurs danses : Antonia Mercé « La Argentina », Vicente Escudero. D'autres y feront leurs premiers pas comme Mario Maya, Manolete [1]...
Les zambras réunissent les membres d'une même famille parmi lesquels on compte un à deux guitaristes, deux ou trois couples de danseuses et une personne, homme ou femme, qui dirige la troupe en qualité de « capitaine ». Elles sont à la fois spectacle et lieu de transmission pour le chant, la danse et la guitare de flamenco. Elles incitent à la professionnalisation dès le plus jeune âge pour peu que l'on soit doté d'un don comme c'est le cas du jeune danseur surnommé « le millionnaire ».
La scène filmée le montre en train de danser au son d'une batterie de palmas, frappes des mains. Tout laisserait croire à une scène de rue ou à un moment intime familial, voire entre voisins comme le sous-entendent les scènes suivantes du documentaire. La caméra dévoile-t-elle le flamenco de la pratique privée ? Il n'est pas rare de lire sous la plume de certains voyageurs le témoignage de quelques instants consacrés au seul plaisir intime de la danse, révélateur d'une stylistique proprement gitane. Charles Davillier l'évoque un siècle auparavant lors de son séjour à Grenade avec Gustave Doré [2].
Ici, pratique privée et pratique publique se télescopent. La danse por seguiriyas [3] est une création de Vicente Escudero présentée pour la première fois en 1939 au Théâtre Falla à Cadix [4]. Elle appartient au répertoire professionnel. Un extrait de la danse est choisi, l'escobilla consacrée aux seules percussions des pieds. Suit une autre démonstration du savoir faire de ce danseur avec les bulerías accompagnées par le jaleo - environnement sonore associant percussions corporelles et exclamations afin de constituer une trame polyrythmique. Toute l'assistance participe musicalement de la performance. Le jeune danseur laisse libre court à la force des frappes sur le sol, soumises à un tempo de plus en plus effréné. L'énergie déployée fait de la limite un défi.
[1] Navarro Garcia, José Luis et Pablo Lozano, Eulalia, El Baile flamenco. Una aproximación histórica., Séville, Almuzara, 2005, p. 81.
[2] Davillier (Gustave), Voyage en Espagne, Paris, édition pré-originale Hachette, 1873. Livraison issue de la revue Le Tour du monde. Nouveau journal des voyages dirigée par Edouard Charton, n°260, décembre 1864, p. 401.
[3] L'expression por seguiriya signifie que l'on choisit de s'exprimer au moyen d'une forme qui s'appelle la seguiriya dans le cas présent.
[4] Navarro Garcia, José Luis et Pablo Lozano, Eulalia, Loc. Cit., p. 125-126.