Roger Planchon à propos de Par-dessus bord de Michel Vinaver
Notice
Entretien de Roger Planchon à propos de Par-dessus bord de Michel Vinaver, avec deux extraits de la pièce (1973).
Éclairage
Après avoir monté Les Coréens, au Théâtre de la Comédie (1956), Roger Planchon monte Par-dessus bord au TNP en mars 1973. Cette pièce monstre de Michel Vinaver, comptant soixante personnages, vingt-cinq lieux, des intermèdes dansés et des morceaux de jazz, six mouvements d'une durée de sept heures, est présentée dans une version abrégée par Planchon, avec dans l'un des rôles principaux, André Dussollier. Il faut attendre 1983 pour voir une version intégrale de la pièce dans une mise en scène de Charles Joris au Théâtre Populaire Romand (La Chaux-de-Fonds, Suisse) et surtout 2008 pour la mise en scène de Christian Schiaretti, successeur de Roger Planchon à la direction du TNP de Villeurbanne.
Né en 1927, Michel Vinaver est dramaturge, romancier, critique et metteur en scène. Il commence à écrire dans les années cinquante et ses textes sont très vite mis en scène comme l'atteste la création des Coréens d'abord par Roger Planchon, puis par Jean-Marie Serreau (1957, au Théâtre de l'Alliance française). En 2009, il entre au répertoire de la Comédie-Française, en co-signant la mise en scène avec Gilone Brun de son texte L'Ordinaire. Cette pièce revient sur le drame de la Cordillère des Andes qui eu lieu en 1972 lorsqu'un avion s'écrasa dans les montagnes et que pour survivre, les quelques occupants encore en vie durent se nourrir des restes humains des victimes, avant d'être retrouvés 72 jours plus tard. En reprenant un fait divers inscrit dans les mémoires collectives, Vinaver propose une réflexion sur le comportement humain, entre civilisation et sauvagerie. Avec cette pièce, il devient également l'un des rares auteurs à entrer de son vivant au répertoire de cette maison, aux côtés de Marie N'Diaye ou de Valère Novarina.
En outre, son parcours apparaît atypique puisqu'il est lié pendant plusieurs années au monde de l'entreprise. Entré comme stagiaire chez Gillette en 1953, puis nommé chef du service administratif, il devient PDG de la branche italienne et française entre 1964 et 1966. Il quitte définitivement l'entreprise en 1982 pour entamer une carrière de professeur. Il enseigne à l'Université de la Sorbonne Nouvelle et à Paris 8. En 2005, il se lance dans la mise en scène.
Ce monde de l'entreprise qu'il côtoie quotidiennement pendant des années lui fournit la matière première de nombre de ses pièces dont Par-dessus bord. Cette pièce montre la mise en place de la mécanique capitaliste dans la société occidentale des années soixante. Pour développer son propos, Vinaver s'appuie sur l'étude d'une petite entreprise française, spécialisée dans le papier hygiénique, la maison Ravoire et Dehaze. Confrontée à la concurrence américaine, l'entreprise familiale traditionnelle fait le choix, in fine, de la transformation ultime en multinationale américaine, après avoir jeté par-dessus bord personnels et valeurs fondatrices. A travers cette épopée du capitalisme, Vinaver propose un envers de Mai 68 et analyse le passage à l'ère du marketing, la consolidation de la société de consommation, propre à notre monde moderne. Comme souvent, l'auteur mêle petite et grande histoire à travers le regard de gens ordinaires. Beaucoup de commentateur ont d'ailleurs fait appel à Shakespeare (pour le tragique), Aristophane (pour la farce) et Tchekhov (pour le drame intime) pour évoquer l'écriture du dramaturge et l'enchevêtrement des genres. Ainsi, si le théâtre de Vinaver ne peut être qualifié de politique et encore moins d'engagé, il pose toutefois un regard critique, toujours vigilant, sur son temps.