Pierre Dumayet
... maintenant qu'il a existé, Zorba ?
Max-Pol Fouchet
Absolument.
Moi, je n'ai jamais douté de son existence
et j'en doute encore moins, ce soir,
depuis que je connais monsieur Kazantzakis
car tout à l'heure, monsieur Kazantzakis disait qu'il aurait voulu être Zorba
mais il est Zorba.
Il est Zorba par ce qu'il écrit, par ce qu'il pense, par sa sensibilité, absolument.
Et d'ailleurs, je dois dire que le personnage principal
de ce qu'en cinéma, on appelle « Celui qui doit mourir », n'est-ce pas ?
(je dis ce titre volontairement pour que les auditeurs rejoignent plus facilement votre livre),
et bien c'est aussi quelqu'un qui est très proche de Zorba.
Votre berger qui, à un moment donné, choisit la justice, choisit la charité
ne danse peut-être pas mais enfin, il pourrait danser.
Et j'ai toujours l'impression que vos livres sont très proches du fond mythologique grec
car votre Zorba est, après tout, une sorte d'Antée, si vous voulez.
Il prend contact avec la terre et il y trouve sa force
et c'est dans la terre même qu'il trouve sa force et son ordre,
car s'il est anarchiste, disons, d'une façon facile,
il a un ordre qu'il respecte et c'est celui qui est l'ordre de la terre
qui est l'ordre plutonien par excellence.
Pierre Dumayet
Je crois qu'il faudrait poser quelques questions, maintenant, sur le Pauvre d'Assise
qui est le roman qui vient de paraître.
Vous avez écrit ce livre par reconnaissance, m'avez-vous dit,
parce que François d'Assise vous a sauvé deux fois la vie.
Nikos Kazantzakis
Oui.
J'avais une dette envers Saint François d'Assise,
c'est pour cela j'étais...
j'avais le grand désir d'exprimer ma reconnaissance en écrivant sur lui un livre.
Et la première fois qu'il m'a sauvé la vie, c'était pendant l'Occupation allemande.
Les Allemands... J'étais dans une petite île tout près d'Athènes, alors les Allemands...
Nous n'avions rien à manger.
Et j'étais presque mourant de faim.
Et tout le monde mourait autour de moi.
Alors un jour, je reçois une lettre d'un frère Franciscain qui habite à Athènes.
Il me dit :
« Si vous voulez traduire la biographie de Saint François d'Assise faite par Jurgensen,
alors nous enverrons une caisse de vivres ».
Alors je suis tout de suite... j'ai reçu...
c'était une caisse qui avait des choses merveilleuses, presque inconnues,
et je les avais oubliés, c'est-à-dire du sucre, du café, macaroni, riz etc.
Et j'ai écrit ce livre-là avec un grand prologue.
Pierre Dumayet
Et la seconde fois ?
Nikos Kazantzakis
La seconde fois, c'était lorsque j'étais gravement malade
alors j'ai pensé, tout à coup, à Saint François d'Assise.
C'est-à-dire j'ai voulu penser à un homme qui a pu vaincre la mort.
Et j'ai pensé tout de suite à Saint François d'Assise.
Et pendant... j'avais une fièvre, de la fièvre, 40, 41, je ne sais pas, comment.
Et ma femme venait, elle me dit :
« Prenez le stylo et je vous dicte ».
Et j'ai commencé à lui dicter Saint François d'Assise.
Et surtout, les choses poétiques.
Je me souviens que je lui ai dit, un jour...
Parce que vous savez, ce n'est pas une biographie ce livre-là,
c'est une synthèse de biographie, les poésies et les choses
que Saint François n'a pas dites mais qu'il pouvait dire
parce qu'il était [inaudible].
Alors j'ai dit à ma femme :
« Prenez le crayon et écrivez.
Je vais dicter une chose que Saint François n'a pas dite mais il pouvait bien le dire ».
Il a vu, un jour, Saint François, un amandier en plein hiver.
Alors Saint François lui dit :
« Frère amandier, parle-moi de Dieu ».
Et aussitôt, l'amandier se couvrit de fleurs.
C'était tout à fait franciscain, n'est-ce pas ?