Ivan Klima à propos d'Amours et ordures

20 novembre 1992
05m 11s
Réf. 00200

Notice

Résumé :

Interview d'Ivan Klima sur les sources d'inspiration de son roman Amours et ordures et son expérience en tant que balayeur de rue.

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Date de diffusion :
20 novembre 1992
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Éclairage

Ivan Klima est l'un des nombreux tchèques à avoir vécu les horreurs de l'occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Né en 1931 à Prague, il est déporté (il commence à écrire au camp de concentration de Terezín) puis, de retour à Prague, il connaît les régimes staliniens des années cinquante, puis le Printemps de Prague, l'invasion soviétique de 1968, la révolution de Velours de 1989. Il écrit des essais, des pièces de théâtre, des romans et des nouvelles. Censuré durant vingt ans dans son pays, il doit exercer des métiers tels que balayeur ou ambulancier pour gagner sa vie.

Ses oeuvres, parmi lesquelles le roman Amour et ordures (1990), ou l'essai Esprit de Prague (un dialogue entre Philip Roth et l'écrivain qui mêle souvenirs autobiographiques de sa déportation et réflexions sur les régimes totalitaires, paru en 1990), traduites en une trentaine de langues, l'ont placé parmi les auteurs tchèques contemporains les plus célèbres.

Aurélia Caton

Transcription

Bernard Rapp
Alors Amour et ordures, ce sont, pour un petit peu, pour camper le livre, ce sont les réflexions d'un écrivain, devenu balayeur des rues, dans les rues de Prague, et qui donc donne, laisse courir son esprit, ses souvenirs. Et bien sûr, quand on connaît votre histoire, on pense, je pense qu'on a tort, à l'autobiographie, mais on se dit, vous n'avez pas été balayeur mais vous avez du employer, avoir des emplois de ce type, non, quand vous étiez, quand vous ne pouviez pas publier ?
(Silence)
Ivan Klima
Pendant 20 années, je n'ai pas eu le droit de publier. J'ai eu toutes sortes de métiers de courte durée, et j'ai été balayeur, mais pendant quelques jours seulement, pour pouvoir écrire ce roman. Car, mon thème principal était le problème amoureux de héros qui est déchiré entre sa femme et sa maîtresse, et qui est une affaire banale. Tellement banale que j'ai voulu, à travers cette histoire, dire quelque chose sur notre monde contemporain. Et c'est là que j'ai eu l'idée que les ordures étaient une métaphore pour notre civilisation, car cette civilisation, qui fabrique toute sorte de choses, toute sorte d'objets, fabrique énormément d'ordures. Chaque objet qui est fabriqué pose le problème : comment ensuite s'en débarrasser ? Que faire des ordures ? Donc, il y a la production d'ordures matérielles, il y a aussi la production de l'esprit, d'ordures spirituelles. Alors lorsque j'ai eu cette idée, je me suis demandé comment faire entrer cette métaphore dans mon roman ? Et justement, j'ai trouvé ce moyen d'interpréter cette idée par le truchement du balayeur. Alors mon balayeur était écrivain, moi j'étais écrivain, je ne pouvais en fait avoir accès qu'à ce genre de métier, donc je suis devenu balayeur. C'était tout à fait facile, on m'a pris tout de suite, et j'ai donc connu ce métier, et c'était en fait un prétexte pour traiter ce sujet.
Bernard Rapp
Alors, effectivement, cet homme à la veste orange, donc, ce balayeur des rues, est un écrivain très actif, donc un observateur, mais surtout cette manière de se promener dans les rues, d'accompagner cette équipe de balayeurs qui sont comme lui, tous plus ou moins des marginaux, c'est l'occasion de faire remonter, revivre les souvenirs. Et on a le sentiment, en lisant ce livre, que c'est un petit peu un collage. [INCOMPRIS] dans son livre dit : on ne choisit pas l'ordre de ses souvenirs, mais le narrateur, donc vous non plus.
Ivan Klima
Oui, ce collage, c'était l'idée qui m'intéressait le plus lorsque j'étais en train d'écrire ce livre. L'auteur doit prendre plaisir à écrire un livre, donc il doit trouver quelque chose de nouveau, et cette méthode du collage m'a beaucoup passionné. Donc ces souvenirs et cette actualité qui se relaient et qui donnent une image du monde tel qu'il est. Je dois dire en plus que les histoires des balayeurs, le sort des balayeurs, les personnages sont en partie, en grande partie, inventés pour que le livre soit intéressant. J'ai trouvé des gens qui pouvaient être intéressants, qui étaient plus ou moins dans ce milieu des gens marginaux, mais dont j'ai fait des balayeurs. Enfin, si vous voulez, ce n'était pas une nécessité sociale, matérielle, de faire ce travail, mais pour beaucoup de mes collègues, ils ont dû faire de tels métiers, donc j'ai voulu raconter l'histoire d'un intellectuel de cette période qui est, en fait, une histoire tout à fait exemplaire, typique. Et lorsque j'ai balayé des rues où habitaient des diplomates et lorsque l'on m'a vu dans ma veste orange passer dans la rue, une dame qui passait s'est écrié : « Voilà, il y a un écrivain là qui est en train de balayer ! » J'ai expliqué que c'était pour écrire un roman, pour que on ne raconte pas que j'étais devenu une victime de la situation. J'étais vraiment obligé de faire le balayeur, en fait c'était un balayage d'étude. Donc ce thème du balayeur est en quelque sorte quand même le thème principal, un des thèmes principaux du livre.