Œdipe-Tyran de Sophocle, adaptation d'Hölderlin, mis en scène par Jean-Louis Martinelli

10 juillet 1998
02m 41s
Réf. 00304

Notice

Résumé :

Interviews du metteur en scène Jean-Louis Martinelli et des comédiens Christine Gagnieux et Charles Berling, entrecoupées de très courts extraits du spectacle : la scène du 2e épisode où Jocaste tente de dissuader Œdipe d'abandonner son enquête, et l'arrivée d'Œdipe, les yeux crevés, dans l'exodos.

Date de diffusion :
10 juillet 1998
Source :
FR3 (Collection: SOIR 3 )
Fiche CNT :

Éclairage

Lorsqu'il traduit Œdipe-roi de Sophocle (voir ce document) en 1804, Hölderlin est malade et sur le point de sombrer dans la folie. Pourtant sa traduction et les Remarques qui l'accompagnent témoignent d'une lecture forte et lucide de l'œuvre de Sophocle, à l'opposé de l'interprétation lisse laissée par l'âge classique : son travail met ainsi en valeur la violence sauvage du texte grec et insiste sur la responsabilité du héros, donnant ainsi à la tragédie une modernité inattendue.

Mal reçue de son vivant, la traduction d'Hölderlin donne à la pièce de Sophocle une dimension politique particulière en accentuant la dimension despotique prise par le héros au cours de son enquête ; il choisit d'ailleurs de la mettre en évidence en intitulant la pièce Œdipe le tyran, à l'encontre de la tradition qui l'avait précédé. Mais Hölderlin relie cette tyrannie d'Œdipe à sa quête d'un savoir total, interprétant le nom du personnage à partir du verbe grec oida, « savoir ». Pour lui, Œdipe est l'objet de la grande tentation métaphysique moderne, celle d'un savoir absolu qui confèrerait le pouvoir absolu, permettant ainsi la transgression de la limite entre humain et divin. C'est en ce sens qu'Œdipe est pour Hölderlin un héros tragique moderne, parce qu'il se fait lui-même responsable de sa misère au lieu d'être un simple jouet des dieux.

La mise en scène proposée par Jean-Louis Martinelli au Festival d'Avignon, appuyée sur la traduction et la dramaturgie de Philippe Lacoue-Labarthe, met en évidence la place particulière du politique dans la traduction d'Hölderlin et donne à voir, par l'extrême tension du jeu des comédiens, la proximité constante de la folie.

Céline Candiard

Transcription

Présentateur
Direction à présent le Vaucluse. C’est dans la cour d’honneur du Palais des Papes que s’est ouvert, il y a tout juste une heure maintenant, le Festival d’Avignon. Au programme, près de 500 spectacles, de théâtre, de musique ou encore de danse, en levée de rideau ce soir une grande tragédie de Sophocle et dans le rôle-clé, Charles Berling. On se souvient de lui notamment dans le film Ridicule. Il revient aujourd’hui à ses premiers amours, le théâtre. Dominique Poncet et Jean-Marc Lalier.
Journaliste
Au fond du bleu clair des yeux, toute l’angoisse du monde. C’est que Charles Berling, 40 ans, le nouvel enfant chéri du cinéma, s’apprête à endosser le rôle d’Œdipe. Œdipe, le personnage mythique de Sophocle, qui est donné ici dans la cour d’honneur du Palais des Papes, dans une adaptation signée Hölderlin. Pour Jean-Louis Martinelli, metteur en scène mais aussi citoyen du monde, jouer ce texte à Avignon, relevait d’un désir fou.
Comédien 1
N’est pas ton mal ? C’est toi qui l’es.
(Silence)
Jean-Louis Martinelli
Moi, ça fait ving ans que j’ai envie de monter Œdipe, depuis que je l’ai lu, je veux dire chacun euh… Œdipe, on a envie d’en parler depuis qu’on est né non ? Donc, mais plus sérieusement, ce qui m’intéresse c’est dans celui-là, chez Hölderlin, c’est justement le rapport qu'il peut y avoir au politique, c’est-à-dire que, à la fabrication de la tyrannie, à la tentation de la tyrannie qui est toujours présente d’une part, et en même temps, à l’être en souffrance.
Comédienne
Lorsque l’enfant, lui, fut né. Il ne se passe pas trois jours qu’il lui lia la jointure des pieds.
Journaliste
Tout le monde connaît l’histoire d’Œdipe-le-Tyran qui finira pourtant les yeux crevés, dans la souffrance indicible d’avoir, sans le savoir, épousé sa mère. Une tragédie terrible mais qui s’écoute comme une pièce romantique.
Christine Gagnieux
C’est vrai que c’est une histoire terrible, c’est une histoire de mort, c’est une histoire de folie, la sensation que c’est tous des êtres qui vont, qui courent tous à la folie quoi ! L’un par désir de connaître, les autres, par désir de comprendre aussi mais de cacher.
Comédien 2
Je te délie parce que tu as les pieds cousus.
Charles Berling
Moi c’est, je me dis peut-être demain, la première, ça va être totalement ratée, on va nous insulter, on va nous dire que c’est pas bien ce qu’on a fait, mais si on regarde le temps qu’on a passé depuis deux mois sur cette pièce jusqu’à maintenant, cette représentation de ce soir, ce que nous, on apprend ; ce qui se passe, est tellement important, tellement exceptionnel quoi, tellement enrichissant que, ensuite, je souhaite que ça soit bien.
Journaliste
Verdict du public, tout à l’heure, vers zéro heure trente.