Jean Vilar : du Festival d'Avignon au TNP
Introduction
S'il y a bien un nom connu de tous ceux qui s'intéressent au théâtre en France, c'est celui de Jean Vilar. L'histoire de sa vie croise celles de la plupart des grandes aventures théâtrales de l'après-guerre : le festival d'Avignon, la décentralisation théâtrale, le Théâtre National Populaire, pour ne citer que les étapes les plus importantes de son parcours. Sans être exhaustif, nous essaierons ici de retracer ces aventures qui ont accompagné et influencé l'évolution du théâtre en France, autant esthétiquement que politiquement.
Les débuts
Avant d'être metteur en scène, directeur de troupe puis directeur de festival et de théâtre, Jean Vilar était comédien. Il commence sa carrière en 1935, aux côtés d'André Clavé, alors directeur de la troupe ambulante La Roulotte. Assez rapidement, ses pas le portent vers la mise en scène avec La Danse de mort d'August Strindberg en 1942. En 1943, il fonde sa propre compagnie, la compagnie des Sept, mais il lui faut attendre 1945 pour obtenir la reconnaissance du public, avec Meurtre dans la cathédrale de T.S. Eliot, qu'il présente au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris, alors dirigé par Jacques Copeau. C'est précisément cette mise en scène qui lui ouvre les portes de la Cour d'honneur du Palais des Papes d'Avignon.
Le festival d'Avignon
Suite au succès de Meurtre dans la cathédrale, Jean Vilar est invité par Christian Zervos et René Char à venir présenter le spectacle au Palais des Papes d'Avignon. Christian Zervos, collectionneur et critique d'art, organise alors une semaine d'exposition de peintures et de sculptures contemporaines dans la grande chapelle. Dans un premier temps, Jean Vilar refuse la proposition pour plusieurs raisons ; d'abord il n'a plus les droits sur la pièce, ensuite il lui semble que le Palais est bien trop vaste par rapport aux scènes sur lesquelles il a l'habitude de travailler. Après réflexion, il propose tout de même trois autres pièces : Richard II de William Shakespeare, Tobie et Sara de Paul Claudel et La Terrasse de midi de Maurice Clavel. Les spectacles se déroulent au cours de la première « semaine d'art en Avignon », du 4 au 10 septembre 1947.
Les origines du festival d'Avignon
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Maurice Coussonneau - comédien et ancien assistant de Jean Vilar - et Jean Negroni - comédien et metteur en scène proche également proche de Vilar - reviennent sur les origines du festival d'Avignon. Ils racontent notamment la première rencontre entre Jean Vilar et la cour d'honneur du Palais des Papes.
Cette semaine d'art est assez rapidement renommée festival d'Avignon, et déplacée en juillet. Jean Vilar décide de revenir chaque année pour présenter plusieurs pièces, mêlant des textes classiques et contemporains. Les années qui suivent, il présente notamment La Mort de Danton de Georg Büchner (1948), Le Cid de Pierre Corneille (1949), Le Prince de Hombourg d'Heinrich von Kleist (1951) ou encore Dom Juan de Molière (1953). Jusqu'en 1963, le festival d'Avignon n'est composé que des créations de Jean Vilar et de sa troupe, dans laquelle on retrouve Jeanne Moreau, Jean Negroni, Germaine Montero, Alain Cuny, Michel Bouquet, Jean-Pierre Jorris, Silvia Montfort ou encore Gérard Philipe qui les a rejoint en 1951.
Le public est de plus en plus nombreux au rendez-vous du mois de juillet, et le festival d'Avignon devient rapidement un lieu incontournable du théâtre en France. Ses objectifs - s'adresser à un public plus large, rendre le théâtre accessible en province, redonner vie à des œuvres classiques et modernes - sont en partie atteint, et s'inscrivent alors dans la politique de décentralisation théâtrale qui éclot en France après-guerre. Le premier centre dramatique national a ouvert ses portes en 1947 à Colmar, et bien d'autres metteurs en scène travaillent à sortir le théâtre de son carcan élitiste et parisien. Le travail de Jean Vilar à Avignon rejoint ainsi celui de Maurice Sarrazin à Toulouse, d'Hubert Gignoux à Rennes ou de Jean Dasté à Saint-Etienne. Reconnaissant son travail de terrain, Jeanne Laurent, sous-directrice des spectacles et de la musique à la direction générale des Arts et Lettres, le nomme directeur du Théâtre National Populaire (TNP) en 1951. Il accepte le poste tout en continuant de diriger le festival, au cours duquel sont présentés les créations du TNP.
