Gilles Gleizes à propos de Médée de Sénèque
Notice
Interview de Gilles Gleizes, entrecoupée de courts extraits du spectacle donné à la Cartoucherie de Vincennes : le metteur en scène rappelle la filiation entre la tragédie sénequienne et les pièces à vengeance élisabéthaines, avant d'évoquer les parties chorales, pour lesquelles ont été élaborées une musique spécifique et une langue fictive, et les décors monumentaux, conçus pour mettre en valeur la solennité de l'action.
Éclairage
On ne songe plus guère aujourd'hui à contester au philosophe stoïcien Sénèque, précepteur de Néron qui le força à se suicider en 65 après J.-C, la paternité des neuf tragédies qui nous sont parvenues sous son nom. On connaît en revanche très mal le contexte dans lequel elles furent représentées : à une époque où la cérémonie des Jeux n'accueillait plus guère de pièces de théâtre, il est probable que ces tragédies aient été destinées à des récitations privées chez de riches particuliers. En revanche leurs sujets, tirés de tragédies grecques, sont conformes à ceux de la tragédie romaine traditionnelle.
Le sujet de Médée était apprécié depuis longtemps par les dramaturges romains : Ennius, Accius et Ovide lui avaient consacré des tragédies avant que Sénèque n'écrive la sienne à partir de celle d'Euripide (voir ce document). Comme toute tragédie romaine, Médée donne à voir la transformation d'une personne humaine en monstre par le biais d'un acte criminel : c'est en tuant ses enfants que la magicienne accomplit l'acte ultime qui fera d'elle la Médée de la mythologie. Pour cela, elle bascule dans un état de furor, une folie violente qui l'exclut de la communauté humaine. Contrairement à ce qu'on trouve dans la tragédie grecque, qui réserve les crimes au hors-scène, la Médée de Sénèque commet son double infanticide sous les yeux des spectateurs : théâtre du monstre et de la monstration, la tragédie romaine préfigure bien la violence du théâtre élisabéthain.
Gilles Gleizes met en scène la pièce de Sénèque dans la nouvelle traduction de Florence Dupont, en respectant l'alternance entre dialogues parlés et parties chorales chantées. Animé par une musique de Michel Musseau, le chœur chante en une langue inconnue aux accents méditerranéens et primitifs. La scénographie, afin de conférer solennité et majesté au jeu des comédiens, reprend les trois portes monumentales du mur de scène romain.