Nikos Kazantzakis à propos de Zorba le grec et du Pauvre d'Assise

22 mai 1957
04m 09s
Réf. 00005

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Résumé :

Entretien avec Nikos Kazantzakis à propos de deux de ses livres Zorba le grec et le Pauvre d'Assise.

Type de média :
Date de diffusion :
22 mai 1957
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Éclairage

Nikos Kazantzakis est né en 1883 à Héraklion, en Crète, et décédé en 1957 à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne). Son enfance et sa jeunesse sont marquées d'une double expérience, matrice de sa vie et de son oeuvre futures : l'exil de Crète - en proie à des insurrections dans les années 1880 - qui le rendra farouchement nationaliste ; et la philosophie nihiliste de Nietzsche, à laquelle il consacre sa thèse de doctorat.

A partir de 1910, installé en Grèce, il commence à publier et forge son panthéon personnel : Homère, Nietzsche bien sûr, Bergson, Georges Zorbas (rencontré en 1914), auxquels s'ajouteront plus tard le Christ et Bouddha, Lénine et Trotski. A partir des années 1920, il voyage dans toute l'Europe - il est en Espagne pendant la guerre civile -, en URSS et en Asie. Parallèlement, il poursuit une carrière politique, dans son pays et à l'UNESCO. Doté d'une capacité de travail prodigieuse, il écrit une oeuvre immense : poésie, tragédies, récits de voyage, essais philosophiques, romans, traductions. Son Odyssée (1938) est une épopée rédigée sur plus de 10 ans, composée de 33 333 vers de 17 syllabes.

En 1946, paraît son oeuvre phare, Zorba le Grec. En 1951, La Dernière Tentation fait scandale : dans cette oeuvre mystique, il montre le Christ comme un homme, en proie au doute. L'ouvrage est mis à l'index par le pape. Ami du docteur Schweitzer, Nikos Kazantzakis reçoit en 1956 le Prix de la Paix. Son tombeau à Héraklion porte l'épitaphe "Je n'espère rien. Je n'ai peur de rien. Je suis libre."

Aurélia Caton

Transcription

Pierre Dumayet
... maintenant qu'il a existé, Zorba ?
Max-Pol Fouchet
Absolument. Moi, je n'ai jamais douté de son existence et j'en doute encore moins, ce soir, depuis que je connais monsieur Kazantzakis car tout à l'heure, monsieur Kazantzakis disait qu'il aurait voulu être Zorba mais il est Zorba. Il est Zorba par ce qu'il écrit, par ce qu'il pense, par sa sensibilité, absolument. Et d'ailleurs, je dois dire que le personnage principal de ce qu'en cinéma, on appelle « Celui qui doit mourir », n'est-ce pas ? (je dis ce titre volontairement pour que les auditeurs rejoignent plus facilement votre livre), et bien c'est aussi quelqu'un qui est très proche de Zorba. Votre berger qui, à un moment donné, choisit la justice, choisit la charité ne danse peut-être pas mais enfin, il pourrait danser. Et j'ai toujours l'impression que vos livres sont très proches du fond mythologique grec car votre Zorba est, après tout, une sorte d'Antée, si vous voulez. Il prend contact avec la terre et il y trouve sa force et c'est dans la terre même qu'il trouve sa force et son ordre, car s'il est anarchiste, disons, d'une façon facile, il a un ordre qu'il respecte et c'est celui qui est l'ordre de la terre qui est l'ordre plutonien par excellence.
Pierre Dumayet
Je crois qu'il faudrait poser quelques questions, maintenant, sur le Pauvre d'Assise qui est le roman qui vient de paraître. Vous avez écrit ce livre par reconnaissance, m'avez-vous dit, parce que François d'Assise vous a sauvé deux fois la vie.
Nikos Kazantzakis
Oui. J'avais une dette envers Saint François d'Assise, c'est pour cela j'étais... j'avais le grand désir d'exprimer ma reconnaissance en écrivant sur lui un livre. Et la première fois qu'il m'a sauvé la vie, c'était pendant l'Occupation allemande. Les Allemands... J'étais dans une petite île tout près d'Athènes, alors les Allemands... Nous n'avions rien à manger. Et j'étais presque mourant de faim. Et tout le monde mourait autour de moi. Alors un jour, je reçois une lettre d'un frère Franciscain qui habite à Athènes. Il me dit : « Si vous voulez traduire la biographie de Saint François d'Assise faite par Jurgensen, alors nous enverrons une caisse de vivres ». Alors je suis tout de suite... j'ai reçu... c'était une caisse qui avait des choses merveilleuses, presque inconnues, et je les avais oubliés, c'est-à-dire du sucre, du café, macaroni, riz etc. Et j'ai écrit ce livre-là avec un grand prologue.
Pierre Dumayet
Et la seconde fois ?
Nikos Kazantzakis
La seconde fois, c'était lorsque j'étais gravement malade alors j'ai pensé, tout à coup, à Saint François d'Assise. C'est-à-dire j'ai voulu penser à un homme qui a pu vaincre la mort. Et j'ai pensé tout de suite à Saint François d'Assise. Et pendant... j'avais une fièvre, de la fièvre, 40, 41, je ne sais pas, comment. Et ma femme venait, elle me dit : « Prenez le stylo et je vous dicte ». Et j'ai commencé à lui dicter Saint François d'Assise. Et surtout, les choses poétiques. Je me souviens que je lui ai dit, un jour... Parce que vous savez, ce n'est pas une biographie ce livre-là, c'est une synthèse de biographie, les poésies et les choses que Saint François n'a pas dites mais qu'il pouvait dire parce qu'il était [inaudible]. Alors j'ai dit à ma femme : « Prenez le crayon et écrivez. Je vais dicter une chose que Saint François n'a pas dite mais il pouvait bien le dire ». Il a vu, un jour, Saint François, un amandier en plein hiver. Alors Saint François lui dit : « Frère amandier, parle-moi de Dieu ». Et aussitôt, l'amandier se couvrit de fleurs. C'était tout à fait franciscain, n'est-ce pas ?