Pinguiss mania
Notice
Reportage à Douala au Cameroun, à Paris et Sarcelles consacré au phénomène de la danse Pinguiss qui électrise les discothèques camerounaises. Commentaire sur images factuelles et extraits d'un clip alternant avec l'interview de Daniel, Camerounais, inventeur de cette danse, et des danseurs ... C'est Daniel Baka'a qui a inventé le Pinguiss, une danse , aussi insolite qu'athlétique. Athlétique parce que le ' Pinguiss ' se danse presque à cloche-pied. Le danseur doit sautiller sur lui-même, virevolter et aller dans tous les sens : en avant, en arrière, à gauche, à droite, et ainsi de suite.
Éclairage
Le Pinguiss est un mouvement chorégraphique et musical qui apparaît au Cameroun à la fin de l'année 2010 avec la sortie du premier album éponyme de Daniel Anatole Mbaka Wassi, connu aussi sous les surnoms de Daniel Bakka ou Daniel Pinguiss. Une chanson, elle aussi appelée Pinguiss, aura suffi pour poser le concept chorégraphique, et lancer une mode reprise ensuite par les communautés camerounaises à l'étranger.
D'un point de vue technique, le Pinguiss se définit par un motif de base, qui se concentre sur le bas du corps, et qui s'agrémente ensuite des improvisations et techniques de chacun : alors que le danseur sautille sur sa jambe gauche (qu'il peut de temps à autre échanger avec la droite) dans l'alignement du corps, celle de droite vient l'ornementer par des mouvements dissociés. La rapidité de la musique impose à chaque performance un rythme soutenu qui donne au spectateur une impression de légèreté.
Mais derrière une apparence soignée, une imagerie flatteuse et des techniques “créatives” globales, le Pinguiss nous montre l'univers insoupçonné de ces jeunes artistes qui n'ont, pour la plupart, pas eu d'enseignement artistique académique. Ils pratiquent dans les rues, ou dans un cadre familier, avant de se lancer dans un milieu professionnel où il est extrêmement difficile de réussir. Au Cameroun comme dans de nombreux pays africains, les différentes crises politiques et économiques n'ont pas permis de construire une politique culturelle pérenne ou de faire perdurer une industrie artistique qui aurait pu soutenir l'émergence de ces genres. Cet environnement fragile n'a pas pu faire face aux évolutions artistiques qu'ont introduites les technologies du numérique. La dématérialisation de l'objet artistique, ainsi que de son économie, dont les conséquences sont souvent vues négativement (piraterie, banqueroute de l'industrie du disque ...) ont pourtant permis de nouvelles opportunités en offrant de nouveaux outils à des publics plus larges.
C'est donc dans une économie de subsistance et sur les ressources d'un modèle traditionnel – aux antipodes des images véhiculées dans leurs vidéoclips – que les artistes réussissent à s'exprimer. Faute d'un système créatif articulé, les danseurs deviennent musiciens, tout autant que graphistes, diffuseurs, vendeurs. Les plus expérimentés prennent sous leurs ailes les plus jeunes, et partagent avec eux, connaissances, créations, nourriture, argent, logement. Daniel et ses danseurs finissent par ne faire qu'un. Et si l'artiste-star n'a pas sa troupe pour l'accompagner, il n'a plus rien.
Ce reportage nous montre aussi que les frontières (légales, physiques, symboliques) ne sont pas aussi simples à traverser que ces musiques le laissent paraître. Si la musique se passe souvent de droit pour traverser pays et océans, les artistes africains, eux, se heurtent souvent aux difficultés d'obtention du visa. Alors que l'Afrique rêve de la Tour Eiffel et des Grands Magasins, le Paris qui est le sien est en banlieue, dans un cadre communautaire, bien loin des clichés de la ville lumière et de ses grandes salles de concerts. Qu'importent ces difficultés, le Pinguiss permet à Daniel Anatole Mbaka Wassi d'être grâce à son art « comme un président de la république ».