Alvin Ailey donne les clefs de son spectacle emblématique Revelations créé en 1960
Notice
Filmé en 1974, le chorégraphe Alvin Ailey présente sa jeune compagnie et son style mixte avec humour, en chantant et parfois en français. Des extraits du spectacle Revelations complètent ce reportage.
Éclairage
"Je ne suis pas Maurice Béjart" assène en riant Alvin Ailey (1931-1989) en guise d'introduction. Et d'identifier vite et bien son style hybride, mixant "les traditions des noirs américains ainsi que les techniques classiques et contemporaines". Ce reportage realisé en 1974, au Palais des sports, à Paris, témoigne de la chaleur et de la spontanéité de cette figure de la scène chorégraphique afro-américaine depuis la fin des années 50. A cette époque, lui qui évoque sa troupe fondée en 1958 comme un "enfant" en train de grandir, a pourtant derrière lui quelques pièces remarquables don't une merveille : Revelations (1960). Mais il ne le sait pas encore.
En 2009, au Théâtre des Châtelet, dans le cadre du festival les Etés de la danse, l'Alvin Ailey American Dance Theater fêtait ses 50 ans. Une fois encore, Revelations faisait lever le public comme un seul homme. De bonheur, d'adhésion, de partage aussi avec cette fresque vibrante, retraçant au plus juste des moments clefs de la culture et de l'identité afro-américaine. Véritable perle chorégraphique, synthèse majeure d'une vie et d'un geste artistique, cette pièce interprétée par dix-neuf danseurs possède la solidité et la limpidité qui font les chefs-d'oeuvres.
Alvin Ailey a longtemps rêvé de ce ballet avant de passer à l'acte. Il le porte en réalité depuis son enfance. Né au Texas de parents ouvriers agricoles, il a assisté à des messes baptistes débordantes de chants, des fêtes aux ambiances joyeuses, qui ont tatoué à vie son imagination. Il saura en extraire la moelle de tableaux épurés et ultra-vivants, plein d'émotions derrière la ligne limpide de chaque séquence.
Avec Revelations, Ailey définit son vocabulaire, le brique méticuleusement, en pèse et soupèse le sens sans jamais y perdre son humeur et son identité. Il sait aussi bien secouer les hanches des femmes que leur faire lever les bras au ciel, articuler sensualité et spiritualité. Il sublime le quotidien et la culture noire de l'époque pour en donner une vision magique.
Dans des couleurs sobres – noir, blanc, beige, jaune -, il réussit à faire surgir avec pudeur le tragique et la beauté de la condition noire, son passé, son errance, sa douleur et sa foi aussi. Dépassant la seule évocation d'une communauté, Revelations irradie d'une gravité dévotionnelle à l'impact universel.
Les proches de Ailey disent souvent que le chorégraphe, vers la fin de sa vie, en avait assez d'être identifié à Revelations. On peut le comprendre, tant n'être l'artiste que d'une seule œuvre peut finir par peser. Lorsqu'il créé ce spectacle en 1960, sa troupe, toute jeune et uniquement constituée de noirs, fait figure d'anomalie palpitante. Apolitique selon ses proches collaborateurs de l'époque, Ailey était néanmoins très à l'affût des mouvements militants comme ceux des Black Panthers. Pendant que le gouvernement commençait à soutenir les arts, que de nouveaux publics apparaissaient, Alvin Ailey inventait sa danse et devenait le porte-drapeau de la cause afro-américaine. "La danse noire américaine a joué un rôle artistique et social essentiel dans l'histoire culturelle du XXème siècle, précisait Susan Manning, commissaire de l'exposition Danse noires/blanche Amérique", à l'affiche en 2009 du Centre national de la danse, à Pantin. La plupart des danses de société comme le rag-time puis le hip hop sont nées dans la communauté noire avant de migrer dans la culture blanche dominante. La danse théâtre doit beaucoup aux danseurs noirs de claquettes, mais aussi à Katerine Dunham qui connut un succès mondial dans les années 50, ou encore à Alvin Ailey" [1].
La compagnie Alvin Ailey continue à tenir le haut de l'affiche à New-York et à l'étranger. Elle possède un superbe building à Manhattan abritant aussi la Alvin Ailey II, composée de jeunes danseurs, et l'école. Elle est toujours le porte-drapeau de la danse afro-américaine. Elle accueille des élèves et des danseurs de tous les pays. Quelques français comme les hip-hopeurs Antony Egea et Hamid Ben Mahi ont pu aller y faire leurs classes grâce à des bourses. En 2008, Malik Lenost, né à Perpignan, performait dans la compagnie.
L'histoire de la danse noire américaine s'appuie sur quelques noms phares comme ceux de Lester Horton (1906-1953), créateur de la première compagnie multi-raciale dans laquelle Ailey fit ses armes, de Katerine Dunham (1912-2006) qui publia une thèse sur les traditions des Caraïbes. Mais il faut aussi citer Talley Beatty qui évoqua en 1947 le Ku Klux Klan dans sa pièce Southern Landscape, Arthur Mitchell ( né en 1934) qui fonda le Dance Theatre of Harlem après l'assassinat de Martin Luther King. Plus récemment, Ronald K. Brown ou le hip hopeur Rennie Harris ont fait parler d'eux.
Régulièrement programmé en France, Bill T. Jones a apporté une contribution sociale et politique différente mais tout aussi urgente. Né en 1952 dans une famille d'ouvriers agricoles de douze enfants, Jones articule son histoire personnelle (homosexualité, Sida) avec celle du peuple noir. En 2010, il chorégraphiait Fondly do we hope...Fervently do we pray, inspirée par le vie d'Abraham Lincoln (1809-1865), président des Etats-Unis dont le nom est associé à la guerre de Sécession et à l'abolition de l'esclavage. Une façon de conserver au plus vif les luttes du peuple noir. Entre danse-manifeste et théâtre d'idées, le geste-poing levé de Jones reste toujours aussi déterminé. En 2010, le chorégraphe a fait un carton sur Broadway avec la comédie musicale Fela, hommage au chanteur et musicien nigérian Fela Anikulapo Kuti (1938-1997) qui a raflé trois Tony Awards.
[1] Le Monde, 17/03/2009.