Oedipe-Roi mis en scène par Jean-Pierre Vincent

22 juillet 1989
04m 53s
Réf. 00303

Notice

Résumé :

Œdipe-Roi de Sophocle est mis en scène par Jean-Pierre Vincent au Festival d'Avignon. Outre des interviews du décorateur Jean-Paul Chambas et du metteur en scène Jean-Pierre Vincent, le document comporte deux extraits du spectacle : la scène du 2e épisode où Jocaste tente de dissuader Œdipe d'abandonner son enquête, et l'arrivée d'Œdipe, les yeux crevés, dans l'exodos.

Date de diffusion :
22 juillet 1989
Source :
FR3 (Collection: SOIR 3 )

Éclairage

Entrant dans la carrière de dramaturge à une époque où Eschyle s'était imposé depuis longtemps comme le grand auteur tragique d'Athènes, Sophocle (496-406) n'eut que brièvement le temps d'être son rival ; à la mort d'Eschyle en 456 av. J.-C., c'est avec son contemporain Euripide que Sophocle eut à partager les honneurs suprêmes de la scène tragique. À l'initiative de l'ajout d'un troisième acteur sur la scène tragique, Sophocle recentre également les enjeux des pièces sur l'individu et ses choix, proposant ainsi un théâtre plus directement humain, moins chargé de surnaturel que celui d'Eschyle.

Œdipe-roi fait aujourd'hui partie de ses pièces les plus célèbres et les plus jouées. L'histoire du héros Œdipe, roi de Thèbes amené à découvrir l'effroyable secret de sa naissance pour sauver sa cité de la peste (sans doute un souvenir de la peste qui avait frappé Athènes quelques années avant la création de la pièce), est contenue en germe dans son nom : Oidipous, « pied enflé », renvoie à l'abandon d'Œdipe, les pieds liés, par ses parents Laïos et Jocaste, à la suite d'une prophétie leur ayant annoncé que l'enfant tuerait son père et épouserait sa mère. Toute la tragédie d'Œdipe-roi consiste pour le protagoniste à retrouver cette identité originelle, par le biais d'une enquête longue qui rencontre de nombreuses résistances. Si la découverte de son double crime, au dénouement, le conduit à la mutilation et à l'exil, elle lui permet aussi d'assumer pleinement son identité, avec la majesté et la grandeur dont il fera preuve dans Œdipe à Colone.

En 1989, Jean-Pierre Vincent met en scène à la suite Œdipe-roi et Œdipe à Colone avec la même équipe artistique, afin de mieux faire apparaître cette mise en perspective mutuelle des deux tragédies. Il met l'accent, dans sa lecture, sur la recherche d'idéal qui est celle d'Œdipe, l'idéal perdu d'une enfance dont le secret lui échappe, puis l'idéal d'une pureté et d'un sacrifice qu'il oppose à la souillure du monde.