En 1964, Jean Vilar, qui refuse de se laisser enfermer dans une routine, entreprend l'ouverture progressive du festival à d'autres metteurs en scène. Il perçoit la nécessité de cet élargissement pour éviter au festival de s'enliser. Il invite d'abord Georges Wilson, qui fait partie de la troupe d'acteurs du TNP, à présenter deux mises en scène, Luther de John Osborne et Romulus le grand de Friedrich Durenmatt en 1964. Mais c'est en 1966 qu'intervient un changement plus radical ; la programmation passe de trois ou quatre spectacles à une douzaine. Surtout, il invite pour la première fois Roger Planchon, qui a créé le Théâtre de la cité de Villeurbanne en 1957, et Jacques Rosner, deux metteurs en scène de la décentralisation. Il programme également pour la première fois de la danse, avec sept chorégraphies de Maurice Béjart (Bacchanale, Boléro, Cygne, Erotica, L'Art de la barre, Pas de deux - Opus 5 et Sonate à trois).
Création de Messe pour un temps présent au Festival d'Avignon
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Le chorégraphe Maurice Béjart présente sa dernière création, Messe pour le temps présent, au Festival d'Avignon. Au cours d'une interview, entrecoupée d'extraits du spectacle, il répond sur les motivations qui l'ont mené à créer en Avignon, et décrit rapidement son travail chorégraphique.
Peu à peu, le festival s'agrandit ; la programmation est de plus en plus riche, accueillant à la fois théâtre, danse, musique, cinéma (avec notamment Jean-Luc Godard en 1967) et de nouveaux lieux sont investis un peu partout dans la ville, comme le Cloître des Carmes (1967) ou le Cloître des Célestins (1968).
Paul Puaux présente le 27e festival d'Avignon
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Paul Puaux, administrateur du festival d'Avignon depuis la mort de Jean Vilar en 1971, présente la programmation du 27e festival d'Avignon. Cette année est consacrée aux compagnies de la décentralisation : Gabriel Garran, Antoine Bourseiller, Marcel Maréchal, Jacques Rosner, etc.
Le TNP
En parallèle de son travail au festival, Jean Vilar a considérablement marqué l'histoire du Théâtre National Populaire durant son mandat à la direction de 1951 à 1963. Fondé par Firmin Gémier en 1921, le TNP ne fonctionnait plus depuis sa mort en 1933 lorsque Jeanne Laurent décide de lui donner une seconde vie. En soutenant Jean Vilar, elle espère restaurer un théâtre réellement populaire, à la rencontre d'un public le plus large possible.
Histoire du TNP
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Une animatrice, au Centre de formation sociale de Maltot (Basse-Normandie), en milieu rural, présente l'histoire du TNP, avec plusieurs diapositives. Elle remonte à la fondation du TNP par Firmin Gémier, puis elle aborde la direction de Jean Vilar en 1951 au Palais de Chaillot.
Dès son arrivée, Jean Vilar est soucieux de créer un théâtre de « service public ». Le Palais de Chaillot dans lequel le TNP était installé historiquement est alors occupé. En attendant de retrouver cette salle, il crée un petit festival à Suresnes, du 17 novembre au 2 décembre 1951, poursuivant sa politique de décentralisation. Par la suite, le TNP retourne au Palais de Chaillot, où Vilar poursuit sa politique de démocratisation du théâtre :
« Il est difficile d'imaginer aujourd'hui à quel point ces innovations et le climat ainsi créé apparurent presque « exotiques » dans le théâtre parisien de l'époque. Enumérons-les rapidement : L'heure du spectacle fut avancée à 20 heures pour permettre au public de rentrer tôt. Les portes étaient ouvertes dès 18h30, afin que les spectateurs puissent venir directement de leur lieu de travail au théâtre à des prix abordables, au son d'un petit orchestre. Tous les pourboires furent supprimés. Il ne s'agissait pas là d'un détail sans importance, bien au contraire. Il traduisait le désir de se mettre à la place d'un public qui n'a pas l'habitude de venir au théâtre et se trouve souvent intimidé devant les usages qu'il ignore.[...] Les formules de location furent multipliées et diversifiées : par téléphone, par correspondance avec envoi des billets à domicile. Le programme, sans publicité, comprenait le texte intégral de la pièce, il était vendu 1 franc (1955-1960). L'accès de la salle fut interdit aux retardataires, jusqu'au premier « noir ». » [1]
Cette démarche a du succès : après plusieurs mois de démarches actives - on peut citer notamment la mise en place d'une collaboration avec les comités d'entreprise et les associations de travailleurs pour faire venir un nouveau public -, le palais de Chaillot se remplit au-delà de toute espérance et le travail de Vilar obtient une reconnaissance certaine dans le monde du théâtre.
