Les Perses d'Eschyle, film de Jean Prat

30 octobre 1961
02m 55s
Réf. 00302

Notice

Résumé :

Interviews télévisées du réalisateur, Jean Prat, et du compositeur de la musique, Jean Prodromidès, accompagnées d'images du film. Jean Prat insiste sur l'absence de psychologie dans la tragédie grecque, mais récuse toute idée de reconstitution historique : la musique comme les masques ont cherché à souligner la violence et l'étrangeté de ce théâtre.

Date de diffusion :
30 octobre 1961
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )
Lieux :

Éclairage

Apparue au cours des années 530 av. J.-C. et jouée au cours de la fête des Dionysies, la tragédie est le genre théâtral occidental le plus ancien en Grèce. Ne comportant originellement qu'un chœur et un acteur, elle se voit progressivement augmenter de deux autres acteurs et voit l'importance des parties dialoguées augmenter au cours de la période classique au détriment des chants du chœur. Structurée par leur alternance, la tragédie donne à voir la plupart du temps des personnages de la mythologie, plus rarement de l'histoire grecque, et ses effets spectaculaires sont dominés par la thématique du deuil.

Eschyle est le premier des trois grands auteurs tragiques dont les pièces nous soient parvenues. Les Perses, la plus ancienne tragédie conservée, raconte la victoire grecque de Salamine du point de vue des vaincus, huit années seulement après l'événement, auquel Eschyle lui-même participa. Il s'agit donc d'une pièce à part dans l'œuvre du dramaturge : au lieu de célébrer des personnages grecs, issus d'une mythologie ancienne, le chœur tragique chante le deuil de la puissance perse, principale rivale des cités grecques, et dépeint le roi Xerxès sous les traits funestes d'un héros frappé d'hybris.

Le film réalisé par Jean Prat en 1961 pour la télévision avait pour ambition de rendre l'œuvre d'Eschyle accessible au plus grand nombre en ayant recours à un travail d'adaptation avant-gardiste et exigeant. Le tournage mobilisa d'importants moyens : décors monumentaux et stylisés en polystyrène, éclairages puissants afin de produire des effets de lumière marqués, masques hiératiques inspirés des bas-reliefs persans du Louvre. Scandé par la musique de Jean Prodromidès, le film se présente comme un oratorio méditatif aux accents rituels. La force de l'ensemble fut renforcée par une diffusion à la fois télévisuelle et radiophonique, qui utilisait pour la première fois la technique de la stéréo.

Céline Candiard

Transcription

Présentateur
En effet, demain soir, vous pourrez voir sur votre écran Les Perses d’après l’œuvre d’Eschyle. Il s’agit là d’une expérience très originale à la télévision, expérience d’autant plus importante que c’est la première fois que la stéréophonie y est utilisée. Cette œuvre entièrement filmée a déjà été présentée, je le rappelle, au Prix Italia. Jean Prat vous avez assuré la mise en scène et l’adaptation des Perses. Jean Prodromidès vous avez composé la musique. Jean Prat, j’aimerais tout d’abord vous demander s’il s’agit d’une adaptation moderne ou d’une reconstitution historique ?
Jean Prat
En réalité ni l’un ni l’autre. J'ajoute à cela que la tragédie, la tragédie d’Eschyle, je ne parle pas de la tragédie des gens qui ont suivi Eschyle, n’a aucune action, il n’y a pas d’intrigue, il n’y a pas de déroulement dramatique. Les personnages n’ont pas de psychologie, autre difficulté à surmonter. Il nous a semblé que la seule façon de surmonter ces difficultés d’ordres divers était de trouver une formule beaucoup plus proche de ce qu’il est convenu d’appeler le [inaudible] dramatique, et de faire jouer à la musique un rôle déterminant.
Présentateur
Ceci nous amène tout naturellement à parler de la musique. Jean Prodromidès, comment avez-vous envisagé votre rapport aux Perses.
Jean Prodromidès
Et bien vous savez, ce qui m’a frappé dans Les Perses, c’est le côté moderne, le côté actualité de l’œuvre d’Eschyle, et son côté violent et agressif. C’est pourquoi je n’ai absolument pas cherché à reconstituer la musique grecque que d’ailleurs on connaît fort mal. Ça aurait été un travail un peu muséographique qui me paraissait tout à fait inefficace. J’ai écrit une musique, enfin c’est une musique qui emprunte constamment à la technique sérielle et ne j’ai pas cherché dans la musique à arrondir les angles, mais au contraire à les accuser. A accuser la violence de ce langage, à accuser la violence de ces situations.
Jean Prat
Alors, j’ai écrit une traduction qui puisse, je l’espère du moins, être jouée par les acteurs, être déclamée et dans certains cas aussi... dans certains cas aussi chantée.
Présentateur
Puisque vous nous parlez du jeu des acteurs, qu’il ne s’agit pas d’une reconstitution historique, vous venez de le dire, comment se fait-il alors que les acteurs portent les masques de la tragédie antique et que leur jeu soit hiératique ?
Jean Prat
La question des masques, en effet, m’a été posée plusieurs fois, et les personnes compétentes m'ont fait part de leur scepticisme et de leur inquiétude concernant l’usage des masques à la télévision, en me disant en effet, bon, à la télévision, les masques et le gros plan, c'est pas possible. En réalité, ces masques me paraissaient indispensables parce que je ne voulais pas que les acteurs soient reconnaissables. Je voulais qu’on ait l’impression, en voyant ces personnages, qu’il s’agissait si vous voulez de figures de bas reliefs. Mais quand vous verrez l’émission, vous verrez que ces masques ne rappellent en rien les masques du théâtre tragique grec, car Prodromidès et moi avons voulu, et pour les masques et pour le reste, faire des Perses à la télévision un spectacle moderne, un spectacle de type nouveau.