Céline Candiard

Transcription

Présentatrice
Le festival d’Avignon, il se poursuit sous le beau temps et avec le succès habituel, on est en pleine tragédie grecque en ce moment avec la trilogie présentée par Jean-Pierre Vincent, le metteur en scène. Un Oedipe-Roi, Oedipe Tyran, remarquablement interprété par Aurélien Recoing, dans des décors du peintre Jean-Paul Chambas. C’est à voir dans ce reportage signé, Elisabeth Kiledjian et Marc Dou pour les images.
Journaliste
Derrière ces images, l’amour du sud, une collection hétéroclite de cartes postales et de vieux papiers entassés dans une petite valise. Une longue élaboration, le hasard, l’envie de s’inspirer du théâtre d’Epidaure avec cette disposition qui permet au spectateur de regarder d’autres spectateurs assister à la tragédie. Vieux complice du metteur en scène Jean-Pierre Vincent, le peintre Jean-Paul Chambas a du mal à admettre que ses décors puissent désormais se passer de lui. Il se verrait volontiers vagabonder à l’entracte un pinceau à la main pour approfondir là une touche de bleue.
Jean-Paul Chambas
Je ne sais pas si les autres décorateurs font ça, je ne pense pas du tout aux comédiens. Quand je fais mon décor, je ne pense pas du tout et je me l’impose presque. Il se trouve que pour ce décor-là, c’était un peu particulier parce qu’il est, en fait pour moi, il me semble qu’il est plus beau pour les comédiens, que même pour le public. C’est-à-dire qu’ils vivent dans ce lieu et quand ils regardent un grand ciel, ils peuvent courir et se jeter dedans. Le public, il voit un grand ciel, ce que j’ai voulu, quand même, c’est que ces grands ciels soient comme des toiles. Alors effectivement pour un comédien, ce n’est pas le même rapport qu'il peut avoir avec ce que ferait un vrai scénographe. Je suis pas un scénographe, je suis un peintre qui fait des décors. Et effectivement pour les comédiens, il doit y avoir un petit problème au départ. Et je suis un peu obligé très souvent d’aller leur en parler, de leur expliquer, de faire des numéros qui ne sont absolument pas démagogiques, mais qui sont des numéros de plaisir d’ailleurs puisque je les aime beaucoup. Mais c’est vrai que dès fois il me font chier dans le décor !
Comédien
Femme, c’est ici l’homme que nous voulions voir à l’instant et celui dont il parle.
Comédienne
Oui, je t’en prie c'est parole vaine.
Comédien
Non ! Avec de tels habits je ne renoncerai pas à mettre à lumière ma naissance.
Comédienne
Par les Dieux ! Si tu tiens à la vie, ne cherche pas, tu t'es passé de mon mal à moi.
Comédien
Ne t’inquiète pas, même si je descendais de trois générations d’esclaves, tu n’en serais pas déshonorée.
Comédienne
Obéis-moi ! Je t’en supplie. Ne fais pas cela !
Comédien
Je ne t'obéirai pas. Je veux tout savoir.
Jean-Pierre Vincent
Je crois surtout que, c’est quelque chose qui a avoir avec l’enfance. Nous avons tous, malgré les bonheurs, une vie de chien. La vie est une "chiennerie", la vie, on l’espère toujours qu’elle va être simple. Et elle est toujours pleine de complications qu’il faut résoudre et une fois que les complications sont résolues, il y a d’autres complications. Et on voudrait toujours revenir au point, d’avant les complications, d’avant les fautes, d’avant les culpabilités, d’avant les punitions. Et je crois que c’est de ça que cette pièce rêve. C’est qu’il y a au milieu de cette pièce un enfant. Quand on a transpercé les pieds, sans qu’il ait été fautif.
Comédien
Car si j’étais mort à ce moment et je ne m’affligerais pas moi-même ni mes amis.
Journaliste
Un souverain d’une intelligence et d’une honnêteté peu communes, qui ne flanche jamais dans sa recherche de la vérité même quand sa propre enquête referme sur lui un piège mortel; lui qui voulait sauver Thèbes de la peste, il a encore le courage de ne pas mourir.
Comédien
Aujourd’hui je suis sans Dieu ! L’enfant des impies, semblable avait pris pour scène ma misérable destinée.
Jean-Pierre Vincent
Il dit, c’est plus courageux de, et plus exemplaire, de vivre dans le monde les yeux crevés parce que le monde est affreux à regarder. Je laisse derrière moi un monde médiocre, et je vais m’y balader. Je vais le parcourir dans sa médiocrité, alors que si j’étais mort, je ne pourrais pas témoigner de ce qui m’est arrivé.
Comédien
Ah ! celle qui est dans la maison. Tu donneras la sépulture que tu veux, s’agissant des tiens, tu feras ce qu’il faut quant à la ville de mon père que, toujours de mon vivant, on me juge indigne d’y séjourner. Laisse-moi plutôt habiter les montagnes.
Journaliste
Par ici des incestes, des transgressions tellement tabous qu'Athènes s'interdisait, la simple prononciation de ces mots. Au-delà des implications morales et politiques, il est question de liberté et de destin. Savoir au bout du compte, qui tire les ficelles, et si notre vie se joue vraiment sans nous.