Jean Vilar à propos du Palais de Chaillot
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Jean Vilar détaille les défauts et vertus de la scène du Palais de Chaillot. Elle a la particularité d'être beaucoup plus large que profonde, ce qui pose différents problèmes de mise en scène, et c'est un très grand plateau, qui, selon Jean Vilar, ne se prête pas à toutes les pièces.
Tentant de concilier une exigence artistique avec un théâtre de service public, Vilar ne fait pas de compromis dans le choix des pièces qu'il met en scène. Au cours de son mandat comme directeur du TNP, il propose Ruy Blas de Victor Hugo, Ubu roi d'Alfred Jarry ou encore La Résistible ascension d'Arturo U i de Bertolt Brecht au public de Chaillot. Il n'hésite pas à mettre en scène des pièces politiques en pleine guerre d'Algérie, affirmant par là son point de vue. Au-delà du projet de fonder un théâtre réellement populaire, Jean Vilar a été l'un des grands metteurs en scène du XXe siècle, dont le travail a marqué une génération. « Il est évident qu'une organisation du public, si bonne qu'elle fût, n'aurait pas réussi si les spectacles n'avaient pas remporté l'adhésion des spectateurs. Dans un théâtre, quel qu'il soit, tout part de la scène et tout y revient. Et c'est heureux. » [2]
Cependant, la lassitude face à de trop nombreux soucis budgétaires l'emporte, et Jean Vilar finit par démissionner de son poste de directeur en 1963, constatant que l'Etat ne met pas les moyens nécessaires à l'accompagnement de son projet. C'est Georges Wilson qui lui succède. Le TNP attendra cependant l'arrivée de Roger Planchon en 1972, pour connaître un nouveau souffle, laissant le Palais de Chaillot pour le Théâtre de la Cité de Villeurbanne.
Le TNP s'installe à Villeurbanne
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Lorsque Roger Planchon succède à Georges Wilson à la tête du TNP (Théâtre National Populaire), celui-ci quitte la Palais de Chaillot pour s'installer à Villeurbanne, en banlieue de Lyon. Roger Planchon entend faire du TNP un théâtre nomade, qui organisera un certain nombre de festivals d'hiver dans différentes villes de province.
Jacques Duhamel annonce le déménagement du TNP
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Jacques Duhamel annonce le déménagement du TNP à Villeurbanne et les nouveaux projets pour le Théâtre de Chaillot. Il a nommé Jack Lang à la tête de Chaillot. Ce dernier présente son projet pour le Théâtre de Chaillot, et Roger Planchon le sien pour le TNP à Villeurbanne.
[1] DEBEAUVAIS Sonia, « Public et service public au TNP » in ABIRACHED Robert (sld), La Décentralisation théâtrale, 1. Le Premier âge 1945-1958, Actes Sud Papiers, Les Cahiers Théâtre/éducation, n°5, 1992, p. 118-119.
[2] DEBEAUVAIS Sonia, « Public et service public au TNP » in ABIRACHED Robert (sld), La Décentralisation théâtrale, 1. Le Premier âge 1945-1958, Actes Sud Papiers, Les Cahiers Théâtre/éducation, n°5, 1992, p. 123.
Le tournant de 68
Après avoir quitté la direction du TNP, Jean Vilar se consacre uniquement au festival d'Avignon. La politique d'ouverture du festival qu'il a mis en place depuis 1966 s'établit de manière satisfaisante, du moins aux yeux des organisateurs. Paul Puaux en parle ainsi : « L'année 1967 fut l'aboutissement le plus harmonieux de cette volonté d'ouverture. L'atmosphère était parfaite. Mais sans doute n'a-t-on pas assez mesuré l'avertissement du film de Godard, La Chinoise, présenté en première vision dans la cour du Palais des Papes. » [1]
Mais l'année 1968 va bouleverser profondément le festival et Jean Vilar. Les événements de mai obligent les organisateurs à revoir la programmation qui avait été établie au cours de l'année. Vilar décide qu'il n'y aura aucune troupe française au festival de 68 pour éviter les divisions. Malgré tout, une programmation est établie avec, entre autres, le Living Theatre et Maurice Béjart. Au mois de juillet 1968, le déroulement du festival est fortement perturbé par plusieurs dizaines de contestataires, pour la plupart descendus de la capitale pour le festival. Des manifestations ont lieu devant les lieux de représentations et les tensions s'accumulent entre le festival, les autorités locales et les différents publics présents. A cela s'ajoute un rapport difficile entre le Living Theatre, mené par Julian Beck, le festival et la Mairie d'Avignon [2]. Le Living Theatre finit par quitter prématurément Avignon, et après de nombreuses perturbations, le festival se termine tant bien que mal, dans un climat morose.
1968 : Manifestations au festival d'Avignon
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Après des images de plusieurs manifestations pendant le festival d'Avignon de 1968, Jean Vilar est interviewé devant le Palais des Papes, où plusieurs dizaines de personnes se sont réunies aux cris de « Béjart, Vilar, Salazar » avant le début d'un spectacle. Il parle de « quelques camarades un peu trop vifs » minimisant les propos du journaliste qui évoque des « violences ».
« D'une certaine façon, on peut penser que le théâtre s'est installé pour un mois dans les rues d'Avignon pour jouer un mimo-drame de révolution. D'autres analyseront sans doute en quoi ce type d'aventure a influencé ou non les pratiques du théâtre dans les années suivantes. On ne s'étonnera pas que je reprenne simplement ici les paroles de Vilar. « Ce théâtre communautaire dont nous rêvons tous, je veux dire ce théâtre non pas à tout prix révolutionnaire ou impulsif mais naviguant sûrement à contre-courant des habitudes, des traditions confortables et œcuméniques, des politiques installées, des droits acquis, le théâtre pour le peuple, pour le populaire, pour l'ouvrier des villes aussi bien que pour celui des campagnes isolées, ce théâtre n'est-il qu'une utopie nécessaire ? N'est-il qu'un idéal ? Comme l'égalité ? Ou la liberté ? Du moins cette vue d'apparence pessimiste eu égard à notre entreprise ne nous a jamais arrêtés dans notre action depuis toujours. Nous continuons et nous continuerons. « Il ne faut parler, dit Nietzsche dans Humain, trop humain, que de ce que l'on a surmonté ». » » [3]
Cet épisode de juillet 1968 a un impact très important sur Jean Vilar. Les critiques dont il a été l'objet l'ont durement affecté. Il ne cessera de remettre en cause son travail, de le repenser et de le faire évoluer jusqu'à sa mort brutale deux ans plus tard, en 1971. Les événements de mai à juillet 1968 ont été le signe d'un basculement théâtral, et plus généralement artistique, où les méthodes de travail, les attentes esthétiques et politiques ont été remises en cause. La grande force de Jean Vilar aura été de ne jamais empêcher ces remises en cause, d'accepter que le théâtre et la société avancent, évoluent tout en continuant à marcher à leurs côtés. « Ma profession et mes collègues me paraissent bien inquiets. Ils semblent ne plus savoir ce qu'il faut faire. C'est pourtant simple : continuer. C'est le dernier mot du capitaine Edgar de La Danse de mort et ...d' Enrico Quarto . Deux fous, il est vrai. « Continuer » bien sûr si vous croyez que votre passé, lointain ou récent, fut valable. C'est-à-dire : utile, peu ou prou, aux autres. » [4]
Tout au long de sa vie, Jean Vilar a contribué à ces changements. Tout en admettant leur imperfection, il a continué à avancer malgré tout : le manque de moyens, les critiques vis-à-vis de sa démarche, les pressions politiques. Il reste aujourd'hui un des grands hommes de théâtre de l'histoire contemporaine, dont les idées n'ont pas fini de faire leur chemin.
[1] PUAUX Paul, « Avignon 68 » in ABIRACHED Robert (sld), La Décentralisation théâtrale, 3. 1968, le tournant, Actes Sud Papiers, Les Cahiers Théâtre/éducation, n°8, 1994
[2] Pour plus de précisions sur les événements de 1968 au festival d'Avignon, on peut se référer aux articles de Paul Puaux et Jean-Marie Lamblard dans ABIRACHED Robert (sld), La Décentralisation théâtrale, 3. 1968, le tournant, op.cit.
[3] Ibid ., p. 109.
[4] Note de Jean Vilar du 14 octobre 1968 in Jean Vilar par lui-même, Maison Jean Vilar, Avignon, 1991, p. 297.